La Croissance Démographique Mondiale |
La Croissance Démographique Mondiale |

Combien serons-nous sur Terre d'ici 30 ans, 60 ans, un siècle ? Pour le savoir, les démographes ont établi des projections qui livrent ce verdict : loin de croître de manière affolante, l'humanité va se stabiliser autour de 9 milliards d'individus à l'horizon 2050. Et ensuite ? Mystère ! Car trois scénarios sont possibles.
Le chiffre donne le vertige : lors de la petite demi-heure consacrée à lire cet article, nous serons 4400 de plus environ sur Terre. Un chiffre qui prend en compte les bébés qui vont naître et les 3200 personnes qui vont mourir quelque part sur la planète. Rapporté à une journée, à un mois, à un an, le vertige devient angoisse : à ce rythme, une humanité qui ne cesse de croître alors que ses
ressources sont limitées (la Terre ne croît pas) va forcément droit dans le mur.D'autant, qu'intuitivement, la démographie mondiale semble vouée à une croissance inéluctable, quasi exponentielle. Sauf que ces demières années ont apporté une bonne nouvelle : si la population mondiale continue d'augmenter, cet accroissement diminue en réalité année après année. De 2,1 % par an dans les années 1965, le taux d'accroissement est tombé à 1,2 % aujourd'hui. En clair, nous nous "multiplions" presque deux fois moins vite qu'il y a 40 ans ! Voilà qui déjoue l'idée d'une surpopulation advenant mécaniquement. Surtout, voilà une autre manière, moins intuitive mais plus scientifique, de voir la démographie mondiale : si expansion de la population mondiale il y a, cette expansion, loin d'être linéaire, peut s'essouffler. Un changement de regard radical, car ce ralentissement que les démographes constatent actuellement est un événement inédit dans l'histoire des hommes.
L'EXPLOSION DÉMOGRAPHIQUE S'ESSOUFFLE
De fait, l'évolution du nombre des hommes, bien que ponctuée par de nombreuses crises dues aux aléas climatiques, aux invasions ou aux épidémies, n'a jamais cessé de croître. Et cette croissance a explosé avec la révolution industrielle. La raison en est simple : auparavant, seuls 2 des 6 enfants qu'une femme mettait en moyenne au monde survivaient jusqu'à l'âge de la procréation. Mais, avec les progrès économiques et sanitaires, la mortalité a subitement chuté, et notamment la mortalité infantile. Résultat : la plupart des nouveau-nés se sont retrouvés en âge de procréer. C'est ainsi que de 1 milliard d'habitants en 1800, nous sommes passés à 2 milliards en 1927, puis à 3 milliards en 1960. Cette année-là, le processus s'est emballé. L'accroissement de la population a dépassé 2 % par an, un record qui s'explique en priorité par un recul de la mortalité dans les pays du Sud. En 1974, l'humanité atteint ainsi les 4 milliards d'individus, puis 6 milliards à l'orée du XXIe siècle, en 1999. Aujourd'hui, les derniers chiffres en date, de mars 2009, présentés dans le rapport World Population Prospect à partir d'une compilation statistique des recensements effectués par les pays membres de l'ONU, indiquent que nous sommes 6,85 milliards.
Et que le seuil des 7 milliards devrait être atteint fin 2011. Une croissance sans fin ? Non ! Tous les experts l'affirment : d'ici à 2050, notre nombre cessera d'augmenter au point même de se stabiliser. Comment peuvent-ils en être si sûrs ? Pour le comprendre, il faut savoir que l'évolution démographique mondiale dépend de la dynamique à long terme de deux paramètres clés : la natalité et la mortalité. C'est donc la valeur de ces paramètres, dans un futur plus ou moins proche, que la plupart des projections mondiales - celles de l'ONU en tête - s'attachent à estimer.
2050, UN RENOUVELLEMENT JUSTE ASSURÉ
Concrètement, les démographes commencent par analyser la structure démographique actuelle et les tendances du passé proches de celles des populations des différents pays du globe. Puis ils se prononcent sur les évolutions possibles de la natalité et de la mortalité dans chaque pays. Enfin, ces données sont synthétisées au niveau mondial dans le cadre d'un scénario dit "médian". Lequel, au final, livre des projections pour l'avenir. Et que disent aujourd'hui ces projections ? Que le taux de croissance de l'humanité approchera une valeur nulle en 2050 et que, par conséquent, le nombre des hommes se stabilisera à cette date autour de 9 milliards. Soit beaucoup moins que le chiffre que l'on aurait obtenu si l'humanité avait continué de progresser mécaniquement au rythme qui était encore le sien dans les années 1960. De fait, si le taux de croissance de 1965, à savoir +2 %, s'était maintenu jusqu'à aujourd'hui, et ne variait pas d'ici à 2050, la Terre accueillerait à cet horizon
presque... 18 milliards d'habitants !
