Index des SCIENCES -> PHYSIQUE -> NUCLÉAIRE 
   
 
Fukushima : la Catastrophe à Tous les Niveaux

Fukushima : l'Immense Catastrophe

En mars 2011, l'explosion de la centrale de Fukushima confrontait le Japon a une catastrophe nucléaire semblable a celle de Tchernobyl. Deux ans plus tard, quelle est la situation sur place ? Quoique rares, les premières études sont formelles : les retombées sont aussi catastrophiques... qu'inattendues ! Et le pire est sans doute à venir.

Deux ans après l'accident de Fukushima Daiichi, le désastre est réel. De vastes territoires restent inhabitables, incultivables pour des décennies, voire des siècles. De larges zones maritimes sont interdites à la pêche. Des familles vivent toujours sous la menace de la radioactivité. Et la peur, l'angoisse sont quotidiennes : et si le pire était à venir ? On sait en effet que certains effets des radiations peuvent mettre des années à apparaître. En attendant, quel est le véritable danger de consommer régulièrement des aliments contenant ne serait-ce que quelques becquerels ? Quid des risques pour les enfants qui grandjssent sur des terres chargées de radionucléides ? Aucune réponse claire n'existe. Aussi inimaginable que cela paraisse, peu de choses sont scientifiquement avérées sur l'impact environnemental et sanitaire d'une catastrophe nucléaire.
D'autant que l'archipel a déjà été victime de l'atome. Il a été meurtri par les bombardements atomiques d'Hiroshima, puis de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Des études, toujours citées en référence, furent alors réalisées sur les effets aigus des radiations et sur l'incidence des leucémies et des cancers. Pour le reste, les Américains imposèrent, avec la complicité des autorités japonaises, un blackout dans les médias, et les victimes de la bombe atomique réduites au silence. Plus incroyable encore, le XXè siècle a connu deux accidents nucléaires majeurs : Three Mile Island, le 28 mars 1979 en Pennsylvanie (États-Unis), et surtout Tchernobyl, le 26 avril 1986, en Ukraine. Or, plus d'un quart de siècle après, le bilan de Tchernobyl fait toujours débat, oscillant entre quelques milliers et près d'un million de morts !
L'histoire va-t-elle se répéter à Fukushima ? Si, deux ans après la catastrophe, les études restent trop rares, elles dévoilent déjà des phénomènes inédits, de nouvelles problématiques. L'océan est frappé par une pollution sans précédent. Les sols et les forêts ne réagissent pas comme prévu. Les animaux témoignent des premiers effets des radiations, jamais encore observés. Et tel est bien, au-delà du drame, l'enjeu de Fukushima : que la science puisse apporter des réponses sur toutes les conséquences d'un accident nucléaire.

DE TCHERNOBYL À FUKUSHIMA EN CHIFFRES
Gravité
: Les accidents nucléaires de Fukushima et de Tchernobyl sont les seuls classés au niveau 7, le plus élevé sur l'échelle Ines (International Nuclear Event Scale). Au Japon, la perte des alimentations électriques et des sources de refroidissement a entrainé la fusion du cour de 3 réacteurs ; en Ukraine, une perte de contrôle de la réaction nucléaire a provoqué une explosion du cour.
Emissions : Fukushima Daiichi a rejeté dans l'atmosphère autant de gaz rares que Tchernobyl, soit 6.500 pétabecquerels (PBq) environ ; mais seulement un dixième d'iodes radioactifs (408 PBq contre 4260 PBq), un dixième de tellures radioactifs (145 PBq contre 1390 PBq) et un tiers de césiums radioactifs (58 PBq contre 168 PBq).
Superficie et population touchées : Les sols furent moins touchés au Japon car une grosse part des rejets a fini dans l'océan. Les dépôts de césium 137 supérieurs à 600.000 Bq/m² s'étalent sur 600 km², contre 13.000 km² dans l'Est européen : soit 20 fois moins de surface. Mais la densité de population au Japon étant bien supérieure, le nombre de victimes est seulement 2 fois moindre.

