Index des SCIENCES -> GÉOSCIENCES -> GÉOPHYSIQUE 
   
 
Sumatra : une Plaque Tectonique en train de Naître

Sous l'Océan Indien, une Plaque Tectonique est en train de se Briser

Y.S. - SCIENCE & VIE N°1194 > Mars > 2017

Sumatra : une Plaque Tectonique est en train de Naître

Les deux mégaséismes qui ont secoué l'océan Indien en avril 2012 témoignent d'un formidable bouleversement dans le sous-sol de la Terre. Au large de l'Indonesie, la plaque Indo-australienne est en train de céder : la croûte terrestre se casse en deux ! Et pour la première fois, l'homme assiste à ce phénomène.

La Terre en a frissonné pendant six jours tant le fracas fut violent. Six jours de tremblements de terre tout autour de la planète, en réplique d'une double secousse hors norme, survenue le 11 avril 2012 au beau milieu de l'océan Indien. A l'ouest de l'île indonésienne de Sumatra, sous le plancher océanique, dans les profondeurs de ce que les géologues appellent la lithosphère, une immense masse rocheuse s'est soudainement rompue. A deux heures d'intervalle et 185 km de distance, deux mégaséismes de magnitudes 8,7 et 8,2 ont affolé les sismomètres.
Dans le flot des actualités internationales, l'évènement est pourtant passé presque inaperçu. C'est que, localement, dans la région de Banda Aceh, les conséquences ont été minimes. Pas de tsunami géant déferlant sur les côtes, comme celui, provoqué par un séisme de magnitude 9,2, qui avait causé la mort de 225.000 personnes en 2004. Rien de tel au printemps dernier : malgré la puissance de la double secousse, les populations ont échappé à la dévastation. Mais le visage de la planète ne s'en remettra pas. Parce que les deux déflagrations qui ont bouleversé son sous-sol témoignent d'un formidable changement dans l'organisation de l'écorce terrestre : elles sont le signe de la naissance... d'une nouvelle plaque tectonique !

Sous tension, la plaque Indo-australienne se casse en deux. La croûte terrestre est formée par 12 plaques tectoniques (à g.). L'une d'elles, dite indo-australienne, percute l'Eurasie au nord, tandis qu'elle s'enfonce sous la plaque pacifique au sud-est. Les différences de vitesse de ces deux déplacements expliquent le déchirement de la plaque en deux ; c'est sur cette faille qu'ont été observés les mégaséismes de 2012.

UNE MOSAÏQUE DE 14 PIÈCES : L'évènement est exceptionnel. Pensez : il faut remonter 30 millions d'années en arrière pour trouver la trace, unique dans l'histoire connue de la planète, d'une autre création de plaque majeure. Dans ce lointain passé s'ouvrit le rift africain, qui découpe peu à peu la plaque africaine en deux plaques séparées (lire l'encadré). Aujourd'hui, au large de Sumatra, le même phénomène titanesque est de nouveau à l'ouvre... Et l'humanité est, cette fois, aux premières loges. Au terme de ce processus, d'ici quelques millions d'années, ces deux mécanismes pourraient faire de l'enveloppe terrestre une mosaïque de 14 pièces, alors qu'elle n'en porte que 12 depuis plusieurs centaines de millions d'années.

LE RIFT AFRICAIN, L'AUTRE FRACTURE DE LA TERRE
Scinder une plaque en deux ! La Terre n'en est pas à son coup d'essai. Ainsi, en Afrique, depuis 30 millions d'années, une limite de plaques n'en finit plus de se former dans la plaine des Grands Lacs. Dans ce lent processus, la plaque africaine se sépare, encore aujourd'hui, en deux entités tectoniques, la future plaque somalienne à l'est, et la future plaque nubienne à l'ouest, ouvrant l'espace d'un futur océan. Vue des hommes, la limite de plaques n'est qu'un chapelet de longues vallées (rift est-africain), de volcans actifs (Kilimandjaro...) et de vastes lacs (Victoria, Malawi...).

Pour comprendre ce prodige tellurique, il faut avoir présent à l'esprit que les plaques tectoniques, immenses fragments de roche solide et rigide qui composent la mosaïque terrestre, s'étirent sur des dizaines de kilomètres de profondeur en portant un océan, un continent, ou les deux. La matière qui les constitue se renouvelle en permanence. Car le long des lignes de fracture qui séparent les plaques, de la matière remonte à la surface, poussée par les courants de chaleur dans le manteau terrestre, et crée du plancher océanique - non sans faire trembler le sous-sol. En parallèle, par manque de place, à force de croissance et emportées par les mouvements de convection thermique dans le manteau terrestre, les plaques passent les unes sous les autres. Il se joue ainsi un ballet immuable, qui déplace, au fil des millions d'années, continents et océans (lire "Repères").

