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L'Inflation : au Début du Big Bang

L'inflation

CIEL & ESPACE N°534 > Novembre > 2014

L'inflation : un Coup de Baguette Magique au Début du Big Bang

Le modèle du Big bang ne fonctionne pas ! À moins d'y ajouter un épisode incroyable : l'inflation.

Imaginé il y a trente ans, ce mécanisme aurait, pendant un bref instant, démesurément accéléré l'expansion de l'Univers... S'il s'impose aujourd'hui comme une béquille indispensable au vieux modéle cosmologique, son origine demeure toutefois mystérieuse... Du coup, certaines voix le dénoncent comme un coup de baguette magique bien illusoire. Par sa soudaineté et son effet démesuré, l'inflation est un épisode de la vie de l'Univers qu'il est très difficile de représenter. Pourtant, même les galaxies trouveraient leur origine dans cet instant essentiel !

Si l'inflation n'existait pas ? "Il faudrait l'inventer", répondent aujourd'hui la plupart des cosmologistes. Et on les comprend. Imaginée une nuit de décembre 1979 par un jeune physicien des particules Alan Guth, l'inflation cosmique est un épisode de la vie de l'Univers qui répond à plusieurs énigmes laissées en suspens par la théorie du big bang. L'Univers est né d'une phase dense, chaude, homogéne et il est en expansion depuis 13,7 milliards d'années, affirme le modéle du "grand boum". Mais pourquoi l'Univers était-il si homogène au départ ? Pourquoi aujourd'hui est-il si plat, géométriquement parlant ? Et surtout, dans un Univers homogène, viennent les infimes fluctuations de densité qui donneront naissance aux galaxies. À ces trois questions fondamentales, l'inflation apporte une réponse simple et élégante. Si bien "qu'en son absence, l'Univers, au lieu d'un big bang, n'aurait produit qu'un 'little pop', une infime déflagration ne dépassant pas les dimensions d'une particule élémentaire", souligne le physicien théoricien Leonard Susskind de l'université de Stanford.
Magique ? En effet. Ce bref mais prodigieux accroissement de la taille de l'Univers ressemble fort à un coup de baguette magique. Dans un temps infiniment plus court qu'un battement de cil, l'inflation a été capable, un milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde après l'origine de l'Univers, de faire enfler l'espace au point de rendre monstrueux l'infiniment petit, transformant en bouf cosmologique la grenouille quantique.
Mais quel est le secret de la baguette magique ? Là, les physiciens se perdent en conjectures. Ils ont donné un nom à la cause physique de l'inflation, mais "pour le moment, ce n'est qu'un mot. Nous ne savons pas ce que c'est", reconnait Nathalie Deruelle, spécialiste de la relativité générale. Cette petite bête existe-t-elle seulement ? Le satellite européen Planck doit cartographier le fond diffus avec une précision jamais atteinte jusqu'ici. S'il fait correctement son travail, nous aurons peut-être un début de réponse d'ici deux ans. Mais pour cela, "il faudrait que la nature soit douce avec le physicien", souligne le cosmologiste Alain Riazuelo. Car parmi les innombrables versions de l'inflation, rares sont celles dont les effets sont suffisamment importants pour que Planck les voie ! D'où le scepticisme de certains : et si le coup de baguette magique n'était qu'un tour de passe-passe ? Marc Lachièze-Ray, du laboratoire Astroparticules et cosmologie, n'est pas loin de penser qu'il s'agit d'une "arnaque". Ses arguments sont aiguisés. Il nous les présente à la fin de ce dossier.

D.F. - CIEL & ESPACE > Septembre > 2009

Trois Raisons d'y Croire

L'inflation vous parait trop étrange pour être crédible ? Trop éloignée de l'expérience quotidienne pour que l'on s'y fie ? Voici pourquoi les cosmologistes, eux, sont séduits.

