Hausse du Niveau de la Mer de 3 Mètres... |
Des Îles Françaises Menacées |
Estimée entre 1 et 3 m d'ici à la fin du siècle, la hausse du niveau des océans entraînera, selon le CNRS, la submersion de 5 à 12 % des îles françaises.
L'habitat de nombreuses espèces endémiques sera ainsi définitivement noyé, en particulier en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
D.H. - SCIENCE & VIE N°1154 > Novembre > 2013 |
|
Et Si la Mer Montait de 3 Mètres... |
Avec le réchauffement climatique, le niveau des mers s'élève de plus en plus vite, au point que les scientifiques évoquent désormais une hausse... de 3 mètres d'ici à 2100 !
Si tel était le cas, des villes entières seraient alors menacées, comme le montrent nos cartes. Reste une certitude : les calottes glaciaires, dont le rôle et l'évolution déroutent les chercheurs...
Si toutes les glaces des pôles Nord et Sud venaient à fondre, voici ce à quoi ressemblerait la France... Noyée sous plus de 60 m d'eau, la France devient méconnaissable.
Nous n'en sommes pas là. Mais un nombre croissant de scientifiques pensent désormais qu'une élévation du niveau des mers de plusieura mètres est probable dans les prochaines décennies.
La Montée des Eaux s'Accélère Dangereusement |
Une élévation du niveau marin de 3 mètres, voire plus, à l'horizon 2100 : tels sont les chiffres alarmants que certains climatologues envisagent désormais. Avec, à la clé, des impacts humains et matériels catastrophiques.
Cela ne fait désormais plus aucun doute. Depuis 1970, les satellites, révolution après révolution, confirment les tendances déjà repérées par les marégraphes disséminés sur la planète : sous l'effet du réchauffement climatique, l'océan mondial monte. Depuis les années 1900, il s'est élevé de 20 cm. Mais surtout, au cours des dernières décennies, cette vitesse a quasiment doublé : elle est désormais supérieure à 3 mm par an, contre 1,8 sur l'ensemble du XXè siècle. Et tout indique qu'elle va s'accélérer encore. Cette ascension soudaine est d'autant plus inquiétante qu'elle succède à 3000 ans de quasi-stabilité, confirmée aussi bien par les géologues que par les archéologues. Voici donc un équilibre millénaire qui vole en éclats.
"Le problème, c'est que toute notre civilisation repose sur la stabilité du niveau marin, n'hésite pas à affirmer le géologue et paléontologue Peter Ward, professeur à l'université de Seattle, qui publiera en 2009 un ouvrage sur les impacts de l'élévation des mers. Agriculture, transports, industrie, urbanisme, tout va être bouleversé par ce changement. Pour moi, la hausse du niveau marin est même de loin la conséquence la plus importante du réchauffement climatique, bien plus que la baisse des rendements agricoles ou les impacts sanitaires, dont on parle pourtant beaucoup plus". Une opinion qui se répand aujourd'hui dans la communauté climatologique, à mesure que la possibilité d'une rapide élévation marine, à laquelle on ne s'attendait qu'à l'horizon de quelques siècles, devient pensable à beaucoup plus court terme.
Pourquoi l'effet de serre fait-il monter l'océan ? D'abord parce que plus une eau est chaude, plus elle occupe un volume important - une propriété physique que l'on retrouve dans la plupart des solides, des gaz, et des liquides. Ce phénomène, dit de dilatation thermique des océans, expliquait le quart de l'élévation des mers jusque dans les années 1990 ; or, sa contribution ne cesse d'augmenter depuis : pour la période 1993-2003, il serait responsable de la moitié de la montée actuelle de l'eau. Mais la dilatation n'explique pas tout. La mer monte aussi parce qu'elle contient désormais plus d'eau, autrefois piégée dans les réserves de glace continentales. Il s'agit d'une part de la fonte des glaciers de montagne, qui contribuent pour environ 25 % à l'élévation globale. Et d'autre part de la fonte des deux calottes polaires : le Groenland et l'Antarctique. La contribution de l'île danoise serait d'environ 0,21 mm/an depuis 2003. Mais concernant la contribution de l'Antarctique, le flou demeure. Le rapport de 2007 du Giec évoque bien une contribution estimée là aussi à 0,21 mm/an, mais avec un degré d'incertitude de plus ou moins 0,3 5 mm ! Autrement dit, on ne sait pas si l'Antarctique retire de l'eau de la mer ou lui en apporte.
