Les Pesticides Attaquent la France

L'Eau Potable en France Polluée à Grande Échelle (Chlorothalonil)

H.G. - SCIENCE & VIE JUNIOR N°405 > Juin > 2023

Des Pesticides Omniprésents

Presque tous les cours d'eau français (93 % des 2.360 sites examinés) sont contaminés par des pestitides.

D'après le bilan 2011 des agences de l'eau, dans 17 sites (0,8 %), situés dans les zones très cultivées du Nord, du Bassin parisien et du Sud-Ouest, leur concentration dépasse 5 µg/l : l'eau ne peut plus être transformée en eau potable.

V.E. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2013


Les Pesticides Attaquent la France

Scientifiques et médecins tirent la sonnette d'alarme : ces produits risquent de poser un problème de santé publique en provoquant des allergies, des cancers et des perturbations endocriniennes. Au banc des accusés : l'agriculture intensive.

Dans l'eau, dans l'air, dans notre assiette... Les pesticides sont partout. Après plus de 50 ans d'agriculture intensive et de remembrements abusifs encouragés silencieusement par les pouvoirs publics, l'heure des comptes a sonné. Dans tous les domaines, les scientifiques et les médecins tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années. "La quasi totalité des cours d'eau et une grande partie des eaux souterraines sont contaminées par les pesticides", affirme Sylvie Detoc, responsable des eaux continentales à l'Ifen (Institut français de l'environnement).

Une contamination qui se répercute bien sûr au niveau du robinet. Sur la période 1993-1995 (dernières statistiques connues), 6,5 millions de personnes ont reçu une fois au moins une eau dépassant les limites autorisées en pesticides.
Encore plus inquiétant : l'air que nous respirons est aussi contaminé par les phytosanitaires. D'après plusieurs études réalisées en Europe, les concentrations de pesticides dans l'eau de pluie et les brouillards peuvent être 10 à 140 fois plus importantes que la limite définie pour l'eau potable. Point de salut non plus dans notre assiette. Le dernier rapport de la commission européenne publié cet été est sans pitié : près du tiers des fruits, légumes et céréales européens contiennent des résidus de pesticides.
Dans les années à venir, ces polluants risquent fort de poser un véritable problème de santé publique... Au niveau mondial, l'Inra (Institut national de recherche agronomique) estime que les pesticides sont responsables d'un million d'intoxications accidentelles chaque année. À moyen terme, les phytosanitaires pourraient provoquer des allergies, des effets cancérigènes et peut-être aussi des perturbations endocriniennes. Les pesticides chlorés sont répertoriés depuis longtemps comme substances cancérigènes pour la molle osseuse par la FNCLCC (Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer). Mais sur les 800 principes actifs qui servent à l'élaboration de quelque 8000 pesticides présents sur le marché, il est très difficile de connaître les effets cumulatifs.

La législation inappliquée

Au banc des accusés, on retrouve bien sûr l'agriculture. Après les États-Unis et le Japon, la France arrive au troisième rang des utilisateurs mondiaux de pesticides. Sur les quatre kilos déversés par hectare de terre agricole, une bonne partie part "dans la nature" pour cause de mauvaise utilisation. lis peuvent se volatiliser dans l'air (surtout par temps humide), ruisseler ou être lessivés par les pluies (on les retrouve alors dans les rivières et les eaux souterraines), ou encore être absorbés par des animaux ou des micro-organismes du sol. "Le lobby des gros agriculteurs et celui des producteurs phytosanitaires avancent main dans la main et sont très puissants, assure Michel Merceron, vice-président de l'association Eau et Rivières de Bretagne. Les législations protégeant les ressources en eau existent, mais elles ne sont pas appliquées". Dans les régions rurales, les gros exploitants siègent souvent en mairie ou dans les conseils généraux, et freinent des quatre fers dès qu'on parle d'environnement. Ainsi, en France, à peine 16 % des captages d'eau potable bénéficient d'un périmètre de protection, alors que la loi sur l'eau de 1992 a rendu obligatoire cette mesure depuis... 1997. "Quelques mesures simples comme le réglage des pulvérisateurs, la réfection des talus ou la mise en herbe des bords des cours d'eau permettraient facilement de limiter les dégâts", regrette Michel Merceron. Mais les agriculteurs, soutenus par la puissante FNSEA, renâclent à changer leurs habitudes et leurs appétits de subventions.