UN UNIVERS PLAT

L'Univers ? Morne plaine ! Il faut être cosmologiste pour s'en étonner, mais à très grande échelle l'espace est géométriquement plat. C'est-à-dire que, dans le cosmos, deux droites parallèles ne se rejoignent jamais, ou encore que la somme des trois angles d'un triangle fait toujours 180°. Pour tout un chacun, il n'y a rien de plus naturel que cette "géométrie euclidienne". C'est celle que l'on apprend sur les bancs des écoles. Mais pour qui sait jongler avec les équations de la relativité générale d'Einstein, décrivant l'Univers dans son ensemble, cette platitude est une énigme. Pourquoi ? Parce que l'espace-temps, saturé d'énergie et de matiere, doit nécessairement se courber sous leur influence.
évidemment, l'expansion normale de l'Univers peut contrebalancer cet effet. "Mais, pour cela, il faut qu'elle soit extraordinairement bien ajustée, note Alan Guth, pionnier de l'inflation à la fin des années 1970. Si, une seconde après le big bang, le taux d'expansion avait été un cent-millième de milliardième de fois plus important, l'Univers se serait alors étendu si rapidement qu'aucune galaxie n'aurait jamais pu se former. à l'inverse, s'il avait été un cent-millième de milliardième de fois moindre, l'Univers se serait vite recroquevillé sur lui-même". Il serait devenu non pas infiniment plat, mais infiniment courbe. Qui donc a ajusté si finement les paramètres de l'Univers ?
C'est en partie parce qu'elle évite de poser cette question que l'inflation est aujourd'hui si populaire. Avant même que l'Univers n'entre dans la phase d'expansion tranquille que décrit la théorie du big bang (pendant laquelle se sont formés les atomes, les étoiles et les galaxies), elle le fait enfler bien au-delà de ses limites observables. Résultat : même si l'Univers est courbe à sa plus grande échelle, nous n'en percevons qu'une si infime partie qu'il nous semble plat. Un peu comme la Terre vue de hauteur d'homme...

UN COSMOS HOMOGÈNE

Avec ses 2,73 K dans toutes les directions du ciel, la température du fond diffus cosmologique est remarquablement homogène. Cela conforte les astrophysiciens dans leur "principe cosmologique" (qui veut que l'Univers soit homogène et isotrope), mais cela leur pose aussi un problème. En effet, il n'y a aucune raison pour que le fond diffus cosmologique présente partout la même température. Quand le fond diffus est apparu, l'Univers n'avait que 380.000 ans. Autrement dit, compte tenu du fait qu'aucune information ne peut circuler plus vite que la lumière, seules des régions éloignées de 380.000 années-lumière au plus pouvaient avoir échangé de l'information à cette date - notamment leur température respective. Or, à quoi correspond cette distance maximale sur la carte du fond diffus ? "À seulement 1° (angulaire)", répond David Langlois, du laboratoire Astroparticules et cosmologie. Par conséquent, dans le modèle standard de l'évolution de l'Univers, deux points du fond diffus, séparés, de plus de 1° sur le ciel n'ont jamais communiqué. Ils n'ont donc pas pu harmoniser leur température ! Puisque ce fond a une température uniforme, c'est soit que chacun de ses points est "né" avec la même température, soit qu'un mécanisme non standard a agi. Et comme la premiere hypothèse tient du miracle, les cosmologistes ont poussé un "ouf" de soulagement lorsque l'inflation a pointé le bout de son nez.
Car que fait l'inflation ? Elle étire démesurément l'espace en un temps très bref. Elle sépare si vite deux points proches l'un de l'autre que la lumière elle-même reste "scotchée" dans les starting-blocks. Résultat : des points qui pouvaient échanger de l'information avant l'inflation ne le peuvent plus après. Les différentes régions du fond diffus sont effectivement isolées les unes des autres, mais elles ne l'ont pas toujours été. D'où l'homogenéité de l'Univers !