EN 2100, SI LE NIVEAU DES MERS MONTE DE...
- 0,5 mètre : Apparemment le minimum possible. Le nombre de personnes exposées aux tempêtes triples, la valeur des biens exposés est multipliée par 12.
- 1 mètre : Le maximum gérable selon beaucoup. Des tempêtes banales font des dégats considérables. Importants investissements de protection.
- 2 mètres : Très gros dégats sur l'habitat et les infrastructures côtières. 2 % de la population doit déménager. Les coûts d'adaptation deviennent exorbitants.
- 3 mètres : D'importantes zones économiques et d'habitat doivent être abandonnées, le coût social est astronomique, et absorbe une part considérable des revenus des états. Multiplication des réfugiés. Pertes agricoles, menace de l'équilibre alimentaire.
- 4 mètres : Peu de scientifiques pensent ce chiffre possible. S'il est atteint, il s'agirait de reconstruire des villes entières, des portions considérables de nos réseaux d'énergie, de communication et de transport.
- 5 mètres : Les dégats se comparent à ceux d'une guerre mondiale. des centaines de millions de réfugiés errent, l'instabilité politique se généralise, les destructions de biens sont colossales. C'est un changement de civilisation.
60 CM ? UNE LIMITE INFÉRIEURE
Le problème, c'est qu'un nouveau moteur à cette irrésistible ascension s'est récemment ajouté à la liste : le glissement incontrôlé des glaciers côtiers des deux calottes. Un phénomène trop récent pour être pris en compte dans les prévisions du Giec, lesquelles annoncent une hausse globale comprise entre 20 et 60 centimètres d'ici à 2100. Mais ce glissement, qui déverse chaque année dans la mer près de 500 milliards de tonnes de glace, pourrait, de l'aveu même du président du Giec Rajendra Pachauri, conduire à des révisions spectaculaires du prochain rapport, attendu dans quatre ans. "En tout cas, confirme Anny Cazenave, la principale spécialiste française du niveau marin, l'estimation du Giec doit désormais être considérée comme une limiteinférieure". Or, cette "limite inférieure" est d'ores et déjà porteuse à elle seule de conséquences économiques et humaines catastrophiques, dont les scientifiques explorent le détail. Des conséquences qui ne seront pas immédiatement visibles : ce n'est pasmillimètre par millimètre que la mer fera des dégâts matériels et humains... mais lors de violentes irruptions dans notre environnement, qui deviendront mécaniquement plus fréquentes et destructrices, par le seul effet de la montéeocéanique. Tous les littoraux du monde, en effet, essuient leur lot annuelde tempêtes, dont l'intensité et la fréquence varient selon les lieux et les climats. Une tempête, c'est une mer qui pendant de longues heures (voire des jours) se hisse à plusieurs mètres au-dessus de son niveau habituel, en raison de la poussée du vent et de la dépression atmosphérique, qui "aspire" l'eau vers le haut (->). Sans compter les vagues de plus de 10 m, pesant plusieurs centaines de tonnes, qui martèlent le littoral. Un fléau que les habitants des côtes urbanisées se sont efforcés de gérer de deux façons. D'abord en évitant de s'installer sur les zones trop souvent dévastées ; ensuite en édifiant des digues.

La surface des glaces groenlandaises touchée par la fonte estivale (en orange et rouge) augmente rapidement, comme en témoignent ces images satellites.
