Monde ANIMAL (Eucaryotes Invertébrés) : ARTHROPODES, Hexapoda,
Insecta : Près de 1,3 million d'espèces (près de 10.000 nouvelles espèces inventoriées par an).
Pterygota, Neoptera, Holometabola, Hymenoptera (entre 1 et 5 millions d'esp, une centaine de familles)
Hyménoptères, Apocrita, Aculeata, Formicidae (358 genres, + de 12000 espèces) |
Pourquoi les Insectes vont Conquérir le Monde |
Le Phénomène des Fourmis : Les "Super-Colonies" sont parmi nous |
C'est un phénomène unique dans l'ordre du vivant : au lieu de se combattre, des espèces différentes de fourmis s'associent désormais pour former des colonies de milliards d'individus. Lesquelles envahissent de plus en plus le monde...
En Nouvelle-Calédonie, la fourmi électrique a provoqué l'abandon de plantations de caféiers en raison des piqûres qu'elle inflige aux ouvriers agricoles. (->)
Dans le Sud de l'Europe se bâtit aujourd'hui un véritable empire : celui de la fourmi d'Argentine (Linepithema humile). Un empire de plus de 6000 kilomètres ! Car de la Galice espagnole à la Riviera italienne, en passant par Porto, Valence, Perpignan, Marseille et Nice, cet insecte n'en finit pas de grignoter du terrain, formant tout au long des façades atlantique et méditerranéenne une armée de milliards d'individus. Un phénomène unique dans l'ordre du vivant, que les spécialistes appellent "supercolonie". Quand on sait que les fourmis mettent en place une organisation sociale hypersophistiquée et que leur organisme leur permet de résister aux conditions les plus difficiles, ces gigantesques regroupements ont de quoi inquiéter. Car ces supercolonies posent de vrais problèmes écologiques et économiques là où elles passent.
DES DÉGÂTS ESTIMÉS À DES MILLIARDS DE DOLLARS
Ainsi, aux Etats-Unis, la fourmi de feu rouge (Solenopsis invicta), d'origine brésilienne, s'est arrogé tout le Sud du pays depuis son arrivée dans l'Alabama au début des années 30, et ses supercolonies y causent des dégâts multiples dont le coût est aujourd'hui estimé à 3 milliards de dollars par an ! Dans de nombreuses îles des Caraïbes et du Pacifique, la fourmi électrique (Wasmannia auropunctata), qui vient d'Amérique du Sud, cause également de multiples dommages depuis les années 70, tandis qu'à Hawaï, les supercolonies de la fourmi sud-africaine à grosse tête (Pheidole megacephala) ont exterminé quantité d'insectes natifs, entraînant la disparition de certains oiseaux insectivores.
À véritable fléau dans les îles du Pacifique, la fourmi électrique (ici, reines et ouvrières), résiste aux moyens de lutte actuels.
En un siècle, une dizaine d'espèces de fourmis invasives ont colonisé de nouveaux territoires dans le monde.
Voici les trajets possibles de quatre d'entre elles, parmi les plus agressives et menaçantes pour la faune et la biodiversité.

|
|
|
|
|
NOM |
Linepithema humile |
Pheidole megacephala |
Solenopsis invicta |
Anoplolepis gracilipes |
ORIGINE |
Argentine et Brésil. |
Afrique du Sud. |
Probablement le Sud du Brésil et le Nord de l'Argentine. |
Inde (ou Afrique ?). |
RÉPARTITION ACTUELLE |
Tous les continents, sauf l'Antarctique. |
Zones tempérées et tropicales (îles du Pacifique). |
Introduite en Alabama, elle a gagné tout le Sud des USA. |
Toutes les régions tropicales et subtropicales. |
MORPHOLOGIE |
De 2 à 4,5 mm.
Couleur miel. |
De 2 à 4 mm de long. Les "soldats" ont une grosse tête. Couleur jaune pâle à marron foncé. |
De 2 à 6 mm de long.
Couleur brune-rouge. |
De 4 à 5 mm de long.