R.B. - SCIENCE & VIE > Mars > 2013

Population : Vivre avec la Menace Invisible

Au Japon, deux ans après la catastrophe, le silence domine. En public, son impact sanitaire n'est pas un sujet de conversation.

D'ailleurs, à Tokyo, Kyoto et dans la plupart des grandes villes, les rayons des supermarchés sont chargés de légumes dont les étiquettes indiquent qu'ils proviennent des zones contaminées. Et il est de bon ton, par solidarité nationale, de ne pas les écarter puisqu'ils ne dépassent pas, selon les autorités, les seuils de radioactivité fixés par le gouvernement.
En novembre dernier, cependant, un chiffre a suscité une vague d'inquiétude. L'université de Fukushima venait de livrer les résultats provisoires d'une étude portant sur l'état de santé de 360.000 jeunes de moins de 18 ans vivant dans la préfecture au moment de l'accident. Environ 40 % des 96.000 enfants ayant subi une échographie de la thyroïde présentaient des nodules ou des kystes. Les parents, affolés, y ont vu le signe d'une explosion à venir des cancers. En effet, cette glande située autour de la trachée concentre naturellement l'iode radioactif libéré lors des accidents nucléaires ; et les enfants, dont la thyroïde est en pleine croissance, y sont particulièrement sensibles. Même si le radionucléide disparaît très vite (sa demi-vie est de 8 jours), des cancers liés à sa fixation sur la glande peuvent apparaître à long terme. "À Tchernobyl, 27 ans après, on sait ainsi que 7000 à 8000 cancers de la thyroïde sont directement imputables à l'iode radioactif. Tous concernent des personnes qui étaient enfants au moment de l'explosion et il a fallu attendre 4 à 5 ans pour voir les premiers cas".
À Fukushima, les spécialistes estiment donc que deux ans ne suffisent pas pour juger d'une augmentation ou non de cas de cancers. Il est normal, selon eux, que des appareils plus performants et des échographies plus systématiques détectent davantage de nodules et de kystes. Et si un cancer a déjà été diagnostiqué chez un enfant, il ne serait pas lié à l'accident.
L'autre population qui polarise l'attention est celle des liquidateurs de Fukushima, des travailleurs qui ont parfois été exposés à des niveaux significatifs lors des opérations d'urgence sur le site de la centrale. Selon le comité scientifique des Nations unies sur les conséquences des émissions radioactives, 167 travailleurs ont reçu depuis le début de leur activité plus de 100 millisieverts (mSv), seuil à partir duquel une augmentation légère du risque de cancer a été observée autour de Tchernobyl. Six d'entre eux dépassent même 250 mSv et deux autres 600 mSv. Une évaluation qui risque d'être révisée à la hausse, car manquant d'appareils après le tsunami, des liquidateurs ne disposaient même pas de dosimètres au moment de leur intervention. En outre, parmi la vingtaine de milliers d'hommes intervenus à la centrale depuis l'accident, beaucoup ont été recrutés par des sous-traitants peu regardants sur les mesures de sécurité... Des enquêtes diligentées par les Nations unies sont en cours.
Mais de ces deux populations à risque, une question plus globale s'impose : que va-t-il se passer pour tous les habitants qui vivaient ou vivent encore dans les zones contaminées ? Les analyses scientifiques officielles se veulent rassurantes. Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé diffusé en mai 2012, les habitants de Fukushima et des préfectures voisines ont reçu des doses inférieures à 50 mSv... L'évacuation de plus de 200.000 personnes (dont 160.000 définitivement) aurait donc limité l'exposition de la population.

