En proie aux tremblements, aux pluies torrentielles, aux bombardements de météorites, aux tsunamis, cyclones et autres tornades, la vie de notre Terre n'est pas un long fleuve tranquille. Celle des scientifiques chargés de nous alerter de l'imminence de ces manifestations violentes non plus. Potentiellement mortifères, celles-ci restent largement imprévisibles. Et lorsque la menace se précise, il est souvent trop tard.
Comme si cela ne suffisait pas, voici qu'un nouveau venu s'invite au bal des grandes catastrophes possibles. Et il ne s'agit pas de n'importe qui : le Soleil lui-même ! Un comble. Lui qui nous a vus naître, lui qui brillait bien avant que le premier être unicellulaire ne flotte entre deux eaux, lui qui, chaque jour et depuis toujours, se lève plus ou moins tôt et se couche plus ou moins tard au rythme des saisons, lui, notre astre de lumière, voici qu'il nous inquiète. On ne peut décidément faire confiance à personne...
Sources de vie, ses rayons peuvent en effet s'avérer redoutables pour nos installations électriques, nos activités en haute atmosphère et nos moyens de communication. En 1989, l'une de ses colères a plongé tout le Québec dans le noir pendant neuf heures. Fin septembre 2003, l'imminence d'une autre a obligé les avions reliant l'Amérique à l'Asie par le pôle Nord à se dérouter, sous peine de perdre toute leur électronique de bord. Mais il pourrait y avoir bien pis. Etudiée depuis peu et encore pleine de mystères (5 précisément), l'activité solaire inquiète de plus en plus de scientifiques. Certains allant jusqu'à imaginer qu'elle puisse être à l'origine d'un complet désastre technologique au niveau mondial, voire d'extinctions biologiques... Une chose est sûre : tous conviennent qu'à l'avenir les météorologues devront ajouter une corde lumineuse à leur arc et apprendre à compter avec les rayons du soleil, dont ils peinent encore à comprendre les cycles, les colères et les pannes. Une ardente nécessité, alors que nos activités reposent désormais sur des infrastructures particulièrement sensibles à ses jets de rayons X, de protons et de plasma magnétique.
SCIENCE & VIE > Juillet > 2013 |
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Entre Pannes et Colères... |
Jamais les astrophysiciens n'ont disposé d'autant de moyens pour l'étudier sous tous les angles - et pourtant : qu'il s'agisse de son activité, de ses cycles ou de ses colères, notre étoile conserve 5 grands secrets... qui ne sont pas seulement d'exaspérants défis scientifiques. Ils sont aussi un enjeu quand notre monde est devenu incroyablement vulnérable aux manifestations solaires, notamment électromagnétiques. Entre spectre de black-out et mobilisation des chercheurs, dossier sur la face obscure de l'astre sans lequel il n'y aurait pas d'été.
Le diable se niche décidément dans les détails. Car les astrophysiciens connaissent presque tout de lui. Ils ont repéré son moteur : un cour nucléaire à 15 millions de degrés dans lequel fusionnent des atomes d'hydrogène. Ils ont mis en valeur son champ magnétique dont les courbes commandent la circulation de toute sa matière. Ils ont caractérisé son cycle de onze années, qui passe successivement de son minimum à son maximum d'activité. Ils ont même repéré les soupapes qui lui permettent de libérer en quelques dizaines de minutes un million de fois l'énergie électrique consommée chaque année sur Terre : le trop-plein d'énergie née de son cour se concentre sous la forme de champs magnétiques très intenses à sa surface, formant de gigantesques taches sombres, dans lesquelles naissent des flashs jusqu'à 10.000 fois plus intenses que sa propre lumière, mais aussi de fantastiques geysers de plasma et des particules hyperaccélérées.
Pourtant, les meilleurs spécialistes sont forcés de le reconnaitre : le Soleil reste un monstre aux humeurs imprévisibles. Personne n'est capable de prédire exactement son comportement, de deviner quand et où aura lieu la prochaine éruption, de dire si le cycle à venir sera intense ou non, de prévoir si une panne risque d'arriver... Un exemple : "Tout le monde s'est trompé sur la prévision de l'évolution du cycle solaire actuel", analyse Frédéric Clette, astrophysicien à l'Observatoire royal de Belgique. Alors qu'il y a deux ans, les astronomes croyaient avoir repéré tous les signes d'une panne d'activité, et que tout le monde pariait, il y a quelques mois encore, sur un cycle au ralenti, le Soleil semble finalement s'être réveillé. "La communauté mérite un zéro pointé", tranche le chercheur. Il y a de quoi être frustré. On ne l'a en effet jamais aussi bien vu. Depuis deux ans, les sondes jumelles Stereo de la Nasa, placées de part et d'autre du Soleil, donnent pour la première fois une vue complète de ses deux faces en même temps. Et depuis trois ans, le Solar Dymamics Observatory (SDO) scrute sa surface à une cadence infernale, recueillant l'intégralité de ses émissions ultraviolettes toutes les douze secondes et mesurant son champ magnétique toutes les douze minutes.

NOUS AVONS PASSÉ UN CAP
On ne l'a jamais aussi bien vu : Solar Dynamics Observatory, Stereo, Swedish Solar Telescope (->), New Solar Telescope, ACE... une trentaine de télescopes traquent la moindre des sautes d'humeur solaires. À 360 degrés, en volume ou avec une précision de l'ordre de la centaine de kilomètres, les astronomes ont enfin les instruments pour comprendre la machinerie solaire.