Longues pattes et antennes. |
NID |
Peu visible, sous les pierres, les tuiles, dans le sol. Comporte jusqu'à une centaine de reines. |
Dans le sol, sans dôme visible. |
En forme de monticule de 40 cm de haut et de diamètre. |
Souvent situé en bas des arbres et des plantes. Jusqu'à 300 reines et de 30.000 à 40.000 ouvrières par nid. |
ALIMENTATION |
Omnivore, prédatrice d'insectes, "nettoyeuse" de cadavres, avide de graines, de fruits, de nectar et du miellat des pucerons et cochenilles. |
Omnivore, prédatrice d'insectes, d'autres invertébrés et de petits vertébrés. Ne dédaigne pas les graines et le miellat des pucerons. |
Arthropodes, vers de terre, petits vertébrés. Elle aime aussi la sève des plantes de culture. |
Omnivore. Prédatrice de la faune de la litière du sol et des arbres, elle élève aussi des pucerons pour leur miellat. |
COMPORTEMENT |
Très agressive, elle attaque d'autres fourmilières. Active nuit et jour, toute l'année. |
Active nuit et jour. Les soldats, aux mandibules acérées, sont de vrais tueurs pour les autres espèces de fourmis. |
Effectue des raids de chasse dans les nids d'autres fourmis. Pique tout ce qui s'approche du nid. Piqûre très douloureuse. |
Active nuit et jour. S'agite quand elle est dérangée. Ne pique pas, mais tue ses proies en les aspergeant d'acide formique. |
CONSÉQUENCES |
Force les fourmis autochtones à s'installer ailleurs ou les tue. Nuit indirectement aux cultures en favorisant les pullulations de pucerons. |
En surnombre, elle élimine les fourmis autochtones. En augmentant la densité des pucerons, elle réduit la productivité agricole. |
Réduit la diversité des autres espèces de fourmis, de petits animaux. Altère les récoltes. |
Impact négatif sur de nombreuses espèces d'invertébrés et de vertébrés. Nuit à l'agriculture. |
UN MODE "D'ORGANISATION SUPERCOLONIALE" UNIQUE
La fourmi d'Argentine a établi une immense supercolonie dans le Sud de l'Europe. Elle devrait continuer à gagner du terrain, grâce à sa capacité à accaparer les ressources alimentaires. (->)
Dans l'océan Indien, sur l'île Christmas (au sud de Java), la fourmi folle à longues pattes (Anoplolepis gracilipes), d'ascendance indienne (ou africaine), s'est mise à pulluler au milieu des années 90. Résultat : "Elle a décimé quelque 20 millions de crabes rouges (Gecarcoidea natalis) depuis 1995, engendrant des changements de structure majeurs dans la végétation forestière", explique Ben Hoffmann, chercheur au CSIRO australien (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization).
Quant à la fourmi d'Argentine, son invasion de l'Europe promet elle aussi d'être remarquable (voir carte). Son histoire ne l'est pas moins. Originaire des forêts sud-américaines, elle a involontairement été introduite dans les années 20 en Europe, via les bateaux qui effectuaient les liaisons transatlantiques. Quatre-vingts ans plus tard, sa supercolonie inquiète. Surtout que ses ouvrières sont très agressives, omnivores et expertes dans l'art d'exploiter les ressources alimentaires. Equipées de mandibules tranchantes, d'un venin et de composés chimiques défensifs, elles n'hésitent pas à attaquer divers insectes, assaillant les nids pour y capturer oufs, larves et nymphes. Ces facultés, amplifiées par le nombre d'ouvrières, leur permettent d'éliminer localement les fourmis européennes - et même de concurrencer d'autres invertébrés (ci-dessous). De surcroît, la fourmi d'Argentine favorise la prolifération de parasites des cultures (cochenilles et pucerons), dont elle affectionne le miellat sucré.