DES SPECIALISTES DÉMUNIS

Toutefois le débat fait encore rage sur l'innocuité d'une exposition de faibles doses. Les épidémiologistes ne peuvent rien affirmer. Des militants réclament donc l'évacuation des enfants lorsque l'exposition dépasse 1 mSv par an, dose maximale autorisée par la Commission internationale de protection radiologique pour la radioactivité artificielle subie par un civil. "0r, on dépasse cette dose sur une vaste partie de la préfecture de Fukushima, mais aussi sur celles de Miyagi, Tochigi, Gunma, Ibaraki et Chiba", souligne la Commission de recherche et l'information indépendante sur la radioactivité (Criiad). Et ce, sans compter la contamination interne par ingestion de nourriture.
Dans l'archipel, les habitants apprennent donc à vivre avec un ennemi invisible et sournois. Les familles ne savent plus comment préserver l'avenir de leurs enfants. Par précaution, les sorties en plein air restent limitées dans les zones contaminées. Résultat : la préfecture de Fukushima enregistre les taux les plus élevés d'enfants obèses en raison du manque d'activités physiques.

R.B - SCIENCE & VIE > Mars > 2013

Océans : la Pollution Continue

C'est un scénario catastrophe totalement inédit dont on a du mal à prendre la mesure. "Plus de 80 % des rejets de la centrale de Fukushima Daiichi ont échoué dans le milieu marin", résume Ken Buesseler, de l'Institut océanographique de Woods Hole (États-Unis).

Soit directement, via l'évacuation des eaux utilisées pour refroidir en hâte les réacteurs ; soit indirectement, via les retombées de gaz et de poussières atmosphériques. Une pollution sans précédent, d'autant plus dramatique que les produits de la mer sont au cour de l'alimentation des Japonais. "Quand j'ai vu les vents tourner vers l'est, j'étais rassurée : il valait mieux que le panache radioactif parte vers l'océan Pacifique en épargnant les populations", raconte Sabine Charmasson, de l'Institut français de radioprotection et de nucléaire (IRSN). Mais une fois l'urgence passée, les océanographes ont pris conscience de l'ampleur d'un drame qui les laisse démunis. Le temps d'un colloque, à Tokyo au mois de novembre, leurs échanges ont trahi une incertitude majeure : quelle quantité de radionucléides a été déversée dans la mer ? Aucun appareil n'a directement mesuré, dans l'atmosphère ou en mer, les rejets de la centrale. Les scientifiques ne disposent que de chiffres a posteriori. Car ce n'est qu'entre avril et juillet 2011, soit plus d'un mois après l'accident, que la concentration de la radioactivité a été mesurée au large de Fukushima : par les autorités japonaises, mais aussi au cours d'une campagne en mer menée par Ken Buesseler.
Certaines équipes ont ensuite extrapolé ces mesures pour en déduire des chiffres globaux. D'autres, en s'aidant de modèles numériques simulant la dispersion des radionucléides, ont calculé quel volume il fallait injecter dans l'eau pour retrouver les niveaux de concentration observés. Au final, leurs estimations fluctuent considérablement : de 3 à 40 pétabecquerels (PBq) pour les rejets directs en césium 137, et de 0,18 à 30 PBq pour les retombées atmosphériques ! C'est dire combien l'évènement met les scientifiques au défi.
En aparté, Sabine Charmasson reconnaît d'ailleurs leur désarroi : "Le devenir des radionucléides en milieu marin est particulièrement difficile à évaluer car le tsunami a profondément modifié les paramètres clés, influent sur leur comportement dans l'environnement. "En charriant des masses considérables de matériaux, en libérant quantité d'autres types de polluants, la vague a en effet remodelé les reliefs sous-marins et bouleversé la composition de la colonne d'eau. Forcément, les capacités d'adsorption et de désorption (adhérence on non des radionucléides) des sédiments, ainsi que leur mobilité, ne sont plus les mêmes. Or, chaque particule a son importance : ainsi, du sable attirera moins les radionucléides vers le fond que la vase. Difficile donc d'évaluer les quantités déversées dans la mer sans connaitre la part stockée près des côtes.
Et comment va réagir la faune ? Il existe pour chaque espèce un "facteur de concentration" qui détermine, dans une eau de mer où le niveau de radioactivité reste constant, la contamination de l'organisme. Mais comment l'appliquer dans ce cas, alors que les niveaux de radioactivité sont très instables ? Les experts se rassurent : plus les échanges d'un animal avec son environnement sont importants, plus il est susceptible de capter les radionucléides, mais plus il va aussi s'en débarrasser rapidement. Autre élément positif : "Il n'y a pas de phénomène de bio-amplification au fil de la chaine alimentaire, précise Bruno Fiévet, de l'IRSN. De proies en prédateurs, la radioactivité ne s'accumule pas comme pour le mercure. En revanche, rien n'empêche la faune marine de voyager en transportant parfois très loin les radionucléides. En août 2011, des traces de césium de Fukushima ont été relevées chez quinze thons rouges du Pacifique au large de la Californie... À 9000 km de la centrale !

