CONTEXTE : Après l'Eyjafjallajökull en 2010 et le Grímsvötn en 2011, le Bardarbunga commence à entrer en éruption au moment où nous écrivons ces lignes. Située à la rencontre entre les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne, l'Islande connaît plus d'une vingtaine d'éruptions par siècle. Ses trente systèmes volcaniques sont prompts à s'emballer à tout moment. Le 18 août, l'agence météorologique islandaise alertait sur le risque imminent d'éruption du volcan Bardarbunga. Semant aussitôt un début de panique : chacun se souvient du panache de cendres libéré par l'Eyjafiallajokull qui, en avril 2010, cloua au sol 8 millions de voyageurs. Ce chaos aérien émeut à peine les volcanologues : ils savent que l'Islande et sa géologie hyperactive sont capables du pire. Largement pire, en tout cas, que l'annulation de dizaines de milliers de vols... "Pour modeste qu'elle fut, l'éruption de 2010 nous a rappelé à quel point notre société était vulnérable au risque volcanique", confie Anja Schmidt, de l'Institut du climat et des sciences de l'atmosphère à l'université de Leeds (Angleterre). "Dans ce scénario du Laki, ce n'est pas tant la masse de cendres émises qui nous inquiète que la rejet d'une quantité phénoménale de gaz aux effets nocifs, précise Pierre Delmelle, spécialiste des rejets volcaniques à l'université catholique de Louvain, appelé auprès de la cellule britannique. Car il s'agit d'un type d'éruption particulier, qui se déroule le long d'un réseau de fissures (et non jaillissant d'un seul cône volcanique) situé dans le sud-est de l'IsIande". Ces éruptions effusives répétées et régulières sont un cas unique au monde. Or, l'activité enregistrée dans cette région d'Islande fait craindre un événement du calibre de 1783 tous les deux à cinq siècles... "Oui, une telle éruption est tout à fait possible dans les prochaines décennies", lance Patrick Allard, directeur de recherche à l'Institut de physique du globe de Paris. UN DÉSASTRE AGRICOLE Outre ces particules, les scientifiques s'inquiètent de la toxicité des gaz émis. Non sans raison : en 1783, environ 20 % de la population islandaise, mais aussi 80 % des moutons et 50 % des chevaux et bovins avaient péri, sans que les causes soient clairement établies. Aujourd'hui, le fluor émis par le volcan est pointé du doigt. Déposé sur l'herbe et dans l'eau, cet élément chimique attaque le squelette de celui qui le consomme. "Les magmas islandais sont particulièrement riches en fluor, et la question de son transport à longue distance vers l'Europe se pose sérieusement", alerte Pierre Delmelle. Des chercheurs tentent actuellement d'évaluer la concentration sur le sol européen de tous les gaz dangereux émis par un possible équivalent du Laki : dioxyde de soufre, fluorure d'hydrogène, acide chlorhydrique... Tandis que les effets conjugués de ces gaz et la présence de métaux lourds (mercure, arsenic et iridium) sont également interrogés. Une chose semble certaine : les dégâts environnementaux seraient majeurs. "Les nuages de dioxyde de soufre et d'acide chlorhydrique brûlent et nécrosent les végétaux, empêchant toute photosynthèse et toute absorption des nutriments", décrit Pierre Delmelle. Et pour ne rien arranger, ce brouillard volcanique pourrait modifier le climat européen pendant des mois. "Des études tendent à montrer que le Laki serait à l'origine d'un été 1783 très chaud et d'un hiver très froid, mais ces résultats font encore largement débat", expose Claire Witham, du Met Office, l'agence de météo britannique. Le débat porte, entre autres, sur l'altitude des émissions et leur persistance dans l'atmosphère. Lourd bilan humain, récoltes désastreuses, météo déréglée, et, pour finir, à la différence de l'Europe du XVIIIè siècle, des conséquences sur nos infrastructures modernes. À commencer par les avions, dont les cendres volcaniques menacent d'étouffer les réacteurs... Toutefois, un chaos aérien semblable à celui de 2010 semble écarté, les procédures ayant depuis été revues (lire l'encadré).