Avec ses images intégrales en trois dimensions à 360°, dont la résolution peut atteindre quelques centaines de km, les astrophysiciens ont enfin une vue globale de phénomènes à grande échelle, comme la structure de son champ magnétique, et disposent en même temps d'une résolution suffisante pour des événements plus locaux, comme les granules, ces infimes bouillonnements qui agitent sa surface... "Jusque-là, on devait se contenter de cartes synoptiques. On avait parfois quinze jours d'écart entre deux zones du Soleil", rappelle Allan Sacha Brun, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique. "Cette vision en 3D révèle de nouveaux phénomènes et de nouveaux détails, qui nous échappaient en 2D", ajoute Miho Janvier, de l'Observatoire de Paris. Ainsi, pas un mois ne s'écoule sans que ses éruptions de plasma, les bouillonnements de sa surface ou les circonvolutions de ses champs magnétiques n'éclairent de leurs flamboyances les austères revues scientifiques.
Ce qui ajoute encore à la frustration, c'est que les humeurs du Soleil sont incroyablement bien documentées : les spécialistes ont épluché 70 ans de données issues des capteurs de particules au sol à la recherche des traces d'éruptions solaires ; compilé 400 ans de relevés de taches solaires ; analysé les glaces polaires et les cernes des arbres les plus vénérables, pour, sur 11.000 ans, reconstituer l'activité solaire telle qu'elle marque de son empreinte notre planète... Grâce à des échantillons de roches lunaires rapportées par les missions Apollo, ils espèrent même retracer les éruptions jusqu'à 1 million d'années. Sans compter qu'ils commencent à s'appuver sur l'observation des autres étoiles, plus petites ou plus massives, plus jeunes ou plus âgées pour tester leurs modèles dans des cas extrêmes. "Le satellite Kepler a étudié plus de 100.000 étoiles... ce qui revient à compiler 400.000 années d'histoire stellaire", se réjouit Rachel Osten, astrophysicienne au Space Telescope Science Institute (États-Unis).
Mais le plus frustrant est peut-être que les astrophysiciens ont la certitude de mieux comprendre cette machine diabolique. Grâce aux de données recueillies, les plus fins et les plus globaux des mécanismes solaires, qui jusque-là étaient modélisés à l'aveugle, ont enfin pu être testés. Des dizaines de modèles sont tombés sous les coups d'ordinateurs massivement parallèles. D'autres ont été modifiés, rassemblés... "On a passé un cap, confirme Guillaume Aulanier, à l'Observatoire de Paris. On vient de terminer un grand débroussaillage. Enfin, on commence à y voir plus clair". Au point que les astrophysiciens savent désormais modéliser les éruptions solaires dans leurs moindres détails. "Les simulations numériques sont de plus en plus réalistes : on peut faire des modèles globaux du Soleil dont la résolution atteint le millier de kilomètres, soit les plus fines des structures observées sur le Soleil", précise Allan Sacha Brun. "Des taches entières peuvent être modélisées avec une résolution suffisante pour capturer de petites plumes de quelques centaines de kilomètres", renchérit Matthias Rempel, du Centre national pour la recherche atmosphérique de Boulder (États-Unis). Les progrés sont tels que certains développent des modèles capables, comme en météorologie, de se corriger en permanence (encadré ci-dessous).
ET SI LES MODÈLES FAISAIENT COMME SI DE RIEN N'ÉTAIT ?
Et si, au lieu de résoudre les cinq mystères restants, on les contournait ? La communauté se divise sur le sujet. Forts de la profusion de données, la moitié des astrophysiciens sont en train de délaisser la grande quête des mécanismes fondamentaux au profit des méthodes plus empiriques des météorologues. Eux qui, jusque-là, faisaient tourner des simulations basées sur ce qu'ils savaient de la physique du phénomène pour vérifier ensuite si leurs résultats collaient avec leurs observations, partent aujourd'hui des observations et les intègrent directement à leur modèle... En clair : ils glissent sous le tapis les questions qui les dérangent et comptent sur la profusion des observations et la puissance des calculateurs pour prédire les colères solaires. Une tentative désespérée ? "La prévision est évidemment le but, à terme, mais il est trop tôt... justement parce qu'on n'a pas encore tout compris", tranche Guillaume Aulanier (Observatoire de Paris). "La simulation de données nous permet d'affiner nos prédictions, modère Allan Sacha Brun (CEA). Mais elle ne fera jamais de la physique à notre place". |
Mais voilà ! Le Soleil est un diable. Si sa machinerie n'a jamais été aussi bien observée et modélisée, les astrophysiciens reconnaissent qu'ils sont incapables de prédire son humeur. Pourquoi ? Parce qu'il y a cinq détails qui résistent à leurs investigations (->). Des cas extrêmes, des phénomènes poussés dans leurs retranchements, des pichenettes qui pourraient paraître insignifiantes, mais qui suffisent à les empêcher de suivre jusqu'au bout la voie tracée par les météorologues. Cinq points abscons, mais fondamentaux qui catalysent leur frustration.
- 1) Même s'ils connaissent la dynamo solaire dans les grandes lignes, ils ne saisissent pas les ressorts précis de son retournement périodique.
- 2) Ils savent que la machine solaire s'enraye parfois, mais sans parvenir à trancher entre leurs explications contradictoires.
- 3) Ils comprennent comment les taches solaires donnent naissance à des lumineux, mais sans saisir ce qui les déclenche.
- 4) Ils savent comment les champs magnétiques des nuages de plasma éjectent leur flots de particules, mais sans réussir à prévoir la direction et la forme de ces éjections.
- 5) Ils disposent de nombreuses données sur la violence de ces éruptions mais sont divisés sur leur ampleur maximale.
Tels sont les cinq derniers mystères du Soleil. Pourquoi la dynamo solaire se retourne-t-elle périodiquement ? Pourquoi ces cycles s'enrayent-ils ? Qu'est-ce qui déclenche les flashs lumineux ? Comment la matière est-elle éjectée ? Et quelle est la plus grande éruption possible ?