|
|
L'océan ne monte pas aussi vite partout : La montée du niveau marin, mesurée par altimétrie depuis les satellites Topex puis Jason est clairement visible sur cette carte. Les chercheurs ont été surpris par l'hétérogénéité de cette ascension : alors que la moyenne de la montée des eaux est de 3 mm/an, certaines parties de l'océan ont dépassé les 15 mm ! Le danger pour l'Est asiatique est particulièrement évident. La principale explication à ce phénomène, selon Anny Cazenave du Legos, qui a produit ces résultats, est que l'océan ne se réchauffe pas à la même vitesse partout. Or la dilatation thermique est le principal facteur, pour l'instant, de la montée des eaux. Les chercheurs s'attendent à des ré-équilibrages avec le temps. |
LES VILLES CÔTIÈRES MENACÉES
Mais depuis quelques décennies, on assiste à une ruée planétaire vers les littoraux : désormais, 20 % des humains vivent à moins de 30 km de la mer, et ce nombre augmente sans cesse. Les raisons, multiples, varient selon les latitudes : elles vont de l'accroissement du nombre de retraités fortunés à l'explosion des activités portuaires, en passant par la mobilité accrue des hommes et la fertilité des deltas. Dans cette course au littoral, le risque de tempête apparaît d'autant plus sensible qu'il est le grand oublié, et ce, du Bangladesh misérable à la richissime Floride, sans oublier notre Languedoc-Roussillon hexagonal.
De fait, une étude de l'OCDE vient de révéler à quel point cette menace est désormais réelle : après s'être intéressés aux 136 villes côtières de la planète comptant plus d'un million d'habitants, les chercheurs ont calculé que les biens actuellement menacés par une crue centennale représentent 3000 milliards de dollars. Mais surtout, avec seulement 50 cm de montée des eaux d'ici à 2070, le chiffre atteint 35.000 milliards ! Quant à la population menacée, elle passerait de 40 à 150 millions de personnes...
Par quel prodige 50 centimètres, soit la hauteur d'une petite vague, peuvent-ils avoir des conséquences aussi colossales ? L'exemple de New York aide à le comprendre. Une étude consacrée à cette ville en 2007, signée Cynthia Rosenzweig de la Nasa, indique qu'il existe un seuil de danger, aux alentours de 3 m au-dessus du niveau ordinaire de la mer. "Des parties des trois grands aéroports (JFK, La Guardia et Newark), la plupart des lignes ferroviaires régionales, les points d'entrée des grands tunnels, plusieurs accès au métro et même des sections d'autoroute se situent à des hauteurs inférieures à 3 m", écrit la chercheuse. Or, il a manqué à peine 30 à 60 cm aux deux principales tempêtes du dernier demi-siècle (1960 et 1992) pour atteindre ces niveaux, synonymes de dommages colossaux qui mettraient la ville la plus riche du monde au ralenti pendant des semaines, voire des mois. Avec des ondes de choc pour toute l'économie américaine, pour ne pas dire mondiale. Selon Cynthia Rosenzweig, si le niveau de la mer s'élève d'un mètre, cette ligne rouge sera franchie en moyenne... tous les quatre ans. Une situation totalement ingérable. Bien sûr, les chiffres varient considérablement d'une ville à l'autre.
ANTICIPER LES CATASTROPHES
Mais la problématique new-yorkaise illustre bien le cas général : les villes ont dimensionné leurs protections, plus ou moins empiriquement, pour un niveau marin donné. Et si ce niveau est resté stable pendant des millénaires, son ascension est en train de mettre tout l'édifice de gestion du risque par terre. New York, toujours aussi mal protégée aujourd'hui, a du moins été capable d'analyser le risque, et est de ce fait plutôt une exception, souligne Stéphane Hallegatte, chercheur au CIRED (Centre international de recherche sur l'environnement et le développement) : "Ce qui me fait peur, c'est que la montée du niveau moyen de la mer est un phénomène progressif et peu visible qui fait doucement augmenter le danger, mais celui-ci n'apparaît qu'à la suite de calculs complexes. Or, il faudrait que les mesures de protection soient prises avant que les catastrophes se succèdent".