LA FRANCE MAL PRÉPARÉE Cependant, avertit Philippe Husson (Centre consultatif sur les cendres volcaniques de Toulouse, Météo France), le problème des nuages toxiques n'a pas encore été évalué. "Or, un panache de dioxyde de soufre pourrait poser de lourds problèmes respiratoires aux pilotes", aux risques de les empêcher d'assurer le vol. Par ailleurs, les effets de ces nuées très acides sur nos réseaux électriques ou électroniques restent inconnus. Selon Grant Wilson, de l'université de Canterbury (Nouvelle-Zélande), l'un des seuls chercheurs à explorer le thème, "après plusieurs mois d'exposition, les réseaux pourraient souffrir de corrosion". Les responsables britanniques et islandais sont d'ores et déjà sur le pied de guerre. "Depuis 2010, de nouveaux instruments ont été mis en place autour des systèmes volcaniques islandais : stations sismiques, capteurs GPS, caméras infrarouges, détecteurs d'infrasons, détaille Claire Witham. Des recherches sont aussi lancées pour nous permettre d'anticiper l'ampleur et la durée d'une éruption, ce qui est impossible aujourd'hui. En parallèle, nous moulinons les modèles de propagation des panaches de cendres et de gaz, en explorant 80 régimes météo différents". Du côté de la société civile, les autorités britanniques vont distribuer un guide de "crise volcanique" dans les milieux scolaires et hospitaliers, ainsi qu'aux transporteurs, vétérinaires, agriculteurs, etc. "Les consignes de santé publique devraient ressembler à celles d'un pic de pollution classique", pense Anja Schmidt.
ENTRE DEUX MONDES Le lac de Thingvallavatn, dans le nord-ouest de l'Islande, est un spot de plongée unique au monde : c'est le seul endroit sur Terre où l'on peut nager dans le rift, le fossé qui sépare les plaques portant l'Amérique d'un côte, l'Europe et l'Afrique de l'autre ! Ailleurs, en effet, cette faille, qui court sur 15.000 km de l'Arctique à l'Atlantique Sud, est inaccessible car elle est enfouie à plus de 2500 m sous les mers. Mais d'où vient cette interminable balafre ? Du divorce des plaques américaine et européenne qui, en s'écartant de 3 cm par an, étirent jusqu'à la fendre, la croûte de 7 km d'épaisseur qui les relie. Profitant des failles ainsi créées, des roches chaudes venues des entrailles de la Terre remontent vers la surface sous la forme d'un magma très épais. Celui-ci s'accumule de part et d'autre du rift en un bourrelet continu : la dorsale océanique. Cette chaîne montagneuse, qui prend pied à -4000 m sur le fond des abysses, ne dépasse guère les 1500 m d'altitude sous la mer. Sauf au niveau de l'Islande, où la remontée de magma est si intense que la dorsale et son rift émergent ! Et voilà comment on peut relier l'Amérique à l'Europe en nageant dans un lac ! Ne croyez pas qu'il faille absolument enfiler une tenue de plongée pour se balader dans la rift ! En Islande, ce fossé poursuit sa route sur les berges du lac Thingvallavatn et dans le parc Thingvellir, au sein duquel il se trouve... Pour les touristes et les géologues, il n'est pas de meilleur endroit pour observer les forces de la nature à l'ouvre. Au fur et à mesure que les plaques s'écartent, la croûte s'affaisse et se creuse, ouvrant sans arrêt de nouvelles failles. Avec ses 7,7 km de long et ses 40 m de profondeur, celle d'Almannagia (sur la photo) est de loin la plus impressionnante.
Le risque de revivre une paralysie du trafic aérien comparable à celle subie au printemps 2010 avec le réveil du volcan islandais Eyjafjallajokull est plus grand qu'on ne le pense. C'est ce qui ressort d'une étude réalisée par Graeme Swindles, de l'université de Leeds (Grande-Bretagne), qui a reconstruit 7000 ans d'histoire des dépôts de cendres issues des éruptions islandaises en Europe du Nord. Ces dernières ont ainsi atteint l'Allemagne au moins 11 fois, l'Angleterre 14 fois, et la Scandinavie 38 fois. Sur les 1000 dernières années, la période de retour serait de 56 ans. La probabilité que le nord de l'Europe connaisse des retombées de cendres est estimée à 16 % par décennie.
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