UNE TRÈS RAPIDE DILUTION

Enfin, il reste une grande énigme : où sont passés les radionucléides ? Si l'on se fie aux modèles numériques, ils ont été rapidement dispersés grâce au puissant courant du Kuroshio, le Gulf Stream du Pacifique. L'étude pilotée par Erik Behrens et Claus Boning, du Centre Helmholtz pour la recherche océanique de Kiel (Allemagne), indique qu'en un an, ils ont occupé la moitié du Pacifique Nord. Et devraient atteindre les côtes nord-américaines dans 3 ou 4 ans. Sans compter 1,5 million de tonnes de débris du tsunami de diverses tailles, peut-être radioactifs, qui empruntent la même route... 80 % des rejets radioactifs sont tombés dans l'océan : Il s'agit à la fois des eaux qui ont servi à refroidir les réacteurs et des retombées indirectes de poussières.
En vertu de cette rapide dilution, le Pacifique est désormais considéré comme quasi propre. "À long terme, un doublement des concentrations moyennes en césium 137 peut être attendu dans les eaux de surface du Pacifique Nord, soit 4 millibecquerels par litre (mBq/l) au lieu des 2 mBq/l essentiellement des rejets radioactifs sont tombés dans l'océan dus aux retombées des essais nucléaires réalisés avant 1963", précise Pascal Bailly du Bois, de l'IRSN. Une quantité jugée négligeable.

Au large de Fukushima cependant, les mesures effectuées dans la zone interdite à la pêche livrent un autre son de cloche. Analysées par Ken Buesseler, elles révèlent que, plus d'un an et demi après la catastrophe, 40 % des poissons ne sont pas consommables. En décembre, une rascasse culminait même à 254.000 bq/kg ! Mais ce n'est pas ce qui inquiète le plus les scientifiques... Devant leur assemblée, Ken Buesseler a présenté une courbe illustrant l'évolution du taux de césium des poissons pris au large de Fukushima. Très élevée au lendemain du drame, cette courbe chute régulièrement avant de se stabiliser. Or, elle ne devrait pas cesser de faiblir, puisqu'une part des radionucléides se désintègre en permanence naturellement et qu'une autre est emportée par les courants. La pollution continue donc. Chiffres à l'appui, Iota Kanda, de l'université de Tokyo, pointe trois sources : la centrale continuerait à fuir (0,3 térabecquerels [TBq] par mois) ; les rivières lessivent les sols et relâchent des radionucléides dans l'océan (1,8 TBq/mois) ; surtout, du césium aurait été piégé dans les fonds marins, contaminant toute la chaîne alimentaire (94 TBq). Or, souligne Ken Buesseler, "comme 16 césium 137 a une demi-vie de 30 ans (durée pour que la moitié des noyaux radioactifs se désintègrent), les sédiments devoient rester contaminés encore des décennies". Au large de Fukushima, l'océan n'a pas fini de souffrir.

R.B - SCIENCE & VIE > Mars > 2013

Terre : la Radioactivité se Déplace

Lors de l'acciclent nucléaire de Fukushima Daiichi, les vents n'ont pas toujours été cléments : ils ont parfois brusquement tourné vers l'ouest quand l'éventage des enceintes de confinement et les explosions d'hydrogène laissaient filer dans l'atmosphère quantité de radionucléides.