Si les projections des démographes se fixent sur le chiffre de 9 milliards, c'est surtout parce qu'elles estiment, d'après la tendance historique, que le taux de fécondité moyen (->) dans le monde aura baissé de 2,56 enfants par femme (sa valeur actuelle) à 2,02 en 2050. Or, à ce niveau-là, il n'y a plus de croissance démographique. La population se stabilise, le renouvellement des générations s'approchant d'un remplacement individu pour individu. "Pour faire simple, explique Nicolas Bacaer, spécialiste des projections démographiques à l'Institut de recherche pour le développement, en prenant l'exemple des pays développés, aujourd'hui, si les femmes ont plus, ou moins, de 2,1 enfants, la population croît, ou décroît, exponentiellement". En revanche, avec exactement 2,1 enfants, les parents se remplacent exactement. Le 0,1 traduisant juste le rapport de masculinité à la naissance (il naît naturellement 105 garçons pour 100 filles) et le niveau de mortalité infantile propre, aujourd'hui, aux pays développés.
Appliquée au monde entier, cette mécanique de stabilisation ne vaut, bien sûr, que si l'évolution de la natalité comme celle de la mortalité mondiale suivent bien les tendances projetées par les démographes dans leur scénario médian. Ce que nul ne peut évidemment garantir à cent pour cent : si l'avenir prolonge le passé, il peut aussi réserver des surprises. C'est ainsi que les projections prévoient une marge d'incertitude prise en compte dans deux scénarios, dits "haut" et "bas", qui encadrent le scénario médian. Le premier amène la population mondiale à 10,5 milliards d'individus en 2050, le second à 8 milliards. Un écart qui tient essentiellement à des incertitudes quant à la fécondité des générations à venir, notamment dans les pays les moins développés, et à l'évolution de l'épidémie du sida, et donc à la mortalité.
Une transition presque finie
Jusqu'à présent, l'évolution de la population suivait un modèle éprouvé : la transition démographique. Une baisse de la mortalité entraîne un excédent des naissances, suivi d'une diminution de la natalité qui ramène l'accroissement de la population près de zéro. Aujourd'hui, ce modèle ne paraît plus pertinent. Les pays développés ont achevé leur transition, bientôt rattrapés par les deux poids lourds de la population mondiale que sont la Chine et l'Inde. Restent les pays en voie de développement. Mais la natalité diminue chez eux beaucoup plus vite que prévu. De 6 enfants par femme il y a cinquante ans, ils sont désormais passés à 3 enfants en moyenne. On estime donc que leur transition sera achevée d'ici à cinquante ans. C'est la fin de notre modèle de transition... et un saut dans l'inconnu. |
Quoi qu'il en soit de ces incertitudes, l'avenir démographique de la planète pour 2050 ne fait plus mystère : au moins 8 milliards d'habitants, au plus 10,5, et probablement 9 milliards. Des chiffres globalement fiables selon Henri Leridon, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques, qui note que "les prévisions passées de l'ONU se sont révélées a posteriori très raisonnables, avec une marge d'erreur maximale de 7 % dans les années 1960, alors que les incertitudes sur la population étaient alors bien plus grandes".
Si aucune explosion délirante de la population n'est donc à craindre dans les prochaines décennies, reste toutefois une question : combien de temps va-t-on rester à 9 milliards d'individus ? Il faudrait pour cela que le taux de fécondité mondial moyen se maintienne autour de 2,02, sa valeur estimée à l'horizon 2050 dans le scénario médian de l'ONU. Sauf que ce taux, au-delà de 2050, est susceptible de varier sans qu'il soit possible de dire dans quel sens ni avec quelle intensité. Du coup, nous pourrions connaître une nouvelle explosion démographique ou, à l'inverse, une diminution tout aussi intense si le nombre des naissances devenait durablement inférieur à celui des décès dans le monde.
STABILITÉ, EXPLOSION OU IMPLOSION
On le voit, la fiabilité des modèles de projection des démographes touche ici ses limites. Ce qui est logique : si leurs équations sont robustes jusqu'en 2050, c'est qu'elles s'appuient sur des tendances historiques pertinentes à court et moyen termes, mais qui cessent de l'être à plus long terme. En réalité, au-delà des cinq prochaines décennies, plus aucun modèle n'est en mesure d'estimer la natalité et la mortalité futures : la dynamique de la population entre ici dans une nouvelle ère, inconnue des modèles utilisés (->).
