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Mangez sain en protégeant la planète |
Opter pour de nouvelles espèces limite la surpêche |
Chaque Français consomme 31 grammes de poisson par jour (Credoc 2003) ; Mulet, tacaud, maigre... Privilégier certains poissons encore méconnus permettrait de sauver les plus menacés par la pêche industrielle. Si le rythme se poursuit, les poissons disparaîtront de nos assiettes d'ici à 2048. Mieux vaut manger des sardines (ici avec des anchois) plutôt que du thon rouge, menacé de disparition.
Les amateurs japonais et américains de thon rouge savourent-ils leurs dernières bouchées ? La principauté de Monaco, soutenue par la Commission européenne, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (la France à reculé), a demandé à l'Organisation des Nations unies d'inscrire Thunnus thynnus, le thon rouge du Nord (Méditerranée et Atlantique), "parmi les espèces les plus menacées au monde", ce qui interdirait toute commercialisation internationale.
Poussé par la très forte demande en sushis et sashimis, le Japon - plus gros consommateur de thon rouge avec 30 000 tonnes annuelles - fait en effet venir l'essentiel de sa matière première des fermes d'engraissement méditerranéennes. L'approvisionnement de ces dernières en poissons sauvages est ainsi devenu, depuis 1996, la principale raison de cette pêche dans la région selon la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Car l'animal ne s'élève pas : il ne se reproduit pas (encore) en captivité malgré les efforts des chercheurs. On capture, puis on engraisse dans des cages flottantes de jeunes thons sauvages, après les avoir remorqués parfois sur des milliers de kilomètres. Une pratique qui incite à la pêche illégale. "La capacité déclarée des 58 fermes méditerranéennes est de 51 000 à 60 000 tonnes quand le taux admissible de capture (TAC) dans la zone est de 22 000 tonnes. Cherchez l'erreur ! clame Alain Chartier, de Greenpeace. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des fermes non déclarées !"
Résultat ? Les stocks de thon rouge ont plongé de 74,2 % de 1957 à 2007 en Méditerranée - dont 60,9 % au cours des dix dernières années - et de 82,4 % entre 1970 à 2007 dans l'ouest de l'Atlantique, sa deuxième zone de pêche. Si la proposition monégasque l'emporte, seuls des bateaux espagnols pourront alimenter des fermes espagnoles à destination du marché ibérique, par exemple. Le marché européen
du thon rouge se stabiliserait ainsi à 6000 tonnes annuelles, selon Greenpeace. Thunnus thynnus sera-t-il sauvé ? Réponse en mars 2010, lors de la prochaine réunion de la Cites, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction.
L'affaire est emblématique de la gestion désastreuse des stocks de poisson, en Europe et ailleurs. "Une espèce sur deux parmi celles les plus appréciées au monde est parvenue à la limite de son exploitation", estime un rapport de la FAO de mars 2007. "Ces chiffres sont largement sous-estimés, confie Daniel Pauly, de l'université de Colombie-Britannique (Canada), l'un des meilleurs spécialistes au monde des ressources marines. La FAO ne prend pas en compte les petits métiers du tiers-monde dont les pêches - souvent importantes - ne sont pas suivies, comme l'a montré la thèse de la biologiste Jennifer Jacket, de l'université de Colombie-Britannique". Dès 2003, le Canadien Ransom Myers calculait dans la revue Nature que les stocks de poissons prédateurs à valeur commerciale - les 29 espèces les plus pêchées - s'étaient effondrés de 90 % depuis 1950, en raison notamment de l'industrialisation de la pêche. Car si 1 % seulement de la flotte est industrielle, elle assure 60 % des prises. "Si le rythme se poursuit, les poissons disparaîtront de nos assiettes d'ici à 2048", estime Boris Worm, du département de biologie de l'université Dalhousie (Nouvelle-Ecosse, Canada), auteur d'une étude glaçante parue en 2006 dans la revue Science.
Il vient de tirer une nouvelle salve dans le Journal of Animal Ecology, en démontrant comment les pêches ciblées de gros prédateurs, comme le thon, ont bouleversé en cascade tous les écosystèmes. De plus petits piscivores ont pris le relais avec une voracité inattendue, contribuant à appauvrir encore davantage les stocks. Sans parler des dégâts collatéraux de la pêche industrielle : les rejets de "captures accessoires" (pêchées inutilement et qui meurent) atteignent en moyenne 30 % du volume des prises, selon Philippe Coury, de l'Institut de recherche pour le développement. Et pour un kilo de crevettes pêchées - à 80 % par les pays asiatiques - on rejette même jusqu'à 3 à 10 kilos de poissons, selon la FAO. Autant de ressource
potentielle gâchée alors qu'elle pourrait nourrir les poissons d'élevage.
De plus, contrairement à celui de la filière élevage, le véritable coût énergétique et climatique des pêches industrielles et minotières (pour l'aquaculture) n'a pas encore été évalué. "L'impact peut varier du simple au double, selon la nature des poissons et leur provenance, explique Pamela Martin, de l'université de Chicago (Etats-Unis). Les anchois et sardines abondent dans des zones côtières et peuvent être collectés avec une dépense énergétique modérée. Mais les espadons et les autres espèces de grande taille nécessitent des déplacements lointains, gros consommateurs d'énergie fossile".
Pour remplacer la pêche intensive, l'aquaculture durable n'en est qu'à ses balbutiements. En 2003, Fouad Alsousamra, coordinateur d'un rapport pour le Plan d'action pour la Méditerranée, a calculé que la production d'une tonne de poisson de ferme dégageait 110 kg d'azote, 12 kg de phosphore et 450 kg de carbone. Il devient urgent de réduire l'empreinte écologique de l'aquaculture mondiale, qui fournit aujourd'hui 50% du poisson consommé dans le monde.
