La Terre en a frissonné pendant six jours tant le fracas fut violent. Six jours de tremblements de terre tout autour de la planète, en réplique d'une double secousse hors norme, survenue le 11 avril 2012 au beau milieu de l'océan Indien. A l'ouest de l'île indonésienne de Sumatra, sous le plancher océanique, dans les profondeurs de ce que les géologues appellent la lithosphère, une immense masse rocheuse s'est soudainement rompue. A deux heures d'intervalle et 185 km de distance, deux mégaséismes de magnitudes 8,7 et 8,2 ont affolé les sismomètres.
UNE MOSAÏQUE DE 14 PIÈCES : L'évènement est exceptionnel. Pensez : il faut remonter 30 millions d'années en arrière pour trouver la trace, unique dans l'histoire connue de la planète, d'une autre création de plaque majeure. Dans ce lointain passé s'ouvrit le rift africain, qui découpe peu à peu la plaque africaine en deux plaques séparées (lire l'encadré). Aujourd'hui, au large de Sumatra, le même phénomène titanesque est de nouveau à l'ouvre... Et l'humanité est, cette fois, aux premières loges. Au terme de ce processus, d'ici quelques millions d'années, ces deux mécanismes pourraient faire de l'enveloppe terrestre une mosaïque de 14 pièces, alors qu'elle n'en porte que 12 depuis plusieurs centaines de millions d'années.
Pour comprendre ce prodige tellurique, il faut avoir présent à l'esprit que les plaques tectoniques, immenses fragments de roche solide et rigide qui composent la mosaïque terrestre, s'étirent sur des dizaines de kilomètres de profondeur en portant un océan, un continent, ou les deux. La matière qui les constitue se renouvelle en permanence. Car le long des lignes de fracture qui séparent les plaques, de la matière remonte à la surface, poussée par les courants de chaleur dans le manteau terrestre, et crée du plancher océanique - non sans faire trembler le sous-sol. En parallèle, par manque de place, à force de croissance et emportées par les mouvements de convection thermique dans le manteau terrestre, les plaques passent les unes sous les autres. Il se joue ainsi un ballet immuable, qui déplace, au fil des millions d'années, continents et océans (lire "Repères").
À l'échelle d'une vie humaine, cette lente dérive est imperceptible. Sauf quand le frottement d'une plaque contre une autre provoque tremblements de terre et éruptions volcaniques. Des centaines de milliers de séismes dévoilent ainsi, chaque année, que de fantastiques affrontements agitent les frontières où naît et meurt en permanence la lithosphère. Du moins en allait-il ainsi jusqu'en avril dernier... DES SÉISMES INHABITUELS : Car ce n'est pas un rappel des frontières qu'a signé le double séisme au large de Sumatra le 11 avril 2012, mais bien le faire-part de rupture de deux plaques... et de naissance d'une nouvelle frontière. Il faut dire que les deux secousses enregistrées n'avaient rien d'ordinaire. D'une part, leur origine : usuellement, c'est à l'aplomb des frontières entre plaques qu'adviennent les séismes les plus violents. Pas en plein milieu ! "C'était inhabituel d'avoir des séismes d'une telle ampleur au beau milieu d'une plaque tectonique", se souvient Fred Pollitz, géophysicien à l'institut d'études géologiques des États-Unis. D'autre part, leur signature sur les sismogrammes les distinguait nettement des enregistrements habituels. Dans cette région où les séismes puissants sont le fruit de la rupture de roches se déplaçant le long de plans inclinés, les sismomètres détectaient un mouvement horizontal. C'était la première fois qu'un aussi gros séisme de décrochement (où les masses rocheuses coulissent horizontalement) était enregistré", précise le chercheur. UNE PLAQUE ÉCARTELÉE : Mais cette rupture le long de la frontière préparait aussi le coup fatal à venir au cour de la plaque indo-australienne, sous tension. Car celle-ci est constamment écartelée. Elle plonge au nord sous l'Himalaya et à l'est sous l'Indonésie... à des vitesses différentes. Globalement, elle file vers le nord-est depuis 45 millions d'années. Mais alors qu'au niveau de la fosse de la Sonde (la bordure occidentale de Sumatra), la partie australienne plonge et s'enfonce rapidement (56 mm/an) dans les tréfonds du manteau, au nord, sa partie indienne est ralentie dans sa migration (37 mm/an) par une collision avec la plaque eurasienne. "C'est un peu comme si l'Australie était une moto et l'Inde, son side-car, explique Matthias Delescluse. Si le side-car percute un mur - l'Eurasie - et que le pilote continue sa course avec la moto, à terme, la structure qui relie les deux engins se fragilise jusqu'à céder". Et cela d'autant plus facilement que le lien faisant tenir l'ensemble est sollicité brutalement. Ce qui a été le cas en 2004. "Pendant que les contraintes s'accumulaient à l'endroit où la plaque indo-australienne plonge sous l'Indonésie, elles augmentaient au large de l'océan Indien, explique le chercheur. Le séisme de 2004 a libéré les contraintes sur la faille de Sumatra, tout en mettant davantage sous tension les failles intra-océaniques. Comme si une petite goutte d'eau venait remplir un verre déjà plein ! Et la rupture - le débordement du verre - est survenue le 11 avril 2012.
Deux puissants séismes sous l'océan Indien ont déclenché des répliques dans le monde entier et fourni la meilleure preuve à ce jour de la rupture de la plaque indo-australienne. Les géologues ont passé cinq mois à réfléchir à ces séismes jumeaux - de magnétude 8,6 et 8,2 - qui ont eu lieu au large des côtes de Sumattra du Nord. De tels événements se produisent normalement à la frontière entre des plaques tectoniques, quand un morceau de croûte terrestre glisse sous un autre. Ceux-ci toutefois étaient à plus de 100 km d'une telle zone de subduction. Qui plus est, les deux roches ont coulissé l'une à côté de l'autre avec très peu de mouvement vertical. Aucun séisme n'avait encore été signalé. Matthias Delescluse de l'Ecole Normale Supérieure de Paris et ses collègues ont une explication. En analysant les tremblements de terre de la région depuis décembre 2004, ils ont trouvé qu'ils étaient près de 10 fois plus fréquents par rapport aux huit années précédentes. De plus, 26 d'entre eux étaient similaires à ceux du 11 avril. Pris ensemble, ces événements suggèrent que la plaque indo-australienne se disloque le long d'une nouvelle frontière de plaque, disent les chercheurs, et cela pourrait expliquer à la fois la localisation et la taille des séismes d'avril. Bien que les deux pays soient actuellement sur la même plaque, l'Australie se déplace plus vite que l'Inde. Cela provoque la déformation d'une large zone au centre de la plaque, pouvant amener celle-ci à se diviser (voir la carte). John McCloskey de l'Université d'Ulster à Coleraine, au Royaume-Uni, n'est pas encore convaincu, arguant que les preuves sont encore trop minces. Mais Lingsen Meng à l'Université de Californie, à Berkeley, est plus confiant. "Il est valable de penser que les séismes du 1l avril matérialisent la naissance d'une frontière de plaque", dit-il. Les choses devraient s'éclaircir lorsque de nouveaux tremblements de terre secoueront la région. Référence : M. Delescluse et coll, Nature, septembre 2012.
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