UNE ORIGINE AUX GALAXIES

L'Univers est homogène, certes, mais seulement à grande échelle. Il suffit de regarder le ciel pour s'en convaincre : il n'est pas uniformément noir, les galaxies existent ! Comment sont-elles nées ? Dans le modèle du big bang, les galaxies et les amas de galaxies sont le résultat de la croissance, le grumeaux de matière de l'Univers primordial, sous l'effet conjugué de l'expansion et de la gravitation. D'où viennent ces grumeaux ? Si la cosmologie standard n'a pas de réponse, celle que propose le modèle de l'inflation est fascinante : ces germes de galaxies seraient des fluctuations quantiques fossiles, saisies sur le vif et étirées par l'inflation jusqu'aux échelles macroscopiques. Car, en physique, le vide n'est pas vide ! À l'échelle des particules élémentaires, il pétille, il bruit sans cesse de petits clapets. Généralement, cette agitation quantique ne porte pas à conséquence. Mais dans les 10-35 s qu'a duré l'inflation, il s'est passé une chose curieuse. Parmi toutes les fluctuations quantiques à l'ouvre, les plus amples se sont d'abord figées. Tandis que l'inflation les étirait, d'autres plus petites se sont superposées à elles, subissant le même sort, et ainsi de suite. À la fin de l'épisode, plutôt que le vide lisse et uniforme, tout un univers de grumeaux était né. Il ne demandait qu'a grandir. Le plus étonnant est peut-être que ce mécanisme, proposé en 1982 par Stephen Hawking et d'autres, ait été largement confirmé par le satellite américain WMAP, vingt ans plus tard. En effet, les fluctuations de densité (ou de température) observées dans le fond diffus cosmologique "sont parfaitement en accord avec celles prédites par les modèles d'inflation les plus simples", souligne David Langlois.

LA CERISE SUR L'UNIVERS
Dans d'autres régions du cosmos, l'inflation donne-t-elle naissance à de nouveaux univers qui, eux-mêmes, en engendrent d'autres ?

Les fluctuations quantique du vide ont donné naissance aux galaxies, et donc à tout ce qui nous entoure ? Très bien, mais pourquoi sarrêter en si bon chemin ? En 1986, le physicien Andrei Linde réalise que ces fluctuations peuvent aussi déclencher des épisodes d'inflation, eux mêmes susceptibles de créer de nouveaux univers dotés de lois physiques différentes. Dans ce "multivers inflationnaire", où les big bang s'enchaînent, nous serions simplement née dans une région dont les paramètres physiques sont compatibles avec les galaxies, les étoiles et finalement la vie. "Dieu avait-il le choix ?" demandait Einstein, en soulignant l'extrême ajustement des lois physiques à notre existence. Cerise sur le gâteau, le modèle inflationnaire répond aussi à cette question : "Oui, il a même tout essayé".

D.F. - CIEL & ESPACE > Septembre > 2009

Sur la Piste de l'Objet qui a tout Déclenché

La clé de l'inflation ? Ce serait un mystérieux objet issu de la physique des particules, que les cosmologistes appellent "l'inflaton". Mais sa réalité reste à démontrer...