REPÈRES : Loin des rides océaniques où remonte la matière venue du manteau terrestre, les plaques tectoniques, plus froides et plus denses, s'enfoncent sous leurs voisines : c'est la subduction. Seules les plaques océaniques plongent. Quand deux plaques continentales se heurtent, la collision plisse la roche pour former des chaînes de montagnes.

À l'échelle d'une vie humaine, cette lente dérive est imperceptible. Sauf quand le frottement d'une plaque contre une autre provoque tremblements de terre et éruptions volcaniques. Des centaines de milliers de séismes dévoilent ainsi, chaque année, que de fantastiques affrontements agitent les frontières où naît et meurt en permanence la lithosphère. Du moins en allait-il ainsi jusqu'en avril dernier...

DES SÉISMES INHABITUELS : Car ce n'est pas un rappel des frontières qu'a signé le double séisme au large de Sumatra le 11 avril 2012, mais bien le faire-part de rupture de deux plaques... et de naissance d'une nouvelle frontière. Il faut dire que les deux secousses enregistrées n'avaient rien d'ordinaire. D'une part, leur origine : usuellement, c'est à l'aplomb des frontières entre plaques qu'adviennent les séismes les plus violents. Pas en plein milieu ! "C'était inhabituel d'avoir des séismes d'une telle ampleur au beau milieu d'une plaque tectonique", se souvient Fred Pollitz, géophysicien à l'institut d'études géologiques des États-Unis. D'autre part, leur signature sur les sismogrammes les distinguait nettement des enregistrements habituels. Dans cette région où les séismes puissants sont le fruit de la rupture de roches se déplaçant le long de plans inclinés, les sismomètres détectaient un mouvement horizontal. C'était la première fois qu'un aussi gros séisme de décrochement (où les masses rocheuses coulissent horizontalement) était enregistré", précise le chercheur.
À évènement exceptionnel, attention exceptionnelle : une avalanche d'articles scientifiques a été publiée les mois suivants. Et le message envoyé par ce double séisme s'est peu à peu dessiné : la plaque indo-australienne est bel et bien en train de se rompre. L'équipe de Matthias Delescluse, à l'École normale supérieure de Paris, a proposé un scénario de cette rupture inattendue. Elle s'expliquerait en partie par le mégaséisme "classique" survenu... huit ans plus tôt en 2004, à Sumatra. D'après leurs calculs, en effet, ce dernier n'est autre que le détonateur initial de la déflagration lithosphérique d'avril 2012. Malgré sa puissance phénoménale, il s'agissait à l'époque d'une secousse attendue, du point de vue géologique. Dans sa plongée vers le manteau terrestre, la plaque qui porte l'Inde et l'Australie, à cause de la déformation et du frottement, avait accumulé les tensions internes au niveau de la frontière des plaques. Jusqu'à ce que la roche rompe brutalement, libérant les tensions... et provoquant séisme et tsunami dévastateurs.

UNE PLAQUE ÉCARTELÉE : Mais cette rupture le long de la frontière préparait aussi le coup fatal à venir au cour de la plaque indo-australienne, sous tension. Car celle-ci est constamment écartelée. Elle plonge au nord sous l'Himalaya et à l'est sous l'Indonésie... à des vitesses différentes. Globalement, elle file vers le nord-est depuis 45 millions d'années. Mais alors qu'au niveau de la fosse de la Sonde (la bordure occidentale de Sumatra), la partie australienne plonge et s'enfonce rapidement (56 mm/an) dans les tréfonds du manteau, au nord, sa partie indienne est ralentie dans sa migration (37 mm/an) par une collision avec la plaque eurasienne. "C'est un peu comme si l'Australie était une moto et l'Inde, son side-car, explique Matthias Delescluse. Si le side-car percute un mur - l'Eurasie - et que le pilote continue sa course avec la moto, à terme, la structure qui relie les deux engins se fragilise jusqu'à céder". Et cela d'autant plus facilement que le lien faisant tenir l'ensemble est sollicité brutalement. Ce qui a été le cas en 2004. "Pendant que les contraintes s'accumulaient à l'endroit où la plaque indo-australienne plonge sous l'Indonésie, elles augmentaient au large de l'océan Indien, explique le chercheur. Le séisme de 2004 a libéré les contraintes sur la faille de Sumatra, tout en mettant davantage sous tension les failles intra-océaniques. Comme si une petite goutte d'eau venait remplir un verre déjà plein ! Et la rupture - le débordement du verre - est survenue le 11 avril 2012.
La rupture de toute la plaque indo-australienne ? Pas encore. Pour l'heure, les torsions subies par la plaque en son cour se manifestent sous la forme de reliefs déformés et d'un réseau de failles, orientées du nord au sud et réparties sur une zone très large. La double rupture majeure d'avril dernier n'est qu'une étape préliminaire. Comme le dit prudemment Jean-Yves Royer, directeur de recherche au CNRS, "les deux secousses de 2012 s'inscrivent dans une sismicité importante à l'intérieur de la plaque indo-australienne, mais très diffuse, dans une région qui fait plusieurs milliers de kilomètres de largeur". Pour que se dessine une frontière nette, il faudra que les cassures successives dessinent, peu à peu, une ligne continue, le long de laquelle se concentreront les séismes futurs - sans doute très violents... Le scénario est crédible. Un tel processus prendra des millions d'années et impliquera des milliers d'autres séismes aussi puissants".

