Index SCIENCES -> MÉDECINE -> NUTRITION 
   
 
Mangez Sain en Protégeant la Planète

Consommer Moins de Viande Préserve la Couche d'Ozone

Chaque Français consomme 117 grammes de viande par jour, (Credoc 2007). On peut alléger la pression de l'élevage sur les ressources naturelles et réduire ainsi la deuxième source mondiale de gaz à effet de serre. Démonstration.

"Mieux vaut un végétarien roulant en 4x4 qu'un mangeur de steak à vélo" ! C'est le dernier aphorisme en vogue chez les écologistes. On savait déjà que la production de protéines animales engloutissait 45 % de l'eau mondiale, 33 % des terres émergées et 70 % des terres agricoles, selon la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Mais une série d'études accablantes sont venues détailler la responsabilité de la viande dans le réchauffement planétaire. Le consommateur l'ignore, mais l'industrie de la viande représente la deuxième source de gaz à effet de serre au monde après la production d'énergie !

La dernière étude, publiée fin 2008 aligne des chiffres frappants : la production d'un kilo de bouf dégage l'équivalent de 14,8 kg de CO2 (ce qui revient à parcourir 121 km en voiture, a calculé Nathan Fiala, économiste américain consultant pour la Banque mondiale ! Il montre aussi que toutes les viandes ne contribuent pas de façon égale au réchauffement, le poulet générant le moins de gaz à effet de serre (GES). Ce travail confirme une étude très fouillée de l'université de Chicago qui, en 2006, avait fait grand bruit aux États-Unis, premier consommateur de viande au monde avec 124 kg par personne et par an (88,4 kg en France). Pamela Martin et Gidon Eshel, spécialistes de géophysique, ont comparé la consommation d'énergie et les émissions de GES induites par cinq régimes : le régime de l'Américain moyen (30 % de produits animaux divers et 70 % de produits végétaux plus ou moins transformés, des pommes de terre... au ketchup), le régime à base de viande rouge, celui à base de poisson, celui à base de volaille et le régime végétarien (incluant les oufs et les produits laitiers). Chacun apportait 3.774 kilocalories par jour, soit la ration moyenne aux États-Unis. Conclusion ? Le régime viande rouge dégaze 2 tonnes d'équivalent CO2 (teCO2), celui de l'Américain moyen 1,5 teCO2, le régime poisson 1,1 teCO2 minimum, le végétarien-lait-ouf 1 teCO2 et le régime volaille 0,8 teCO2. "Le régime de l'Américain moyen produit l'équivalent d'un tiers des émissions moyennes de GES des transports individuels du pays, calcule Pamela Martin. Car un Américain roule en moyenne 13.390 kilomètres par an, produisant entre 1,9 et 4,7 tonnes de CO2 selon le véhicule qu'il utilise". Alléger son assiette en viande est donc aussi important que de choisir une voiture peu gourmande en énergie fossile. "Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur, précise Gidon Eshel. Il n'est pas nécessaire de devenir végétalien, mais manger quelques hamburgers de moins chaque semaine est un moyen facile de réduire les émissions de gaz à effet de serre".
"L'industrie de la viande génère à elle seule 18 % des GES mondiaux, soit plus que tous les modes de transports combinés (14 %)", a estimé la FAO en 2006. Ses experts ont été les premiers à considérer toute la chaîne qui mène un steak ou une cuisse de poulet jusqu'à notre assiette... Ils ont donc additionné les émissions de GES de la culture fourragère (qui comprend la fabrication d'engrais chimiques, la déforestation pour créer des pâturages, etc.) jusqu'à la production animale (y complis la fermentation abdominale de méthane et les émissions de protoxyde d'azote du fumier). Ils y ont ajouté les émissions de dioxyde de carbone durant la "transformation" d'abattage, le découpage, etc.) et le transport. "L'élevage est responsable de l'émission de 9 % du CO2 mondial, de 37 % du méthane (CH4) et de 65 % du protoxyde d'azote (N2O), un gaz au pouvoir réchauffant 275 fois plus élevé que le CO2 dégagé par les engrais, et premier responsable de la destruction de la couche d'ozone", résume Henning Steinfeld, l'un des auteurs.