1500 km² de terres fortement contaminées, c'est-à-dire contenant un dépôt de césium 137 supérieur à 300.000 Bq/m².

Les 15 et 16 mars principalement, les rejets radioactifs se sont alors dispersés, non plus vers l'océan Pacifique, mais au-dessus des terres. Puis de fortes pluies et la neige ont stoppé leur progession en les faisant tomber au sol.
Environ 20 % des rejets ont ainsi durablement contaminé le territoire, formant des dépôts en "taches de léopard" jusqu'à 250 km de la centrale. La région du Tohoku, un des principaux greniers à riz du pays, a ainsi été la plus touchée. Deux ans après, les radionucléides de courte durée, comme l'iode 131, se sont désintégrés, mais la persistance des césium 134 et 137 dans l'environnement oblige à surveiller régulièrement les productions agricoles. En janvier, du riz cultivé en dehors de la préfecture de Fukushima contenait pour la première fois plus du double de la limite légale de césium radioactif ! Aujourd'hui encore, quelque 160.000 personnes n'ont toujours pas retrouvé leur habitation. La zone d'exclusion, d'abord dessinée en cercles de 20 puis de 30 km autour de la centrale, suit désormais le contour des dépôts radioactifs relevés sur les cartes. "On y discerne un panache de contamination particulièrement marqué sur la chaine de montagnes qui jusqu'à 40 km au nord-ouest de la centrale, et la présence d'un panache secondaire dans la vallée de l'Abukuma, en amont de la ville de Fukushima", décrit Olivier Evrard, du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui s'est rendu plusieurs fois dans la zone dans le cadre du projet franco-japonais Tofu (Tracing the consequences of Fukushima).

DÉCHETS RADIOACTIFS : ILS S'ACCUMULENT
Il y avait les tonnes de débris du tsunami. Voilà que s'accumulent en plus sur l'archipel les tonnes de résidus radioactifs issus de la décontamination
. Chaque jour, des armées d'hommes tentent en effet de repousser la radioactivité. Ils rincent les chaussées et les toits, ils arrachent les cinq premiers centimètres du sol, ils ramassent mousses, plantes et feuilles mortes, ils coupent les arbres contaminés. Les médias japonais dénoncent un nettoyage bâclé et inefficace. L'eau de nettoyage est en partie rejetée dans les rivières. L'herbe coupée est laissée sur place. Les déchets radioactifs sont amassés dans de grands sacs qui... gisent dans la nature, à la merci d'un coup de vent ou d'une grosse vague. Un gigantesque travail de Sisyphe.

Mais, sur le terrain, les radionucléides se jouent des tracés qui tentent de les localiser avec précision. Il se déplacent sans cesse et avec une rapidité qui surprend les scientifiques. Les rivières lessivent et concentrent les matières radioactives, qu'elles charrient ensuite des montagnes vers les vallées et la mer. "Au final, on retrouve des sédiments très fortement contaminés dans des zones qui étaient relativement épargnées par les retombées initiales", souligne Olivier Evrard.
Que les sédiments radioactifis dévalent les pentes et suivent les cours d'eau n'est pas étonnant. Mais ici, des distances importantes sont parcourues sur des temps très courts, comme vient de le quantifier pour la première fois le projet Tofu. La faute au relief accidenté de l'archipel, mais aussi à ses typhons et ses fortes pluies, sans oublier ses sols en grands partie bitumés. "À certains endroits, près d'un fossé ou d'une bouche d'égout, les débits de doses mesunés par les appareils étaient plus élevés qu'attendu, alors que nous n'étions pas, a priori, dans des zones très contaminées", résume Olivier Evrard.
Les conséquences pour les populations ne sont pas anodines. "En Russie, après Tchemobyl, la grande partie des sédiments a été stockée dans des friches en has de pentes, au fond de ravins ou dans des vallées secondaires, et seule une quanitée limitée a atteint les grandes rivières, précise Olivier Evrard. Au Japon, en revanche, le relief et le climat très érosif sont susceptibles d'entraîner l'exportation massive de sédiments contaminés vers les plaines cultivées et densément peuplées". Des experts japonais s'alarment ainsi de voir le deuxième plus grand lac du pays, le lac Kasumigaura, situé à 160 km au sud de Fukushima, se charger de la radioactivité drainée par ses affluents. Or, cette étendue de 220 km², sans accès à la mer, constitue une source d'eau potable pour 960.000 riverains.
Autre inquiétude : les forêts ont stocké une quantité surprenante de radionucléides. Dans la préfecture de Tochigi, 150 km environ au sud-ouest de Fukushima, une équipe conduite par Hiroaki Kato et Yuichi Onda, de l'université de Tsukuba, a effectué des mesures sur des plantations de deux espèces emblématiques de l'archipel, les cèdres Cryptomeria japonica et les cyprés Chamaecyparis obtusa. Leur constat est sans appel : "Cinq mois après les retombées radioactives, plus de 60 % du césium 137 était encore piégé dans la canopée. Il est certes normal que les particules radioactives soient capturées par les aiguilles du conifère. "Le césium est un analogue chimique du potassium, un élément très important pour les végétaux, explique Pierre-Marie Badot, de l'université de Franche-Comté, qui a travaillé sur les forêts contaminées après Tchernobyl. Il pénètre donc facilement dans les plantes à travers le feuillage.