Lorsqu'un théoricien évoque l'inflation, l'enthousiasme se teinte souvent de perplexité. Nathalie Deruelle qui y a consacré plusieurs années de recherche, assure que "c'est une idée grandiose". Mais ajoute : "L'inflaton, qui est au cour du modèle, n'est pour le moment qu'un nom". Cet inflaton serait un "champ scalaire", un objet issu de la physique des particules, qui prend une valeur et une seule en chaque point de l'espace et du temps. Dans le cadre de la théorie quantique des champs (qui décrit les particules et leurs interactions), on peut parfaitement raconter comment l'inflaton a démesurément accéléré l'expansion de l'Univers à sa naissance. Il suffit de l'imaginer comme une bille roulant sur la paroi d'un bol, et de se dire que plus la bille est haute sur la paroi, plus l'énergie de l'inflaton est importante. Quel rôle joue cette énergie ? D'aprés la théorie de la relativité générale, elle déforme l'espace-temps. Sauf qu'au lieu de contrecarrer son expansion, comme la fait la matière ordinaire, l'énergie de l'inflaton l'encourage... Une bille lachée en haut d'un bol - amenée là par une saute d'énergie dont le monde quantique est coutumier - a donc pour effet une expansion de l'Univers.
Tout cela ne serait pas catastrophique si la bille roulait vite en bas du bol, à son minimum d'énergie. Or, ce n'est pas le cas. Si on en croit les équations que manipulent les théoriciens, l'expansion fait que la bille ne peut pas rapidement dévaler la pente. Tout se passe comme si le bol était rempli... de miel. La bille reste donc longtemps sur la paroi, et l'énergie de l'inflaton ne faiblit pas. Conséquence dans le monde réel : à mesure que l'espace s'étend, l'expansion s'ajoute à l'expansion, et le tout s'emballe. C'est l'inflation. Lorsque la bille oscille au fond du bol, finalement, "le champ se calme, avec quelques soubresauts", explique Nathalie Deruelle. Ces soubresauts de l'inflaton auraient créé la matière, le rayonnement, et chauffé l'Univers primordial. C'est le point de départ de la théorie du big bang !
Voilà pour le comportement du champ scalaire dans lequel les cosmologistes s'égayent. Ne risquent-ils pas de s'y perdre ? "En fair, on peut dire n'importe quoi sur l'inflaton, il existe au moins des dizaines de modèles", reconnait Francis Bernardeau, du CEA. Alors, pour mieux le cerner, les chercheurs explorent deux pistes. La première consiste à mettre en évidence un champ scalaire. "La plupart des physiciens des particules sont persuadés que ces champs existent, mais aucun n'a jamais été observé", explique David Langlois, du laboratoire Astroparticules et cosmologie. Si les physiciens du LHC, cet automne, arrivent à mettre la main sur le boson de Higgs, alors ce sera chose faite. Bien sûr, cette hypothétique particule est l'expression d'un champ scalaire mille milliards de fois moins énergétique que l'inflaton. Mais tout de même : la piste des expérimentateurs semble plus praticable que l'autre, celle des théoriciens, qui s'apparente plutôt à la face nord des Grandes Jorasses. "Il s'agit essentiellement de travailler sur la théorie des cordes, dans l'espoir de faire apparaître dans les équations un champ scalaire qui jouerait le rôle de l'inflaton", explique David Langlois. Qui veut être premier de cordée ?
"Quoi qu'il en soit, il faudra bien que l'inflaton fasse ses preuves", semblent penser la plupart des cosmologistes. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de plan B. "Dans les années 1980-1990, il y avait un modèle concurrent de celui de l'inflation, mais il a été mis en défaut par l'observation du fond diffus cosmologique", raconte David Langlois. L'inflaton refuse toujours de tomber le masque, mais il est seul en scène.

EXPANSION ACCÉLÉRÉE ET INFLATION
Révélée en 1998, par l'observation de supernovae lointaines, l'accélération actuelle de l'expansion de l'Univers est-elle une nouvelle inflation ? "Non, l'inflation a été plus violente, répond Alain Riazuelo, de l'Institut d'Astrophysique de Paris. D'au moin cent ordres de grandeur". Donc peu de chance qu'elles aient la même cause...

LA CHANCE DE PLANCK
Si l'on en croit certains modèles, l'inflation a produit quantité d'ondes gravitationnelles qui se sont propagées dans l'Univers primordial et ont imprimé leur marque sur le fond diffus cosmologique. Dédié à l'étude de celui-ci, le satellite européen Planck réussira-t-il à observer leurs empreintes ? Pas sûr : la plupart des modèles prédisent que les ondes sont trop faibles pour être détectées. Mais si Planck a de la chance, et si ces modèles sont faux, il les verra !

D.F. - CIEL & ESPACE > Septembre > 2009
 

   
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