Dans cette lourde addition, les "rots" de vache et de moutons ne sont pas anecdotiques. C'est à 95 % par éructation - et très peu par flatulence - que le cheptel émet du méthane (CH4), un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. La durée de vie du méthane dans l'atmosphère n'étant que de 12 ans (contre 120 ans pour le CO2), des chercheurs travaillent aujourd'hui à réduire les gaz digestifs des ruminants, en modifiant leur régime alimentaire (Inra) ou en mettant au point des vaccins qui réduisent les bactéries digestives indésirables.
Une piste intéressante mais insuffisante. Car l'élevage pollue gravement les sols et les eaux. En Bretagne, en Thailande, en Chine, au Viêt Nam, les lisiers des porcs sont ainsi lessivés par les pluies jusqu'à la mer, où leurs nutriments font exploser des marées d'algues toxiques. Le volume mondial des déjections animales est ainsi 130 fois supérieur à celui des déchets de la population humaine selon l'organisme indépendant américain Worldwatch Institute (2003). Près des trois quarts de la viande de volaille, la moitié de la viande de porc et un peu moins de la moitié de la viande de bouf sont produits en élevages intensifs qui non seulement favorisent des zoonoses et requièrent l'emploi massif d'antibiotiques, mais produisent aussi des déversements concentrés de matériaux toxiques (les résidus d'azote et de phosphore des fumiers et lisiers).
Tout cela pour un bénéfice nutritionnel très discutable, les viandes ne restituant que partiellement les protéines que les animaux ingèrent. "Pour fabriquer un kilo de bouf, il faut 7 à 10 kg de céréales, 15.000 à 18.000 litres d'eau et 5 à 10 fois plus de sols que pour obtenir la même quantité de protéines végétales", calcule la FAO. La seule production du fourrage requiert 33 % des terres arables mondiales et 75 % des terres arables européennes. En Amazonie, l'élevage de bétail en ranch est par ailleurs devenu la première cause de déforestation. Près de 70 % des terres boisées de cette région servent de pâturage, les cultures fourragères couvrant une grande partie du reste, selon le WWF, l'organisation mondiale de protection de l'environnement. La surface consacrée à l'élevage intensif aurait même augmenté de 186 % entre 1961 et 2001, le plus souvent aux dépens de la forêt dense amazonienne mais aussi de la forêt de transition et de la savane. "L'élevage est en train de transformer l'Amazonie en viande hachée", dénonçait, en 2004, David Kaimowitz, directeur du Cifor (Center for International Forestry Research) qui pointait alors la hamburger connexion. "Aujourd'hui, ce sont davantage les "steak houses" européennes, voire le nouveau marché russe - dont la demande s'est multipliée par 5 entre 2001 et 2005 - ainsi que l'Egypte qu'il faudrait incriminer", corrige le géographe Guillaume Marchand, de l'Institut des hautes études de l'Amérique latine, qui préfère parler de "goulache et kebab connexion". Il rappelle aussi que c'est pour l'Union européenne que la filière d'exportation brésilienne s'est mise en place dans les années 1990 à 2000, à la suite notamment de la crise de la vache folle, la demande pour les tourteaux de soja ayant grimpé en raison de l'interdiction des farines animales. Aujourd'hui encore, la moitié du soja importé par l'Europe pour nourrir son bétail provient du Mato Grosso, État où 90 % de ces cultures (essentiellement OGM) se font en emprise sur la forêt. "Nous consommons donc également de la forêt amazonienne en achetant de la viande bovine, porcine et de la volaille européenne", explique Stéphanie Cabantous, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).
Pourtant, l'élevage fait vivre 1,3 milliard de personnes et constitue un apport primordial de protéines pour les populations mal nourries. Son impact pourrait être fortement diminué si la consommation excessive de produits animaux baissait... dans les pays riches. Or la production de viande, lait et oufs devrait doubler d'ici à 2050, passant de 229 à 465 millions de tonnes estime encore la FAO. John Powles, expert en santé publique auprès de l'université britannique de Cambridge, auteur d'un autre rapport accablant sur la viande dans la prestigieuse revue médicale The Lancet (2007) rappelle : "La consommation moyenne de viande est aujourd'hui de 224 g/jour dans les pays développés contre 31 g en Afrique". En 2008, un Français en consommait 242 g/jour, en données brutes, selon l'Office de l'élevage, qui calcule en sortie d'abattoir (viande et os). "La réduction de la consommation de viande d'au moins 10 % est la seule véritable option, s'enflamme le chercheur britannique. Les décideurs ne peuvent plus ignorer la question de l'élevage dans leurs stratégies face au réchauffement climatique. Il faut mettre la viande sur l'agenda de Copenhague" ! La Suède fourbirait déjà une proposition en ce sens.

SANTÉ : LE RISQUE DE CANCER ET D'OBÉSITÉ EST ACCRU
Le risque de cancer colorectal est 3 fois plus élevé chez les gros consommateurs de viande rouge.