UN TERRIBLE "EFFET RETARD"

S'il semble que l'on pourrait se réjouir de voir les arbres intercepter une grande partie des retombées radioactives, épargnant du même coup la terre et les aliments qui y poussent, la réalité est tout autre : "Ce phénomène ne fait que retarder la contamination des sols, qui interviendra de toute façon quand les aiguilles tomberont, au bout de cinq ans environ, reprend Badot. On assiste à un effet retard". En clair, les sols vont subir une deuxième vague de contamination quand la population s'y attendra le moins et aura sans doute relaché sa vigilance. Au Japon, cet "effet retard" est étrangement accentué pour deux raisons. D'abord parce qu'une très grande quantité de césium est susceptible d'être relâchée : les conifères ont stocké 60 % du césium atmosphérique, mais ils vont aussi absorber par les racines une partie du césium tombé au sol quand il aura atteint quelques centimètres de profondeur. Ensuite, parce que, sans que l'on puisse encore l'expliquer, cette pollution secondaire y est davantage différée dans le temps. L'étude de Hiroaki Kato révèle en effet que la demi-vie biologique du césium 137, c'est-à-dire la durée nécessaire pour que l'arbre se débarrasse de la moitié du contaminant initial via ses échanges naturels avec l'environnement, s'élève à 620 jours dans les cyprès et à 890 jours dans les cèdres, alors qu'elle n'était que d'une centaine de jours chez les épicéas observés en Allemagne après Tchemobyl !
La pollution est moins importante pour les feuillus, comme l'a montré une autre étude portant sur 20 espèces différentes dans la préfecture de Chiba, à environ 200 km au sud de la centrale. Le problème n'en reste pas moins préoccupant dans un archipel couvert à 70 % par des forêts composées essentiellement de cyprès et de cèdres. Mouvante, invisible, deux années après le drame, la radioactivité n'a donc pas fini de se jouer des hommes... et de leurs prévisions.

R.B - SCIENCE & VIE > Mars > 2013

Faune et Flore : un Impact totalement Déroutant

"Travailler autour de Tchernobyl était mille fois plus simple"... Anders Pape Moller, de l'université Paris-Sud, peine encore à la croire.