CE QUE L'ON SAIT DE LUI
- C'est une centrale nucléaire : son cour, chauffé à 15 millions de degrés, transforme à chaque seconde 4 millions de tonnes d'hydrogène en hélium et en lumière.
- C'est une sphère de 695.500 km de rayon : son champ magnétique le maintient dans une forme parfaite ; il n'y a que 0,00075 % de différence entre ses rayons polaire et équatorial.
- Il représente 99,86 % de la masse du système solaire : il pèse autant que 330.000 Terre, ce qui le place dans la catégorie des naines jaunes, qui représentent 10 % des étoiles de la Voie lactée.
- Sa lumière atteint la Terre en 8mn 19s : il gravite à 150 millions de kilomètres, près de 12.000 fois le diamètre terrestre.
- Son atmosphère est 1000 fois plus chaude que sa surface : de complexes mécanismes de transferts de chaleur pompent l'énergie des tréfonds solaires pour les réinjecter dans son halo de gaz.
- Il irradie dans toutes les couleurs : il nous paraît jaune, mais il émet sur tout le spectre, des infrarouges aux rayons X en passant par les couleurs de l'arc-en-ciel...
- Il a des jumeaux dans toute la Galaxie : quelque 100 étoiles seraient nées avec lui lors de l'effondrement d'un nuage de gaz et de poussières, avant d'être dispersées.
- Son activité est influencée par les planètes : la gravité des planètes modifie la circulation des plasmas solaires et son cycle de 11 ans. |
QUELS IMPACTS POUR LA TERRE ?
Certes, il existe d'autres grandes énigmes, notamment sur son passé - on ne sait pas comment un nuage de gaz et de poussières s'allume -, ou sur son avenir - on ignore encore quand le Soleil se métamorphosera en géante rouge, rendant notre système inhabitable -, mais ce sont ces 5 là qui sont décisives pour la compréhension et la prévision de ses colères et, par ricochet, de leurs conséquences pour notre planète. Car ces 5 phénomènes ne sont pas sans impact sur notre vie terrestre, loin s'en faut ! Les mystérieux cycles adoucissent depuis dix ans le réchauffement climatique ; les mystérieuses pannes participent à la formation d'ères glaciaires ; les mystérieux flashs menacent satellites et télécommunications ; les mystérieuses éjections peuvent provoquer des pannes électriques à l'échelle d'un pays ; quant aux mystérieuses mégaéruptions qui pourraient secouer la Terre, personne n'a osé mesurer leurs conséquences (voir "Les Excès du Soleil Menacent nos Sociétés" article suivant). Il ne reste que cinq petits mystères à percer... mais ce sont ceux-là qui rendent les voies de ce diable colérique si impénétrables.
1/ LE MYSTÈRES DES CYCLES : Quel Mécanisme Commande les Pulsations Solaires
Les astrophysiciens le constatent depuis plus d'un siècle et demi : tous les 11 ans en moyenne, le Soleil se couvre de taches sombres. Quelques taches esseulées tout d'abord, qui se font de plus en plus nombreuses au fil des années, avant de tirer progressivement leur révérence, jusqu'à ce qu'il n'en reste aucune. En attendant un nouveau cycle... On mesure même depuis 1919, tous les 11 ans environ, que la polarité du champ magnétique global s'inverse lors du maximum d'activité du cycle de ces taches solaires : le pôle Nord et le pôle Sud magnétiques échangent leur position, avant de les reprendre lors du maximum suivant.
Seulement, nul ne sait précisément pourquoi le Soleil exhibe un tel cycle magnétique. "Au niveau fondamental, la situation est claire et ne fait appel qu'à de la physique basique du XIXè siècle : c'est l'effet dynamo qui est responsable de l'activité magnétique du Soleil", explique Paul Charbonneau, de l'université de Montréal (Canada). En clair, ce sont les mouvements du plasma solaire, porteur de courants électriques, qui génèrent un champ magnétique. Lequel va former des boucles en surface, emprisonnant le plasma et donnant ainsi naissance à des zones plus froides, donc plus sombres : les fameuses taches solaires, que Galilée observa le premier. "Le problème, reprend Charbonneau, c'est que plusieurs mécanismes peuvent produire ce champ magnétique, et l'on ne sait toujours pas lequel domine". Car divers processus physiques, à des échelles spatiales et temporelles différentes, mettent en mouvement le plasma, contribuant d'une façon ou d'une autre à la production du champ magnétique solaire. Les astrophysiciens ont identifié les trois principaux : la rotation différentielle, liée au fait que le Soleil tourne plus vite à l'équateur qu'aux pôles ; la convection, qui transporte la chaleur produite à l'intérieur du Soleil vers la surface sous la forme d'une multitude de panaches turbulents ; et la circulation méridienne, un écoulement qui s'opère de l'équateur vers les pôles à la surface du Soleil, et des pôles vers l'équateur en profondeur.
De l'ordre dans le chaos : "Le Soleil est un système très complexe et turbulent ; il est donc difficile de comprendre comment il s'auto-organise pour produire un cyde régulier, résume Allan Sacha Brun, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique. La grande question est donc : comment peut-on obtenir de l'ordre dans le chaos ?" Comment un rythme aussi régulier parvient-il à s'installer à partir de phénomènes aussi biscornus ? Si une explication détaillée demeure hors de portée, les scientifiques sont toutefois d'accord sur le rôle primordial tenu par la rotation du Soleil. Celle-ci étire les lignes du champ magnétique polaire (dit poloïdal) au niveau de l'équateur, où la vitesse de rotation est la plus forte, jusqu'à mettre en place un champ magnétique particulier dit toroïdal), qui s'enroule dans des plans parallèles au plan de l'équateur. C'est ce champ qui fait émerger les taches solaires ; il gagne en intensité lors de la partie montante du cycle.