Les démographes de l'0NU ont malgré tout poussé leurs simulations jusqu'en 2300, assumant leur caractère purement fictif. Or, leur scénario central conduit la population mondiale à ne plus s'écarter des 9 milliards atteints en 2050. Mais c'est alors au prix d'hypothèses arbitraires. Point clé : le taux de fécondité mondial se maintient, dans ce scénario, à un niveau inférieur au seuil de renouvellement des générations pendant presque un siècle. Irréaliste ? Ni plus ni moins que les scénarios qui font s'envoler la population mondiale jusqu'à 36,4 milliards ou s'effondrer à 2,3 milliards ! Deux valeurs
extrêmes que décrivent aussi les simulations de l'ONU et obtenues en ajoutant ou en retranchant, respectivement, juste un "quart d'enfant" au taux de fécondité moyen de la population mondiale. Ces scénarios à très long terme, même s'ils sont peu fiables, montrent qu'à considérer les deux prochains siècles, l'humanité a trois options : la stabilité, l'explosion ou l'implosion. Mais pas de progression "douce" et mécaniquement linéaire. Voilà qui met en lumière le caractère exceptionnel des décennies à venir : nous nous approchons des conditions de la stabilité démographique. Malgré cet essoufflement attendu de la démographie mon diale, des voix s'élèvent - depuis l'écologiste James Lovelock, père du concept de Terre mère, jusqu'à l'Académie royale des sciences anglaise -, craignant que les 9 milliards d'humains que portera la planète dans quarante ans représentent un niveau à ne pas atteindre. Et de plaider pour une limitation volontaire des naissances. Malthus serait-il de retour ? En 1798, alors que nous étions "seulement" 950 millions, le célèbre révérend prédisait une catastrophe démographique. Les faits lui ont donné tort (->).
Faut-il relire Malthus ?
En 1798, un pasteur britannique fait sensation en affirmant que le monde court à sa perte s'il ne réduit pas ses naissances. Son raisonnement est simple : la population croît exponentiellement (2, 4, 8, 16, 32...) et ses ressources de manière arithmétique (2, 4, 6, 8, 10...). Nous courons donc droit vers l'épuisement de nos ressources. Sa théorie est pourtant rapidement remise en cause. La découverte des engrais au début du XIXè siècle entraîne une explosion de la production agricole qui n'a plus rien d'arithmétique ! Toutefois, si la production agricole globale continue d'augmenter d'environ 2 % par an, cet accroissement ne pourra être infini. Et nombreux sont ceux qui annoncent aujourd'hui un épuisement des ressources, comme l'écologiste James Lovelock, à la tête d'un groupe de réflexion intitulé Optimum population Trust, qui entend influencer les politiques afin de réduire la natalité. |
Qu'en est-il aujourd'hui ? La surpopulation est-elle une vraie menace ? Qu'un nombre plus grand d'hommes sur Terre accentue le réchauffement climatique, la pollution, l'érosion de la biodiversité et les tensions sur les ressources énergétiques et alimentaires semble une évidence. Mais tout n'est pas si simple. Prenons le cas de la réduction des gaz à effet de serre, considérée comme une nécessité à l'échelle globale. Actuellement, les 20 % les plus riches de la planète sont responsables de plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre. Or, diminuer la natalité des pays riches alors qu'elle n'est déjà que de 1,64 enfant par femme en moyenne paraît inconcevable. Mais diminuer celle, élevée, des pays pauvres n'aurait qu'un effet marginal sur les émissions mondiales comparé à l'impact d'un changement de comportement des plus riches. À titre d'exemple, un enfant né au Bangladesh émettra, sa vie durant, environ 170 fois moins de CO2 qu'un enfant né aux États-Unis. On comprend donc la difficulté de répondre dans toutes ses dimensions à la question "Combien la Terre peut-elle durablement supporter d'individus ?" Et si beaucoup s'y sont essayés, les résultats varient largement selon le contexte de l'évaluation. Les dernières estimations vont grosso modo de 3 à 23 milliards. Une fourchette large qui fait dire à Gilles Pison, rédacteur en chef du bulletin de l'lnstitut national d'études démographiques Population Sociétés, que "nul n'est capable de dire quel est le nombre optimal d'individus que notre planète est capable d'accueillir. Il y a deux siècles, nous n'étions qu'un milliard et la proportion de personnes qui mouraient de faim était beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. On arrivera sans doute à nourrir 9 milliards d'habitants demain aussi bien, voire mieux, que 7 milliards actuellement. La question est plutôt de savoir comment ils vivront". Un avis partagé par nombre d'experts. Quand bien même l'urgence à limiter l'accroissement des hommes serait confirmée, le pourrait-on ? "Le terme de 'population mondiale' donne l'illusion que l'on peut la modifier, mais il n'existe aucune institution capable d'imposer une législation destinée à limiter la croissance démographique", estime Hervé Le Bras, directeur du laboratoire de démographie historique à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. De fait, même en admettant que l'on puisse réellement influer sur l'évolution de la démographie par de grands programmes de planning familial et des politiques nationales de natalité plus ou moins autoritaires, il n'y a aucune chance pour que tous les pays se mettent d'accord sur un objectif commun. Au contraire des pays en développement, certains pays développés, dont la population décroît dangereusement, ont intérêt à favoriser les naissances, comme l'Allemagne, la Russie ou le Japon. Ainsi, non seulement il n'est pas aisé de piloter une population, mais le faire à plusieurs tient de la gageure ! "La mauvaise nouvelle, c'est qu'il sera difficile d'éviter 9 milliards d'individus, conclut Henri Leridon. La bonne, c'est que l'on peut penser que ça n'ira pas plus loin. Il faut donc s'organiser pour arriver à 9 milliards enn 2050 sans trop de casse". Reste à savoir comment...



L.B. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2010 |
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