Par ailleurs, un poisson prédateur d'élevage est nourri d'autres poissons et contribue donc à diminuer les stocks. "L'aquaculture des pays industrialisés, notamment en Méditerranée, ponctionne des poissons qui pourraient être destinés à l'alimentation humaine", accuse Daniel Pauly. Alerté par des biologistes locaux, le Pérou, principale zone de pêche de l'industrie minotière européenne, a d'ailleurs décidé, par décret présidentiel en 2007, de réserver une part de cette pêche à la production d'anchois frais pour la population locale. Selon la FAO, plus de 2,6 milliards d'êtres humains dépendent directement des produits aquatiques (poissons, mollusques, crustacés) pour au moins 20 % de leur ration de protéines. Conscients des problèmes, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), l'Insitutde recherche pour le développement (IRD), l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) ont ausculté pendant trois ans 150 élevages aquacoles dans le monde entier pour tenter de mettre au point de bons indicateurs d'élevage. Dans les élevages de truites en Bretagne, par exemple, l'Inra espère produire d'ici à 2020 un kilo de salmonidé à partir d'un kilo de poisson consommé. Il en faut 2,4 kilos aujourd'hui !
En théorie, il faudrait donc plutôt favoriser les poissons végétariens, élevés surtout en Asie, comme les tilapias et les carpes. Mais les gourmets européens suivront-ils ? "La suppression de certaines subventions aux pêcheurs pourrait être efficace", estime Jennifer Jacket. "En ciblant la pêche industrielle, on réduirait beaucoup les capacités de pêche, sans affecter beaucoup de personnes", martèle Daniel Pauly. En attendant, ouvrons donc nos papilles à de nouvelles saveurs.
SANTÉ : Une cure d'iode et d'oméga 3
C'est l'aliment santé par excellence. "Une véritable sécurité alimentaire", précise le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition à l'Institut Pasteur de Lille. Source de phosphore et d'iode, c'est avant tout par sa teneur en oméga 3, ces acides gras polyinsaturés que notre corps ne peut fabriquer en quantité suffisante, que le poisson séduit (Plus de 5 % (saumon cru, maquereau, sardine, hareng), de 1 à 5 % (bar, thon) et moins de 1 % (cabillaud, sole, haddock)). En particulier l'EPA et le DHA, indispensables au développement du fœtus. Plus le poisson est gras, plus il pourrait même prévenir la démence (American Journal of Clinical Nutrition, 2009) ! Les recommandations nutritionnelles sont claires : "Au moins deux fois par semaine, un gras et un maigre, et plus si possible pour les femmes enceintes", détaille le scientifique. Avec juste un bémol pour les futures mères : veiller à un apport de moins de 150 g par semaine de poissons prédateurs (lotte, loup, empereur, thon, truite) en raison d'un plus grand risque de contamination par les produits toxiques (les métaux lourds comme le mercure). Comme l'avait démontré l'étude Calipso en 2006, seuls les forts consommateurs de ce type de poissons sont à risque. Une autre étude, lancée en avril dernier par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), doit renseigner sur l'imprégnation aux PCB (pyralènes ou polychlorobiphényles) des poissons d'eau douce. Résultats prévus en 2011. Autre bémol, la dioxine. Selon une étude parue dans Science en 2004 et portant sur plus de 700 saumons d'élevage et sauvages achetés dans plusieurs villes d'Europe (dont Paris) et d'Amérique, il était recommandé de ne pas consommer plus de 200 g par mois de saumon. Des conclusions qui n'avaient pas été retenues par l'Afssa qui s'en était tenue à une consommation de poisson d'au moins 300 g par semaine. En tout cas, ne cédez pas à l'envie de consommer le produit de votre pêche, surtout si vous êtes allés taquiner le brochet, le sandre ou la perche près du bassin de la Loire. Un arrêté préfectoral interdit depuis mi-juillet leur consommation et leur commercialisation, en raison d'un taux de PCB trop élevé. Alors, manger du poisson mais avec bon sens, certaines préparations étant à éviter. Exemple : une limande a une teneur en graisse inférieure à 1 % si elle est cuite à la vapeur, mais passe à 13 % si elle est panée ! Enfin rappelons que la vague sushi n'est pas sans risque. Car le ver anisakis, détruit par la cuisson, peut être responsable de parasitoses ou d'allergies. Sylvie Riou-Milliot
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Nos conseils
• Bannissez les poissons les plus menacés par la sur pêche : requins, thons, aloses, lamproies. Préférez les sardines, harengs, maquereaux... plus riches en oméga 3 et moins contaminés par des métaux lourds. Jetez un Œil au guide élaboré par Greenpeace, avec les espèces à éviter : www.greenpeace.org/france/news/et-ta-mer-t-y-penses-un-n.
• Choisissez les produits frais de
la pêche locale notamment dans les restaurants de bord de mer (mulet, tacaud, maigre). Il existe 266 espèces d'animaux aquatiques comestibles en Méditerranée même si on n'en trouve qu'un peu plus de 10 % avec une certaine régularité sur les étals des poissonneries. Pour élargir votre horizon : www.slowfish.org.
• Optez pour le label MSC (Marine Stewardship Council) dans les rayons des supermarchés, malheureusement limité aux surgelés. Il est une
garantie de pêche responsable établie avec le WWF : www.msc.org
• Pensez aux Amap créées au départ pour l'agriculture mais qui distribuent aussi des paniers de poisson
www.reseau-amap.org/
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2/ Opter pour de nouvelles espèces limite la surpêche |
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Rachel Mulot - Sciences & Avenir > Octobre > 2009 |
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