Les chercheurs ont d'ailleurs constaté d'importantes disparités entre les villes. Londres, Rotterdam, mais aussi Shangaï sont capables de résister au moins à une tempête millénale, c'est-à-dire à un épisode qui se produit en moyenne tous les 1000 ans, ou qui a un risque sur 1000 de survenir en une année donnée. En revanche, d'autres comme Calcutta, la Nouvelle-Orléans ou New York résisteraient à peine à une crue centennale, de probabilité 1 sur 100. Ce qui est sûr, c'est que mécaniquement, chaque année, la protection baisse... et la menace augmente. D'autant que millénal ne signifie pas impossible : la tempête de 1999, en France, a provoqué une surcote jugée millénale (2,25 m) sur les côtes de la Gironde. Et pourtant, si elle avait frappé à une période de forte marée ou de crue du fleuve, les dégâts auraient pu être bien pires. "Jamais on ne construirait un pont ayant un risque sur mille de s'écrouler", souligne de son côté Stefan Rahmsdorf, autre spécialiste du niveau de la mer, qui travaille au PIK allemand (Postdam Institute for Climate Impact research). Et de s'étonner que l'on prenne pourtant ce risque pour des villes entières. Pour sa part, le rapport de l'OCDE enfonce le clou, soulignant que "statistiquement, la probabilité qu'une des 136 grandes villes côtières recensées par notre rapport connaisse une crue millénale est de 12 % chaque année ; et elle est de 49 % sur une période de cinq ans. Ainsi, à l'échelle globale, des événements centennaux et millénaux se produiront fréquemment dans les grandes villes portuaires".
L'INCERTITUDE SUR LES CHIFFRES
Autant dire que des tragédies comme celles de la Birmanie risquent, les décennies passant, de se multiplier. Mondialisation oblige, ces catastrophes seront ressenties par tous. Si les défenses de Shanghaï, par exemple, sont débordées, ce serait le premier port mondial qui se retrouverait durablement sous les eaux. Surtout que rien ne dit que la hausse du niveau de la mer se limitera aux 50 cm pris en compte par l'équipe de l'OCDE. Stéphane Hallegatte lui-même en convient. "L'incertitude a explosé. Il y a 3 ou 4 ans, j'aurais dit que 60 cm de hausse était une hypothèse très pessimiste. Aujourd'hui, on ne sait plus. Certains articles envisagent plus d'un mètre de hausse. Nous-mêmes avons d'ailleurs commencé à travailler sur des valeurs supérieures." Récemment, Stefan Rahmstorf a par exemple trouvé une corrélation entre température globale et hausse du niveau des mers : pour lui, chaque degré de réchauffement accroît la hausse du niveau marin de 3 mm. Ce qui ferait monter la mer de 1,40 m en 2100 pour un scénario d'émissions de CO2 dans les tendances actuelles. Eric Rignot, de la Nasa, pense de son côté que nous sommes partis pour 1 à 3 m à cette échéance. Tandis que l'Américain James Hansen, le "pape de la climatologie" qui a révélé au monde le réchauffement climatique, avertit qu'on ne peut exclure 5 mètres de hausse en un siècle ! Anny Cazenave, elle, répond prudemment qu'elle préfère parler de ce que l'on sait plutôt que de ce qu'on ignore...
Des drames actuels illustrent la menace à venir
Le cyclone Nargis qui a frappé la Birmanie, causant 120.000 morts et des millions de sans-logis, est un cyclone de catégorie 4 sur l'échelle Safir-Simpson, tout comme Katrina, qui touchait la Louisiane en 2005. Si la mer devait
s'élever ne serait-ce que d'un mètre, des cyclones beaucoup moins violents, de catégorie 2 ou 3, suffiraient à produire des catastrophes analogues. De plus, le drame birman illustre parfaitement la menace que représente la montée des eaux pour les deltas surpeuplés d'Asie. Or, des deltas ressemblant à celui de l'Irrawaddy, l'Asie en compte beaucoup, l'Himalaya alimentant en eau nombre de fleuves géants : Mékong, Brahmapoutre, Gange, Fleuve Jaune...
Après le passage de Katrina, en 2005, les Etats-Unis comptaient 400.000 réfugiés. Une crue sur Calcutta déplacerait près de 12 millions de personnes.