UN MÉCANISME IMPRÉVISIBLE : Quel sera alors le nouveau visage de la Terre dans quelques dizaines de millions d'années ? Difficile à dire. Les paramètres qui réglent le ballet des océans et des continents sur le "tapis roulant" du manteau terrestre restent en partie mystérieux. "La subduction de Sumatra pourrait aller plus vite si la plaque australienne n'était plus ralentie par l'Inde", avance ainsi Matthias Delescluse. Au contraire, que l'Himalaya continue à s'épaissir sous l'effet du frottement entre les plaques indienne et eurasienne n'est pas sûr, car la rupture de la plaque indo-australienne libérerait l'Inde du "moteur" australien. Si, d'ici là, des êtres se passionnent toujours pour ce qui se trame dans les profondeurs de leur planète, ils comprendront sans doute que la balafre barrant le plancher de l'océan Indien témoigne d'une histoire très ancienne. Comme nous savons aujourd'hui que le rift africain résulte d'une fracture ouverte il y a 30 millions d'années à travers la plaque africaine.
L'instant où la Terre se met à changer de visage échappe, toujours, à la curiosité des hommes. Sauf, première exception au large de Sumatra. Une exception qui fait d'ores et déjà date chez les géologues, et leur offre une occasion unique d'observer, en direct, la naissance d'une nouvelle plaque. Les prochains séismes qui signeront les coups de pioche prolongeant la nouvelle frontière seront suivis de près. Mais s'ils sont certains, pour l'heure, personne ne sait dire quand les attendre.

E.B-V. - SCIENCE & VIE > Février > 2013

Une Nouvelle Plaque sous l'Océan Indien

Vous ne l'avez peut-être pas senti, mais le monde entier a tremblé le 11 avril dernier.

Deux puissants séismes sous l'océan Indien ont déclenché des répliques dans le monde entier et fourni la meilleure preuve à ce jour de la rupture de la plaque indo-australienne. Les géologues ont passé cinq mois à réfléchir à ces séismes jumeaux - de magnétude 8,6 et 8,2 - qui ont eu lieu au large des côtes de Sumattra du Nord. De tels événements se produisent normalement à la frontière entre des plaques tectoniques, quand un morceau de croûte terrestre glisse sous un autre. Ceux-ci toutefois étaient à plus de 100 km d'une telle zone de subduction. Qui plus est, les deux roches ont coulissé l'une à côté de l'autre avec très peu de mouvement vertical. Aucun séisme n'avait encore été signalé. Matthias Delescluse de l'Ecole Normale Supérieure de Paris et ses collègues ont une explication. En analysant les tremblements de terre de la région depuis décembre 2004, ils ont trouvé qu'ils étaient près de 10 fois plus fréquents par rapport aux huit années précédentes. De plus, 26 d'entre eux étaient similaires à ceux du 11 avril. Pris ensemble, ces événements suggèrent que la plaque indo-australienne se disloque le long d'une nouvelle frontière de plaque, disent les chercheurs, et cela pourrait expliquer à la fois la localisation et la taille des séismes d'avril. Bien que les deux pays soient actuellement sur la même plaque, l'Australie se déplace plus vite que l'Inde. Cela provoque la déformation d'une large zone au centre de la plaque, pouvant amener celle-ci à se diviser (voir la carte). John McCloskey de l'Université d'Ulster à Coleraine, au Royaume-Uni, n'est pas encore convaincu, arguant que les preuves sont encore trop minces. Mais Lingsen Meng à l'Université de Californie, à Berkeley, est plus confiant. "Il est valable de penser que les séismes du 1l avril matérialisent la naissance d'une frontière de plaque", dit-il. Les choses devraient s'éclaircir lorsque de nouveaux tremblements de terre secoueront la région.

Référence : M. Delescluse et coll, Nature, septembre 2012.

C.B. - LE MONDE DES SCIENCES N°6 > Décembre-Janvier > 2013
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net