Les Français inquiets

De leur côté, les producteurs de phytosanitaires se livrent à une bataille sans merci pour s'approprier des parts de marchés à coups de nouvelles molécules toujours plus efficaces et sophistiquées. Comme dans les affaires de dopage dans le sport, les industriels ont toujours une longueur d'avance sur les laboratoires de contrôle. Ils affirment que leurs produits sont de plus en plus sûrs. La réglementation est certes très contraignante, mais elle ne prend pas en compte les effets de synergie entre les pesticides et leurs effets cumulatifs sur l'organisme.
Dominique Voynet, ancienne ministre de l'Environnement, a réussi à instaurer une taxe sur les produits phytosanitaires qui a rapporté péniblement 18 millions de francs en 2000. En revanche, le texte de la nouvelle loi sur l'eau - qui est aujourd'hui sur la table du Premier ministre - a été élagué de tout durcissement réglementaire sur les pesticides par les lobbies agricoles et phytosanitaires. Et pourtant, d'après un sondage SOFRES réalisé par l'UIPP (le lobby de l'industrie phytosanitaire) en juin dernier, 52 % des Français "considèrent que les pesticides sont dangereux par principe, quelles que soient les doses d'utilisation". Un chiffre qui devrait faire réfléchir les politiques...

Entretien

Sylvie Detoc, "L'ensemble des cours d'eau testés est contaminé", responsable des eaux continentales à l'ifen (Institut français de l'environnement) est l'auteur du rapport "Les Pesticides dans les eaux".

JONAS : Les ressources en eau sont-elles menacées par les pesticides ?
SYLVIE DETOC : La situation est préoccupante. D'après le bilan des données collectées en 1998 et 1999, l'ensemble des cours d'eau testés est contaminé par les pesticides. Plus inquiétant encore, près de 75 % des eaux souterraines du nord-est de la France - seule zone pour l'instant étudiée - contiennent aussi des pesticides. Les ressources en eau des Antilles, de la Guyane et dans une moindre mesure de La Réunion sont aussi très contaminées. L'agriculture, les services d'entretien des collectivités ou des routes et autoroutes ainsi que les jardiniers amateurs sont les principaux responsables de ces pollutions. La famille des triazines (désherbants du maïs) reste le produit le plus souvent détecté. Mais au total, on retrouve plus de 300 pesticides différents dans les rivières françaises.

JONAS : Comment lutter contre les pesticides ?
S. D. : On connaît encore mal les impacts précis de tous ces pesticides sur la santé publique et l'environnement. Mais il s'agit de produits toxiques, souvent dangereux à long terme. Il faut donc prendre cette contamination très au sérieux. Les réglementations pour protéger les ressources en eau existent, mais il faut se donner les moyens de les faire respecter. Cela passe aussi par une réflexion de fond sur l'aménagement du territoire : par exemple, faut-il poursuivre l'agriculture intensive sur certains secteurs sensibles, au détriment de la qualité de l'eau ? N'oublions pas qu'il faudra parfois des dizaines d'années pour améliorer la qualité des eaux souterraines. Il est donc urgent d'agir énergiquement contre les pesticides. PROPOS RECUEILLIS PAR J.R.

La moitié des primeurs français "contrôlés positifs"

Les consommateurs européens, particulièrement en France, sont exposés aux pesticides contenus dans de nombreux fruits et légumes.
Une chance sur trois. C'est la probabilité de tomber en Europe sur un fruit ou un légume contaminé par des résidus de pesticides. Sur les 40.000 échantillons de fruits, légumes et céréales inspectés dans l'Union européenne* en 1999, 32 % ont été contrôlés positifs à un des 142 pesticides recherchés et 4,3 % des échantillons dépassent la LMR (limite maximale de résidus) définie par la réglementation communautaire. Plus inquiétant encore : ce dernier chiffre connaît "une hausse significative", suivant le langage policé de l'Union européenne. En France, c'est carrément plus de la moitié des fruits, légumes et céréales qui contiennent des pesticides, et 8 % qui dépassent la LMR. Au rayon primeurs, souvenez-vous que les produits les plus exposés aux traitements des pesticides sont les poivrons, les melons, les choux-fleurs et les grains de blé. La Commission européenne s'inquiète également de la présence de pesticides non adaptés aux végétaux sur lesquels ils se trouvent. De nombreux échantillons de poires contenaient ainsi du chlorméquat, un régulateur de croissance pour les céréales utilisé de façon illégale pour accélérer la chute des poires.

* Rapport consultable

J.R. - JONAS > Octobre > 2001

 

   
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