Cela fait plus de vingt ans qu'il étudie, avec son collègue Timothy Mousseau, de l'université de Caroline du Sud (Etats-Unis), l'effet des radiations sur la biodivelsité dans la zone d'exclusion de la centrale ukrainienne. Lorsqu'a eu lieu l'accident de Fukushima Daiichi, tous deux ont logiquement voulu étendre leurs recherches à la zone d'exclusion japonaise. "Impossible raconte le chercheur. Nous n'avons pourtant demandé ni argent ni assistance, seulement l'accés à des sites publics. À croire que les japonais ne veulent pas savoir".
Les autorités ont en effet mis l'accent sur la décontamination des villes et la remise en état de la centrale... Et une chose est sûre : les études sur la faune et la flore à Fukushima sont rarissimes. Des collectes de fleurs mutantes ont bien été pris, mais aucune étude n'a été publiée pour l'instant. Quant aux animaux, seules trois ou quatre publications évoquent leur sort. Il ressort que le pire serait à venir. L'impact de la radioactivité sur la faune et la flore s'avère déroutant. D'autant qu'il n'y a pas de comparaison possible : à Tchernobyl, il n'existe aucune donnée en la matière sur les cinq premières années passées sous le feu des radionucléides. Cantonnés en bordure de la zone d'exclusion, qui dessinait un périmètre de 20 km autour de la centrale, Anders Moller et Timothy Mousseau ont comptabilisé 14 espèces d'oiseaux qu'ils avaient déjà étudiées en Ukraine. Première surprise : pour des doses similaires, les populations de volatiles diminuent davantage à Fukushima. Est-ce parce qu'à Tchernobyl, les années passant, la sélection naturelle avait fait son ouvre ? Ou bien parce que la plus forte densité de l'écosystème nippon accentue l'effet des radiations ? Les chercheurs n'ont pas de réponses claires.

DES MUTATIONS GÉNÉTIQUES...

Les deux chercheurs ont également comparé l'effet des radiations à vingt ans (en Ukraine) et à six mois (au Japon). À Tchernobyl, c'est simple : qu'il s'agisse d"araignées, de sauterelles, de libellules, de bourdons, de cigales, de papillons ou d'oiseaux, plus la radioactivité est forte, moins les populations sont abondantes. À Fukushima, cette corrélation négative ne se vérifie que pour trois groupes : oiseaux, cigales et papillons. Et elle est franchement contredite avec les araignées, dont la population a augmenté ! Peut-être à cause de la disparition de quantité d'oiseaux. Là encore, difficile d'analyser les mécanismes en jeu dans ces variations. Anders Moller et Timothy Mousseau font néanmoins une sombre prédiction : le japon doit s'attendre à voir les populations d'animaux chuter autour de Fukushima, puisqu'elles n'ont pas encore subi l'influence à long terme des faibles doses respunsables, autour de Tchernobyl, d'une multiplication des mutations par un facteur allant de deux à vingt selon les espèces et les zones considérées.
Cet effet des faibles doses, c'est un papillon commun au japon, Zizeeria maha (ou papillon du Yamato), qui l'a tristement popularisé. Ailes atrophiées ou repliées, antennes difformes, yeux cabossés, couleurs altérées. Aux alentours de la centmle, des malformatiuns inédites ont été observées par Joji Otaki et ses collègues de l'université des Ryukyu, à Okinawa. Ils sont formels : "Les radionucléides de la centrale de Fukushima ont causé [ces] dommages physiologiques et génétiques".
Leur étude, qui allie observations sur le terrain et expérimentations en laboratoire, paraît implacable. En mai 2011, une centaine de papillons ont été collectés entre Fukushima et Tokyo, à travers sept localités dans un rayon de 200 km autour de la centrale. Le taux de malformations était de 12,4 %. En septembre 2011, quatre mois plus tard, une seconde collecte a montré un taux dépassant les 28 % ! Sachant que plus les régions sont contaminées, plus la quantité de malformations est importante... Cela dit, la hausse constatée entre les mois de mai et septembre ne peut s'expliquer par une plus longue exposition des insectes aux radiations : les papillons du Yamato ayant une durée de vie d'un mois, tous les individus collectés sont donc nés après l'accident et ont donc été irradiés tout au long de leur existence. Mais cette hausse ne semble pas non plus liée à l'intensité des radiations, puisque les papillons de mai, qui présentent le moins de malformations, ont été exposés à de plus fortes doses...