Ce que les scientifiques ne parviennent pas à comprendre, en revanche, c'est la redescente du cycle. "Le problème, c'est comment se régénère le champ polaine de départ à partir du champ toroïdal créé par la rotation différentielle, explique Sami Solanki, de l'Institut Max-Planck de recherche sur le système solaire. Certains pensent que le phénomène se passe en surface, avec la circulation méridienne transportant le champ contenu dans les taches solaires de l'équateur vers les pôles. D'autres pensent que cela se joue dans les profondeurs via la force de Coriolis, qui imprime une torsion aux lignes du champ toroïdal telle qu'elle génère un champ poloïdal".
Pour l'instant, aucune piste ne l'emporte. Par conséquent, les modèles numériques basés sur les différents mécanismes envisagés parviennent à reproduire la dynamo solaire, et parfois aussi un cycle, mais pas avec la périodicité de onze ans caractéristique du Soleil. Ainsi, la dernière simulation réalisée par Paul Charbonneau fait émerger un champ magnétique dont la polarité s'inverse tous les... 40 ans. "Nous ne savons pas ce qui détermine la longueur du cycle, admet le chercheur. Mais c'est déjà remarquable de réussir à en reproduire un, régulier, sachant que d'autres simulations, pourtant très semblables dans leur conception, n'y parviennent pas. Preuve que l'on n'a pas tout compris". Le Soleil devrait donc garder ce mystère pendant quelques cycles encore.
2/ LE MYSTÈRES DES PANNES : Comment l'Activité du Soleil peut-elle s'Enrayer ?
Des modèles sont parvenus à reconstituer la survenue de pannes dans l'activité magnétique du Soleil (ici, en vert ->).
Si le Soleil défie les astrophysiciens avec ses cycles réguliers, c'est dans des abîmes d'incompréhension qu'il les précipite lorsque ses cycles se détraquent. La dernière fois, c'était en 1645. Pendant les soixante années suivantes, le Soleil a présenté un visage quasiment dépourvu de tache. Baptisé "minimum de Maunder", cet épisode a coïncidé avec une période de grand froid en Europe. De telles pannes se seraient produites à intervalles irréguliers 27 fois au cours des 110.000 dernières années. "On aucune idée de ce qui les provoque, avoue Paul Charbonneau (université de Montréal). On ne sait pas si le cycle s'arrête complètement ou s'il reste actif, mais pourvu d'un champ magnétique trop faible pour faire émerger des taches". Allan Sacha Brun, expert en modélisation du Soleil, penche pour cette seconde hypothèse, tout en proposant un mécanisme pouvant conduire à une panne : "Un cyde normal ne dure pas systématiquement 11 ans, il peut être de huit ou de quatorze ans. C'est donc qu'il existe des rétroactions entre le champ magnétique et les mouvements qui lui donnent naissance. On peut imaginer que ces rétroactions s'accumulent jusqu'à provoquer un arrêt". Par exemple, que le champ augmente au point d'empécher la rotation différentielle du Soleil. Or, comme elle est une des sources du champ, celui-ci finirait par se dissiper. "Ensuite, la turbuience rétablirait la rotation différentielle, qui régénèrerait in fine le champ magnétique", poursuit-il. De quoi expliquer à la fois la panne, et la reprise. "Avec des modèles simplifiés, on peut introduire des rétroactions aboutissant à des pauses, confirme Paul Charbonneau. Mais cela reste plus descriptif qu'explicatif". Inutile, donc, d'espérer prévoir les pannes d'un Soleil dont on ne parvient déjà pas à prédire la marche normale...
3/ LE MYSTÈRES DES FLASHS : Quel est le déclecheur des Flashs Solaires ?
"Tout le problème est de trouver le petit déséquilibre qui va déclencher le flash", résume Guillaume Aulanier, astrophysicien à l'Observatoire de Paris. Les scientifiques comprennent dans les grandes lignes comment naissent les éruptions à la surface du Soleil, avec leurs flashs de lumière aveuglants et leurs geysers de plasma. Ils savent d'où vient l'énergie: l'atmosphère au-dessus des taches, tourmentée par des champs magnétiques 1000 fois plus puissants que la moyenne, en est une source inépuisable. Enfin, ils pensent avoir compris comment cette énergie est transformée en lumière : lorsqu'une boucle magnétique se rompt avant de se reformer - ce phénomène est appelé "reconnexion" -, elle libère une partie de son énergie dans le milieu environnant. Mais les scientifiques butent encore sur le début de l'histoire : d'où vient l'étincelle ? Quel phénomène déclenche la rupture initiale des lignes de champ magnétique ? "Ce problème réunit les principales difficultés de la physique solaire, explique Etienne Pariat, qui travaille sur le sujet à l'Observatoire de Paris. D'abord, il dépend principalement des champs magnétiques de l'atmosphère solaire, que nous ne pouvons observer à distance. Nous sommes donc obligés de nous fier à des mesures indirectes, comme la forme des courants de plasma. Ensuite, c'est un phénomène multi-échelle : l'énergie magnétique est stockée au-dessus de taches solaires qui font 100.000 km. Or, le phénomène de reconnexion s'étend sur 1 à 10 m, ce qui, en trois dimensions, nous amène à une différence d'échelle de 10-24 ! Aucune équipe n'est capable de simuler cela". Résultat : certains astrophysiciens se cantonnent à la modélisation des phénomènes globaux, quand d'autres se concentrent sur les effets les plus fins... sans, malheureusement, pouvoir coupler leurs méthodes.