Les générations futures connaîtront-elles le plaisir de la côte de bouf ? Rien n'est moins sûr, à en croire les attaques sur la viande rouge (Bouf, agneau, porc et viande contenue dans les plats préparés), accusée des pires maux : cancer, obésité. La première charge remonte à 2005 avec l'étude Epic. Issu du suivi de quelque 500.000 hommes et femmes de dix pays européens, ce travail, coordonné par le Pr Elio Riboli, alors épidémiologiste au Centre international de recherche sur le cancer (Lyon), démontrait que le risque de cancer colorectal était trois fois plus élevé chez les consommateurs réguliers de deux portions quotidiennes (200 g/jour) et plus de viande rouge et de charcuterie en comparaison à ceux qui ne mangeaient qu'une portion ou moins par semaine. Au rang des accusés, la viande rouge donc mais aussi les produits dits transformés (charcuteries). En revanche, la volaille et le poisson sortaient blanchis de ce travail. Cinq ans plus tard, le scientifique, aujourd'hui responsable de l'Unité santé publique à l'Imperial College de Londres, persiste et signe. "La plupart des études menées depuis aux États-Unis et en Europe ont montré que, sur le plan des maladies cardio-vasculaires, du diabète ou encore de l'obésité, il n'y a aucun bénéfice à consommer de la viande rouge", détaille-t-il. Dont acte.
Mais alors, si commander un deuxième tartare devient suicidaire, comment chiffrer une consommation quotidienne raisonnable ? Pour l'Institut national du cancer, le conseil est de "limiter les apports quotidiens de viande rouge et d'éviter la charcuterie". Car le risque de cancer colorectal augmente de 29 % par portion de 100 g de viande rouge consommée par jour et de 21 % par portion de 50 g/jour de charcuterie. Or, en France, on estime que 25 % de la population consomme au moins 500 g de viande rouge par semaine et plus de 25 % de la population au moins 50 g de charcuterie par jour ! De son côté, en 2007, le World Cancer of Research Fund a choisi de recommander un seuil maximal de 500 g hebdomadaire de viande rouge. En précisant que cela correspond à 700 à 750 g de viande crue. "À moins de 300 g par semaine, il n'y a pas de risque, précise Elio Riboli. Et pour qui ne peut vraiment pas s'en passer, on peut recommander une consommation hebdomadaire de 300 à 500 g. Car la viande de très bonne qualité, c'est-à-dire maigre, conserve un intérêt nutritionnel incontestable par sa richesse en fer et en protéines". À noter que des travaux récents ont montré que le mode de cuisson importe finalement peu. Car c'est un constituant même de la viande, le noyau hème-fer, qui agirait comme un catalyseur de la formation de nitrosamines, impliqués dans la cancérisation des muqueuses. Enfin rappelons que si les végétariens ont moins de risque de développer un cancer, c'est plus en raison d'une alimentation globale équilibrée et surtout d'une hygiène de vie. "De plus, on ne s'improvise pas végétarien en cinq minutes, souligne Elio Riboli. Des études ont montré que les végétariens aux États-Unis compensaient par des excès de sucres et de graisses" ! À méditer le 20 mars 2010, journée internationale proclamée sans viande. Et inutile de se rabattre sur le lapin ou la volaille. Selon un rapport récent de l'Afssa (www.anmv.afssa.fr), leurs teneurs en antibiotiques sont notables. Ce qui suggère à terme l'apparition de bactéries résistantes, même si peu d'exemples documentés mettent en relation directe l'utilisation d'antibiotiques et les échecs thérapeutiques chez l'homme.   Sylvie Riou-Milliot

NOS CONSEILS

• Préservez votre santé en optant pour les viandes maigres. Elles sont aussi les moins industrielles, selon La Santé vient en mangeant, guide du Programme national nutrition santé (2002). On peut privilégier - dans l'ordre - dinde, poulet, bouf élevés en plein air, nourris à l'herbe si possible. Un bouf issu de l'agriculture bio serait jusqu'à trois fois moins gras que son homologue standard selon l'Association de coordination technique agricole (www.acta.asso.fr). Le label rouge garantit un certain naturel (volailles élevées en plein air, antibiotiques limités au minimum). Pour les oufs, privilégiez les bio (code 0 tamponné sur la coquille) ou les "plein air" (code 1).
• Choisissez le bouf bio qui émettrait 30 % de CO2 en moins que la viande conventionnelle, selon l'ingénieur Jean-Marc Jancovici (www.manicore.com). Une adresse de viandes de plein air ou bio en direct d'un producteur du nord de l'Auvergne : www.natoora.fr/Boutique.asp
• Remplacez les protéines animales par des protéines végétales. Par ordre décroissant de teneur en protéines dans chaque catégorie : les légumineuses (lentilles, fèves, pois cassés, haricots blancs crus, pois chiches) ; les céréales (quinoa, blé, riz, seigle, sarrasin, maïs, pain complet...) ; les fruits secs et les oléagineux (noix de cajou, noisettes, pignons, pistaches et noix) ; le soja (à ne pas confondre avec les "germes de soja" ou haricot mungo) sous forme de tofu ou de fèves et le seïtan (un dérivé du blé plus riche en protéines que le bouf) sous forme de pâte.
• Privilégiez la proximité avec les producteurs en vérifiant l'origine de la viande chez le boucher ou en se fournissant dans une Association pour le mainien d'une agriculture paysanne (Amap) qui offre viande en direct de la ferme et viande bio. Pour cela, on peut consulter le site www.reseau-amap.org/

1/ Consommer moins de viande préserve la couche d'ozone

Rachel Mulot - SCIENCES ET AVENIR > Octobre > 2009
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net