300 MILLIONS DE DÉPLACÉS...
Dans cette ambiance incertaine, c'est la Banque mondiale, pourtant peu suspecte d'alarmisme écologique, qui est la première grande institution à regarder en face le danger de hausses majeures du niveau marin. En 2007, elle a ainsi consacré une étude à l'impact qu'aurait une élévation de 1 à 5 m. "Pour ce qui conceme la définition de mesures de précaution, des hausses de 1 à 3 m doivent être considérées comme réalistes", écrivent les auteurs, qui soulignent que "le monde n'a jamais auparavant fait face à une crise à cette échelle, et que la planification de l'adaptation doit commencer immédiatement." Les chercheurs de la Banque mondiale se sont bornés à recenser quels biens, quelles terres agricoles et quelles populations seraient immergés par une montée des eaux de 1, 2, 3, 4 ou 5 mètres, dans 84 pays côtiers du Sud. Conclusion ? Avec 3 mètres de hausse, 135 millions de personnes seraient déplacées, 3,2 % du PIE et 2,5 % de la surface urbaine seraient détruits, et 1,1 % des surfaces agricoles disparaîtrait. Avec 5 mètres, on passe à 300 millions de déplacés. Des chiffres qui, de l'aveu même des auteurs, seraient en réalité considérablement sous-estimés, puisqu'ils ne prennent pas en compte les tempêtes.
Et ce n'est pas tout. "Ce genre de comptabilité minore terriblement les dégâts sur l'agriculture, avertit Peter Ward, parce qu'il ne prend pas en compte le problème de l'eau. La montée des mers va saliniser les nappes phréatiques et stériliser les surfaces, car chaque mètre de hausse repousse de plusieurs centaines de mètres la limite souterraine entre eaux douces et salées. Or, il y a beaucoup de nourriture qui est produite dans les régions côtières : une étude chiffrait à 25 % la proportion du riz mondial qui pousse dans les deltas" ! L'Américain note également que la tendance générale à enterrer les réseaux électriques, notamment dans les villes, va générer sur les côtes, à mesure que la mer montera, "de terrifiants problèmes de corrosion, parce que l'électricité nous est devenue parfaitement essentielle et que les réseaux ne résisteront pas au sel". Et de pointer aussi que les infrastructures de transports, ferroviaires et routières, sont très souvent sur les zones exposées des littoraux. Des zones que l'érosion attaquera d'autant plus durement que la mer montera vite et que les embruns feront périr la végétation qui actuellement les stabilise.
Combien des hausses de 1 à 3 mètres pourraient-elles finalement coûter, que ce soit en vies ou en biens ? Nul ne le sait, puisque, à ce jour, les chercheurs qui ont tenu compte des tempêtes ont pris des hypothèses basses concernant le niveau marin ; tandis que leurs confrères ayant pris des hypothèses hautes n'ont pas tenu compte des tempêtes. En outre, ni les uns ni les autres n'ont envisagé que les tempêtes et cyclones pourraient gagner en fréquence et en intensité, alors qu'il s'agit d'une véritable épée de Damoclès, comme l'estime le dernier rapport du Giec. Mais pour Stéphane Hallegatte, avec des hausses de 2 ou 3 mètres, "on ne parle plus du monde actuel et de sa capacité à absorber des perturbations, mais d'un monde différent, avec des États entiers qui pourraient s'effondrer. Katrina a été un exemple de ce que peuvent signifier 400.000 réfugiés dans le pays le plus riche du monde, et ça s'est plutôt mal passé. Mais personne n'a encore jamais vu 12 millions de réfugiés dans un pays pauvre - ce que donnerait parexemple une crue centennale sur Calcutta. On serait là devant des problèmes sans précédent".
INGÉRABLE AU-DELÀ DE 1 MÈTRE
Ce barrage anti-crue sur la Tamise peut se fermer en cas de tempête. Ce type d'installation coûteuse devrait être développé partout. Alors que les forages pétroliers près des côtes provoquent l'affaissement du littoral, la déforestation des palétuviers prive des régions d'une protection naturelle contre les marées de tempête.