Plus que deux modèles en compétition : Pour autant, grâce aux récentes observations du Solar Dynamics Observatory (SDO), deux modèles sont en train de se distinguer parmi les dizaines qui, il y a quelques années encore, étaient en lice. Le premier est un vieux modèle, mis de côté dans les années 1970 parce qu'il ne tenait pas compte des spécificités physiques du plasma, et qui vient tout juste d'être ramené à la vie successivement par trois équipes (une américaine, une allemande et une française) : l'éruption pourrait tout simplement naître d'une instabilité magnétique juste au-dessus de la surface du Soleil : les lignes de champ magnétique se tordraient jusqu'à se rompre, libérant une bulle de plasma de la prison électrique dans laquelle elle était confinée. Dans sa traînée, l'énergie magnétique serait transformée en lumière : le fameux flash lumineux.
Le deuxième scénario met en scène la rupture de deux lignes de champ magnétique dans la haute atmosphère du Soleil, à plus de 50.000 km de la surface, qui initierait l'embrasement en donnant naissance à une perturbation magnétique qui se propagerait jusqu'à la surface solaire. "Ce qui est diabolique avec ces approches, c'est que, de loin, elles se ressemblent toutes, convient Guillaume Aulanier, qui défend, lui, la première option. D'ailleurs, une fois la simulation lancée, elles se comportent de la même manière. Mais il est vital de faire un choix, car c'est ce qui va nous permettre de déterminer quels sont les signes observables efficaces pour prédire qu'une éruption va se produire".
Trouver des signes annonciateurs de l'émergence d'un flash... Les astronomes sont encore loin de cet objectif, qui donnerait aux Terriens le temps de sortir les parapluies face à ces bourrasques solaires. Ils ont bien remarqué que des boucles magnétiques en forme de S donnent naissance, ou tard, à une éruption ; que lorsque deux taches solaires de polarité opposée se trouvent côte à côte, elles ont tendance à créer des instabilités ; que des microéruptions précédent souvent une éruption... Mais ces indicateurs empiriques ont l'énorme défaut d'être qualitatifs. En aucun cas ils ne permettent de conclure sous forme de probabilités précises. Sans compter que le mystère vient encore de s'épaissir : les observations du télescope SDO montrent depuis 2011 que deux éruptions survenant d'un bout à l'autre du Soleil pourraient être liées. "On savait depuis une vingtaine d'années qu'il était possible que de telles éruptions en cascade se produisent, précise Tibor Torok spécialiste du sujet au laboratoire Predictive Science, à San Diego (États-Unis). Mais on s'aperçoit aujourd'hui que c'est loin d'être un phénomène anecdotique". Ainsi, des arcades de champ magnétique, à 400.000 km d'altitude dans l'atmosphère solaire, pourraient relier des taches d'un hémisphère à l'autre, se briser lors d'un premier flash et libérer l'énergie nécessaire pour en provoquer un second, des centaines de milliers de kilomètres plus loin. Des liens au long cours dont il faudra tenir compte, quel que soit le modèle finalement choisi pour établir des prédictions. Pour Allan Sacha Brun, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique, il ne reste en définitive qu'une seule solution : accumuler encore les observations. "Grâce aux satellites SDO et Stereo, on a accumulé des mesures d'éruptions sur plus d'un cycle soloire. Il faut les étudier au cas par cas et faire des statistiques, précise-t-il. Le travail vient tout juste de commencer"...
4/ LE MYSTÈRES DES ÉJECTIONS : Comment le Soleil peut-il propulser sa propre Matière dans l'Espace ?
Par la simulation numérique, les scientifiques commencent à comprendre les mécanismes de l'éjection du plasma lorsque le Soleil entre en éruption (->).
Le scénario paraît d'une terrifiante simplicité : une fois entré en éruption, le Soleil expulse à des vitesses fantastiques les protons contenus dans sa couronne, et propulse même dans l'espace interplanétaire une partie de son atmosphère, faite de plasma magnétique. On ne s'attendait pas à moins... sauf que les astrophysiciens ne comprennent toujours pas les mécanismes de ces éjections ! Et sont donc incapables d'anticiper d'éventuelles conséquences sur Terre. Pour expliquer l'accélération des protons, une bonne dizaine de scénarios ont été proposés, sans qu'aucun ne se dégage. "Ces processus sortent du cadre du modèle théorique du Soleil, on ne sait pas faire", reconnait volontiers Guillaume Aulanier, de l'Observatoire de Paris. En attendant, l'attention des scientifiques se reporte sur les bulles d'un milliard de tonnes de plasma que le Soleil éructe jusqu'a 2500 km/s. Ce phénomène prendrait naissance à partir d'un tube de flux magnétique déstabilisé lors de l'éruption. Mais ensuite, "la structure du champ magnétique éjecté fait débat, signale Guillaume Aulanier. Seul un tiers des mesures s'accorde avec la théorie, qui prédit un tube de champs torsadés". Sans compter que la forme de ces ectoplasmes varie grandement d'une éjection à l'autre. Leur propagation interroge aussi: ils semblent accélérés mais parfois... ralentis, sans doute sous l'influence du vent solaire. "Manifestement, le vent solaire érode leur structure magnétique", ajoute Miho Janvier, chercheuse à l'Observatoire de Paris.
5/ LE MYSTÈRES DES MEGAÉRUPTIONS : notre Étoile est-elle sujette à des Éruptions Monstrueuses ?
Cette question s'est invitée, depuis un an, dans les colloques d'astrophysique. Où elle réussit l'exploit de transformer ces réunions d'habitude si policées en véritable pugilat, sur fond de publications rageuses et de portes qui claquent. C'est peu dire que l'hypothèse des superéruptions solaires fait polémique...