DÉJÀ INSCRITES DANS L'ADN

Selon Joji Otaki, la différence proviendrait en fait de "l'accumulation des mutations sur plusieurs générations dues à une exposition continue à de faibles doses". Tandis que les fortes doses ont des effets radiotoxiques si marqués qu'elles modifient l'abondance d'une population, les faibles doses, elles, abîment le matériel génétique des organismes tout en les laissant survivre et se reproduire. Les papillons des deux lots ont par oonséquent subi la même exposition aux faibles doses, mais du fait de l'hérédité de l'ADN, les individus de septembre (4è ou 5è génération après Fukushima) ont accumulé davantage de mutations que ceux de mai (2è génération).
À l'appui de cette hypothèse, les chercheurs ont élevé et fait se reproduire des papillons collectés dans leur laboratoire, à Okinawa, quelque 1750 km au sud de Fukushima, les rejets de la centrale sont à peine perceptibles. Chez les descendants des papillons de mai, le taux de malformations est de 18,3 % puis il grimpe à 33,5 % pour la génération suivante. Chez ceux des papillons de septembre, il est supérieur à 50 %. Ce qui confirmerait l'hypothèse d'une accumulation des mutations ou des générations.
Les dégâts causés par une telle pollution sont particulièrement pernicieux car ses effets n'apparaissent pas toujours immédiatement : ils peuvent surgir chez des individus qui n'ont subi aucune irradiation directe, mais ont hérité de certaines caractéristiques de leurs parents. Ainsi, la descendance obtenue en laboratoire a non seulement hérité de malformations, mais elle en a développé de nouvelles : antennes fourchues, ailes asymétriques... Et la mortalité des larves et des nymphes s'est révélée très élevée.
Reste que ces rares études laissent en suspens de nombreuses questions. À partir de quel seuil les faibles doses entrainent-elles des mutations ? Dans quelles proportions l'irradiation externe, imputable à la contamination de l'environnement, et l'irradiation interne, liée à l'ingestion de nourriture contaminée, sont-elles responsables ? Pourquoi les espèces ne réagissent-elles pas de la même manière aux radiations ? Surtout, que se passe-t-il dans la zone hautement contaminée ? Autant de problématiques que Tchernobyl n'a pas épuisées et que le Japon a une chance de résoudre en partie si la communauté scientifique s'en donne les moyens. Deux projets en cours lèveront peut-être un coin du voile. Freebird (Fukushima Radiation Exposure and Effects in Bird populations), porté par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (LRSN), suit différentes espèces d'oiseaux (mésanges, moineaux) dans la zone contaminée afin de déterminer s'il existe un lien entre les doses reçues et certaines modifications physiologiques (condition physique, système immunitaire, couleur du plumage...). L'université de Fukushima a, de son côté, équipé des macaques sauvages de dosimètres afin d'évaluer la contamination des forêts où l'homme ne peut plus aller. En mars 2011, des échantillons de muscles de ces cobayes affichaient 25.000 Bq par kilogramme. Reste à savoir comment nos cousins primates vont réagir à de telles doses.

BÉTAIL : UNE CAMPAGNE D'ABATTAGE SYSTÉMATIQUE
Selon le ministère de l'Agricuiture japonais, 3400 vaches, 31.500 cochons et 630.000 poulets vivaient dans la préfecture de Fukushima à la date du 11 mars 2011
. Si une bonne part n'a pas survécu au séisme et au tsunami, quantité d'autres sont morts de faim lorsque fermiers et éleveurs furent contraints de quitter les lieux à la hâte, laissant derrière eux leur bétail. Moyennant une subvention, le gouvernement a alors organisé l'abattage des troupeaux restants, contaminés et trop chers à nourrir. Seuls de rares irréductibles ont refusé, tel l'agriculteur Naoto Matsumura, le dernier homme vivant dans la zone d'exclusion, qui prend encore, tant bien que mal, soin des différents animaux abandonnés dans la zone de Fukushima.

R.B - SCIENCE & VIE > Mars > 2013
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net