Que faire ? Toutes sortes de stratégies d'adaptation existent. "On peut parfois abandonner des infrastructures indéfendables, et les reconstruire plus à l'abri, note Nicole Le nôtre du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui cite l'exemple de la route nationale passant sur le cordon dunaire de Sète, actuellement en cours de reconstruction plus en retrait, devant l'avancée de la mer. Mais cela coûte 50 millions d'euros pour seulement quelques kilomètres de route, ce qui donne une idée du coût du chantier à l'échelle d'un pays. "On peut également interdire l'aménagement des zones trop exposées, voire interdire tout nouvel investissement dans celles déjà aménagées. Ce qui permet d'amortir ce qui est déjà construit, la menace étant surtout pour l'après 2050. Mais rien de tout celan'est facile, vu la pression foncière sur les littoraux. Enfin, on peut protéger, en construisant des digues. Mais au prix de 3 millions d'euros du kilomètre (sans prendre en compte l'entretien ni d'éventuels rehaussements), ce n'est pas donné... "Et puis attention, avertitStéphane Hallegatte, si l'on protège, on attire l'investissement. Et on est alors moralementcondamné à entretenir, voire développer les protections si nécessaire..."Reste que cet arsenal défensif - à mettre pourtant en ouvre dès maintenant - n'aura que peu d'effet au-delà d'un mètre de hausse, de l'avis de tous les spécialistes. Ce chiffre de 1 mètre est de plus en plus souvent cité, par exemple par le Groupe conseil sur le changement climatique du gouvemement allemand, comme la limite supérieure de ce qui serait gérable. Ce qui nous ramène à l'ampleur du réchauffement et à la nécessité de réduire les gaz à effet de serre sous lechaudron climatique. Sous peine de devoir boire collectivement une tasse particulièrement salée.
L'HOMME AGGRAVE LA SlTUATION
Nombre d'activités humaines aggravent les effets des tempêtes côtières. Des exemples ? Les mangroves, forêts de palétuviers qui poussent les pieds dans l'eau, freinent très efficacement l'arrivée de la marée de tempête. Hélas, elles sont en voie de destruction rapide, comme l'illustre le cas de l'Irrawaddy, en Birmanie, où elles avaient été coupées pour faire des élevages de crevettes. Par ailleurs, la multiplication des barrages sur les rivières piège les sédiments, qui ne viennent plus compenser l'enfoncement naturel des deltas, et contri buent à l'érosion des dunes côtières protectrices. Le pompage d'eau potable dans les nappes phréatiques situées sous les villes, pour les alimenter en eau, contribue aussi à leur enfoncement. À tel point que Shanghaï se serait enfoncée de 2 m via ce phénomène. Les autorités font désormais venir l'eau de plus loin, à grands frais. La prospection d'hydrocarbures, d'ailleurs, a le même effet : les forages pétroliers dans le golfe du Mexique, aux États-Unis, provoquent un enfoncement de la ville de Denver d'environ 1 cm par an - c'est trois fois plus rapide que l'actuelle hausse du niveau marin !








SI LA MER MONTE DE 3 m SUR LE LITTORAL FRANÇAIS
Une bonne partie des terres serait submergée par les eaux. Attention, "l'effet tempête", qui peut ajouter 2 mètres et plus au niveau marin, n'a pas été pris en compte...
ZONE 1 EMBOUCHURE DU RHONE
Les dégâts seraient très importants sur le premier port français et troisième port pétrolier au monde, le Port autonome de Marseille, qui gère une partie significative des hydrocarbures français, ainsi qu'environ 2 millions de passagers et 100.000 conteneurs. La Camargue toute proche, dernier pan du littoral non urbanisé entre Nice et Barcelone, disparaîtrait sous les eaux.
ZONE 2 DUNKERQUE
Non seulement Dunkerque passerait presque entièrement sous les eaux, mais une bonne partie de l'arrière-pays, particulièrement plat, serait envahie par la mer, notamment l'autoroute A16, très importante dans la région, et la voie de chemin de fer qui la jouxte. L'immense centrale nucléaire de Gravelines devrait soit être déplacée, soit équipée de protections spéciales.
ZONE 3 ESTUAIRE DE LA LOIRE
Beaucoup de dommages sur Saint-Nazaire (chantiers navals), ville toute proche des marais de Brière, ainsi que sur le terminal méthanier de Montoire-de-Bretagne, sans oublier la raffinerie de Donges (Seveso 2), la deuxième plus importante de France, et sur la ligne ferroviaire. La zone ultratouristique de la Baule et du Croisic serait également très touchée au niveau du front de mer.
Y.S. et L.B. - SCIENCE & VIE > Février > 2008 |
|