Tout a commencé le 24 mai 2012, avec la publication dans la revue Nature d'une étude menée par une équipe japonaise qui s'était attelée au dépouillage des données du télescope Kepler, afin d'y relever les signes de superéruptions sur la myriade d'étoiles suivies. Par "superéruption", entendez un phénomène 100, voire 1000 fois plus puissant que les plus furieuses tempêtes connues à ce jour sur notre Soleil ! En portant leur attention sur 148 astres de type solaire (montrant une structure similaire à celle de notre étoile), ces astrophysiciens ont repéré par photométrie 365 superéruptions. Ce qui, en soi, n'est pas très étonnant, car dans ce bestiaire stellaire, on trouve notamment des astres jeunes qui tournent très vite sur eux-mêmes, et qui accumulent ainsi, par effet dynamo, une énergie magnétique dantesque prête à exploser. Mais les chercheurs de l'université de Kyoto ont levé un lièvre : 14 des superéruptions détectées concerneraient des étoiles semblables au Soleil, à la faible vitesse de rotation.
Tous les 800 à 5000 ans : Un coup de tonnerre pour Hiroyuki Maehara, auteur principal de l'étude : "Tout le monde s'attendait à ce que l'énergie des éruptions soit proportionnelle à la vitesse de rotation d'une étoile, or, il n'en est rien ! La vitesse de rotation ne joue que sur la fréquence de ces manifestations, et non sur leur puissance". Et, d'après les calculs effectués sur ce modeste échantillon d'étoiles analogues au Soleil, les superéruptions surviennent tous les 800 à 5000 ans. "Ce travail est très intéressant, juge Rachel Osten, astronome à l'Institut de science du télescope spatial (États-Unis). Il a le mérite d'étayer les réflexions entamées il y a une décennie par quelques astrophysiciens". Pour autant, jusqu'où s'applique-t-il à notre étoile ? C'est ici que le mystère s'épaissit. Interloqués par ces travaux, des chercheurs de l'Observatoire de Paris n'ont pas tardé à se pencher sur la question. D'abord en plongeant dans un siècle de leurs archives pour retrouver la plus grande concentration de taches solaires jamais observée sur notre étoile - c'était en avril 1947 -, puis en recherchant le plus grand flux magnétique solaire jamais mesuré, et en faisant tourner leurs simulations numériques pour obtenir l'énergie de l'éruption correspondante. Verdict ? Cette éruption virtuelle poussée au maximum (6.1026 joules) reste 15 fois inférieure aux superéruptions envisagées par les Japonais. D'autant que, après vérification, aucun événement répertorié ou reconstitué sur 11.000 ans à partir d'isotopes ne dépasse cette limite. Guillaume Aulanier, de l'Observatoire de Paris, n'en démord pas : "Pour parvenir au phénomène décrit par l'équipe japonoise, il faudrait réunir tout le flux magnétique du Soieil dans un seul groupe de taches, un peu comme si tous les vents de la Terre se concentraient en un point pour former une monumentale tornade : tout simplement invraisemblable" ! Fermez le ban ? Pas du tout. Si Hiroyuki Maehara, lui aussi, peine à y croire, son confrère Kazunari Shibata, autorité mondiale en physique solaire, reste absolument persuadé que notre étoile est susceptible d'entrer en superéruption : "J'ai vérifié que ce phénomène pouvait entrer dans le cadre théorique de la dynamo solaire. Eh bien, on peut envisager qu'un flux magnétique s'accumule au fil du temps, en profondeur, dans une zone stable située sous la zone de convection du Soleil... avant de remonter à la surface. D'après mes calculs, il ne faudrait que 8 à 40 ans pour rassembler cette énergie". "J'appelle cela couper les cheveux en quatre, réfute Guillaume Aulanier. Le modèle imaginé ici me semble irréaliste. Commençons par reprendre les données du télescope pour leur analyse. L'éminent astrophysicien néerlandais Karel Schrijver doit s'interposer : "L'historique que nous possédons sur le Soieil - notamment les radio-isotopes - ne témoigne pas d'éruptions extrêmes, alors que les observations stellaires suggèrent qu'elles existent. Ces deux approches présentent de possibles faiblesses. Nous devons résoudre ce mystère". Ce à quoi s'emploient actuellement de nombreuses équipes, dans une ambiance à couteaux tirés.
B.B., M.F. et V.N. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2013 |
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Les Excès du Soleil Menacent nos Sociétés |
Réseau électrique, satellites... ces piliers du monde modernes sont vulnérables aux perturbations solaires. Au risque de créer le chaos !
Des cycles d'humeur difficiles à cerner, d'imprévisibles colères, d'inattendues phases de léthargie, une éventuelle crise de folie... Le portrait du Soleil brossé aujourd'hui par les astrophysiciens est bien loin de l'image de l'astre placide et immuable, se couchant doucement à l'horizon. C'est en réalité celui d'un monstre boursouflé et imprévisible, capable du pire ! Un monstre que la Terre côtoie à "seulement" 150 millions de km de distance, un endroit remarquablement habitable, mais a portée de son tempérament intempestif. Ce qui, au-delà des cinq grands mystères cosmiques qui en font encore une énigme, pose certaines questions particulièrement terre à terre, mais non moins vertigineuses.
Car si, vus depuis le Soleil, les pannes, cycles, flashs, éjections et mégaéruptions sont de fascinants mystères, vus depuis le plancher des vaches, ce sont surtout des menaces dont les effets sont souvent loin d'être anodins, voire carrément cataclysmiques ! Exagéré ? Pas selon les auteurs des nombneux rapports scientifiques qui, depuis environ 5 ans, appellent à la mobilisation au plus haut niveau des Etats pour que ces risques soient pris plus au sérieux. Et ils commencent à être convaincants, comme le montre l'inauguration à Bruxelles, le 3 avril dernier, d'un grand centre européen de météorologie spatiale censé prédire ces perturbations solaines, à l'instar de son homologue américain, le Space Weather Prediction Center, en place depuis 1990 dans le Colorado. Cet empressement repose sur un constat indiscutable : jamais l'humanité n'a été aussi vulnérable aux sautes d'humeur du Soleil. Il n'est pas question, ici, des pannes qui affectent parfois notre astre. Bien qu'elles soient historiquement associées à des périodes de refroidissement, comme lors du petit âge glaciaire, il y a 500 ans, il n'y a pas d'urgence particulière a en prédire la venue, dans le contexte actuel du réchauffement climafique lié a l'homme. Il ne s'agit pas non plus des effets sur les variations climatiques des mystérieux cycles du Soleil. Le sujet, très sensible depuis que le cycle en cours masque une partie du réchauffement, reste dans le domaine classique de la climatologie terrestre (encadré ci-dessous).
UN ARGUMENT POUR LES CLIMATOSCEPTIQUES ?
Les climatosceptiques brandissent souvent cet argument : depuis le début des années 2000, la courbe de l'évolution de la température du globe ressemble plus à un plateau ondulé qu'à une dangereuse ascension. Une accalmie qui démontre, à leurs yeux, l'absence d'un réchauffement lié à l'homme. Or, c'est oublier les fluctuations naturelles qui caractérisent le climat aux échelles décennales, en particulier celles liées aux cycles solaires. Judith Lean, du Naval Research Laboratory, à Washington, a calculé qu'entre le minimum et le maximum d'un cycle (cinq ans et demi), l'augmentation de la luminosité du Soleil fait grimper la température terrestre de 0,1°C. Un chiffre à rapprocher du réchauffement climatique enregistré depuis 30 ans : 0,16°C par décennie. De sorte qu'au cours de son cycle, le Soleil va alternativement renforcer, puis s'opposer à la tendance au réchauffement. Plus précisément, "une grosse partie du réchauffement de la dernière décennie a été annulée par le fait qu'après le maximum d'activité du dernier cycle, en 2002, le Soleil est entré dans une phase prolongée de déclin", analyse Judith Lean. Mais même en partie masqué par les humeurs du Soleil, le réchauffement est bel et bien en cours. |
TOUT UN RÉSEAU MIS EN PÉRIL
Les inquiétudes formulées concement les trois autres grands mystères du Soleil, directement liés aux éruptions : les flashs, les éjections et les mégatempêtes. Car nous sommes devenus paniculièrement fragiles face à ces flots d'énergie. Alors que les jets de rayons X, de protons ultraénergétiques et de plasma magnétique passaient inaperçus il y a moins de deux siècles (en dehors des aurores boréales), ils ont aujourd'hui des conséquences calamiteuses sur les technologies modernes. Qu'on en juge ! Les rayons envoyés par le flash d'une éruption changent les propriétés de notre ionosphère (couche haute de l'atmosphère), ce qui peut bloquer la transmission des messages radio haute fréquence utilisés par les pilotes de ligne et les armées, et fausser le signal des satellites GPS qui servent à la navigation aérienne et maritime, à la synchronisation des télécommunications, etc. Les protons, eux, maltraitent les panneaux solaires des satellites en orbite et, surtout, modifient l'état électrique des composants de leurs ordinateurs de bord, avec moult bugs à la clé. Tandis que le plasma magnétique fait entrer la tempête dans une autre dimension : le contact de son champ magnétique avec celui de la Terre peut induire - à partir des hautes latitudes - un courant électrique dans le sol, qui va se faufiler dans les lignes haute tension en déstabilisant le réseau électrique, et semer aussi la zizanie dans les câbles sous-marins, les pipelines, les voies de chemin de fer...
Bon nombre de nos infrastructures sont donc menacées par les colères du Soleil. Qui ne sont pas, en soi, plus virulentes : c'est juste que le monde moderne y est devenu sensible. Et cela n'avait pas vraiment été anticipé... Extension des réseaux terrestres, dépendance aux satellites, miniaturisation des composants électroniques : "Ces tendances se sont développées très vite, sans prendre en compte leur grande sensibilité aux événements spatiaux", observe Frédéric Clette, physicien à l'Observatoire royal de Belgique. Le cas des orages magnétiques est édifiant. Leurs conséquences sont connues depuis longtemps : depuis les 28 et 29 août 1859 exactement, lorsque de puissants courants induits provoquèrent l'électrocution de nombreux télégraphistes. "La prise de conscience du risque varie en fonction des époques et des secteurs, analyse Mike Hapgood, direvteur du laboratoire d'environnement spatial Rutherford Appleton (Angleterre). Contrairement à l'industrie des satellites, le secteur électrique peine à se sentir concerné. Alors que le premier impact remarqué sur un réseau remonte à 1938, la question des orages magnétiques n'a été prise au sérieux qu'à partir de 1989, quand l'un de ces phénomènes plongea tout le Québec dans le noir durant 9 heures". Les 28, 29 et 30 septembre 2003, une autre tempête solaire (la "tempête d'Halloween") fit office de piqûre de rappel, cette fois-ci pour les compagnies aériennes, obligées de dérouter tous les vols reliant l'Amérique et l'Asie par le Nord, de crainte de voir leurs pilotes privés de communication. Tempête lors de laquelle l'Agence spatiale japonaise perdit un précieux satellite d'étude du climat. Face à ces perturbations, l'idéal serait de pouvoir prendre longtemps à l'avance des mesures préventives, en mettant en sommeil tel appareil, en reportant telle opération... Ce à quoi aspirent les quelque 32.000 abonnés aux bulletins de l'Agence américaine de météo spatiale (principalement des opérateurs du spatial et des compagnies aériennes, mais aussi les compagnies pétrolières). Sauf que, sans modèle physique fiable de l'astre solaire, les ingénieurs en sont réduits à tenter d'identifier des signaux précurseurs, à chercher fébrilement des corrélations, à puiser dans leur mémoire, puis à compter sur leur flair ou... leur bonne étoile. Autrement dit, à faire de la météo solaire. "On cherche à déceler au sein des structures de taches solaires, le signe que le feu d'artifice va se produire immanquablement", explique Frédéric Clette. Mais quand ? Comment ? Et avec quelle intensité ? Pour l'heure, tance Etienne Pariat, astrophysicien à l'Observatoire de Paris, "c'est comme si on essayait d'évaluer une probabilité de pluie en regardant un cumulonimbus". Sachant que lorsque l'événement a lieu à la surface, il est souvent trop tard : les rayons arrivent en huit minutes ; les protons au bout d'une demi-heure ; le plasma met des dizaines d'heures à nous parvenir, mais sa virulence n'est connue qu'à la hauteur du satellite ACE, à moins de 1 million de km de la Terre, distance avalée en une dizaine de minutes. "Nous en sommes au stade de la météorologie terrestre des années 1940, avec deux, trois bouées au milieu de l'océan et quelques navires qui envoient des télex pour annoncer la progression d'une perturbation", compare Frédéric Clette. Tout cela ne serait pas si inquiétant si la météo spatiale se résumait au petit crachin dont s'accommodent les Scandinaves, les Russes et les Canadiens - moins protégés, aux hautes latitudes, par la magnétosphère - secoué de temps à autre par quelques rafales solaires aux conséquences somme toute assez bénignes... Seulement voilà, tous les scientifiques savent qu'une tempête solaire majeure est, à terme, inévitable. Elle pourrait avoir lieu demain, ou dans 30 ans, quelle que soit la phase du cycle solaire. Nul ne sait quand elle se produira, mais elle se produira ! C'est statistique.
DÉMUNIS FACE À CE BIG ONE SPATIAL
Reste à prédire l'intensité d'un tel phénomène, l'équivalent de la crue "du siècle" ou "du millénaire" d'un fleuve. Inutile de préciser que les ingénieurs n'ont encore pris aucune disposition pour résister à ce "Big One" spatial. John Kappenman, ingénieur spécialiste des réseaux électriques, travaille depuis longtemps sur un scénario noir. "Dans les archives, on trouve la trace d'un courant induit faramineux détecté lors de l'orage magnétique du 14 au 15 mai 1921", explique-t-il. Après avoir simulé cette perturbation sur le réseau électrique nord-américain actuel, il en a conclu que ce courant pourrait faire sauter 350 grands transformateurs, privant d'électricité au moins 130 millions de personnes durant plusieurs jours, sinon des semaines, voire des mois. C'est qu'un black-out d'origine solaire n'est pas un black-out comme les autres : le courant induit détruit littéralement les transformateurs, des machines sophistiquées dont la fabrication, sur mesure, demande plusieurs mois. On imagine sans mal le chaos régnant alors dans le pays, les magasins à court de nourriture, les hôpitaux dont les générateurs de secours tombent en panne sèche, les réacteurs nucléaires qui peinent à refroidir leur cour radioactif... Sans parler de la destruction de dizaines de satellites de communication, pour ajouter à la panique. Un rapport de l'Académie des sciences américaines, qui reprenait en 2008 les travaux de Kappenman, évalue le coût d'un tel ouragan à 1000 ou 2000 milliards de dollars.
Ces conclusions apocalyptiques semblent à peine croyables. Elles ont au moins le mérite d'éveiller l'intérêt. L'Académie des technologies britannique vient de publier une étude d'impact d'une tornade spatiale ; la Commission européenne a ouvert un groupe de travail ; les spécialistes d'analyse des risques s'essaient à de savants calculs. "L'étude de la série de conséquences de ces tempêtes ne fait que commencer", estime l'astrophysicien Volker Bothmer (université de Gottingen, Allemagne), qui milite pour lancer une armada de satellites d'alerte avancés, à l'image des systèmes de détection des tsunamis. Beaucoup reste aussi à accomplir pour comprendre les interactions complexes de la matière solaire avec le système Terre. Mais Mike Hapgood insiste : "Le problème des événements rares et extrêmes doit être pris en charge au niveau gouvernemental, car cela concerne la société entière. Nous devrions considérer la météo spatiale comme un risque naturel, au même titre que les inondations, les séismes ou les éruptions volcaniques. Même si, nous n'avons pas encore réussi à définir la tempête de référence à prendre en compte, en fonction de sa fréquence d'apparition". Serait-ce celle de l'année 775, révélée l'an demier dans les cernes de deux cèdres japonais et qui s'est avérée 20 fois plus énergétique que toute autre tempête connue à ce jour ? Salon Ilya Usoskin, géophysicien à l'université d'Oulu (Finlande), "l'événement de 775 n'a pas d'équivalent au cours des 10.000 demières années.
Il y a peut-être encore pire. C'est l'hypothèse de la mégaéruption, 1000 fois plus puissante que les plus féroces jamais recensées. Une violence presque inenvisageable. Au point que personne n'a encore osé, semble-t-il, modéliser son impact sur Terre. Brian Thomas, spécialiste des radiations à l'université Washburn (États-Unis) et auteur de travaux sur l'origine spatiale de l'extinction massive de l'Ordovicien (il y a 440 millions d'années), imagine "une réduction majeure de la couche d'ozone provoquant des risques bioiogiques dus aux rayons UV, et il n'est pas impossible que cela mène à des extinctions". Kazunari Shihata, physicien japonais à l'université de Kyoto, qui croit à la nécessité d'informer l'humanité sur ce risque extrême, voit pour sa part un "complet désastre technologique au niveau mondial, la mort quasi certaine sous les radiations des astronautes et des passagers de certains vols long-courriers, mais pas de problème de santé à moyen terme pour les Terriens".
Pannes du Soleil, cycles détraqués, éruptions intempestives, orages magnétiques, mégatempêtes : pour la première fois dans l'histoire de leur discipline, les astrophysiciens sont soumis à l'urgence de comprendre...
B.B., M.F. et V.N. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2013 |
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