LA FAUNE TOUCHÉE DE PLEIN FOUET -
Les fourmis invasives concurrencent de nombreux invertébrés parmi lesquels les araignées. En effet, elles ont tendance à monopoliser les ressources de l'habitat qu'elles envahissent. Elles sont aussi prédatrices d'escargots, de scarabées, de larves de papillons... La fourmi de feu rouge est même connue pour perturber les couvées de certaines tortues et de l'alligator du Mississippi. Les nuisances des invasives sont aussi indirectes. Par exemple, en Californie, le lézard cornu (Phrynosoma coronatum), gros mangeur de fourmis, dédaigne les fourmis d'Argentine et, à la suite de la disparition d'une grande partie de ses proies habituelles, ne trouve plus assez pour se nourrir. |
Mais il ne faut pas s'y tromper, les supercolonies ne sont pas seulement une affaire de nombre : elles inventent un mode d'association unique entre différentes colonies qui, d'ordinaire, se livreraient bataille. En Amérique du Sud, les classiques colonies de fourmis d'Argentine combattent ainsi impitoyablement les congénères appartenant à d'autres fourmilières. C'est que dans la cuticule des fourmis, des molécules hydrocarbonées créent une "signature" chimique spécifique, qui diffère selon les colonies ; grâce aux récepteurs olfactifs de leurs antennes, elles reconnaissent donc tout individu étranger et lui interdisent l'accès à leur territoire. À l'inverse, au sein d'une supercolonie, les ouvrières et les individus sexués de nids différents se côtoient sans agressivité et passent d'une fourmilière à une autre. Sans doute parce qu'ils ont perdu la faculté de reconnaître certaines signatures chimiques (ci-dessous). Résultat : chaque reine, une fois fécondée, s'en va fonder un nouveau nid à quelques dizaines de mètres de sa fourmilière. Un nid abritant une dizaine de reines peut, dès lors, "bourgeonner" en autant de nouvelles fourmilières, ce qui constituera la supercolonie. Laquelle, à l'échelle d'une région, peut englober moult populations réparties dans plusieurs centaines ou milliers de nids. Et plus la supercolonie est grande, plus son impact sur l'environnement est important. Les fourmis locales auront beau faire, elles seront vite noyées sous la masse ! Le phénomène est si spectaculaire qu'en Californie du Sud et à Hawaï, par exemple, on se demande où s'arrêtera la fourmi d'Argentine !
POURQUOI SI PEU D'AGRESSIVITÉ ? - Comment expliquer l'absence d'agressivité entre congénères de nids différents dans les supercolonies ? Selon le biologiste Neil Tsutsui, l'installation d'une petite population de fourmis d'Argentine sur le territoire nord-américain, à la fin du XIXè siècle, a créé un "goulet d'étranglement" génétique : la diversité des formes génétiques (allèles) déterminant la reconnaissance des odeurs a diminué, entraînant l'effondrement de la capacité de détection des signatures chimiques spécifiques à certaines colonies. Mais pour Laurent Keller, de l'Institut d'écologie de l'université de Lausanne, il s'agirait plutôt d'une "purification génétique" : "Notre idée est que l'une des formes génétiques codant les molécules de reconnaissance olfactive entre individus a été avantagée après leur introduction dans un nouvel habitat, car les fourmis qui la possédaient n'avaient pas à combattre les colonies situées à proximité. Or, les colonies qui se battent moins ont plus d'ouvrières et sont plus compétitives. Cet allèle de non-agression a donc été favorisé par la sélection naturelle." Des modèles informatiques devraient trancher entre ces deux théories.
Laurent Keller, chercheur à l'Institut d'écologie à l'université de Lausanne. |
Pour l'heure, les supercolonies restent rares parmi les quelque 12.000 espèces de fourmis recensées. Néanmoins, toutes les fourmis connues pour envahir de nouveaux territoires en y provoquant des dommages - espèces dites "invasives" - adoptent une organisation supercoloniale. Or, "à l'ère de la mondialisation, la probabilité de nouvelles invasions d'espèces augmente avec le temps", souligne Terry McGlynn, de l'université de San Diego, en Californie. Ainsi, si aujourd'hui, sur la centaine de fourmis exotiques qui se sont fixées hors de leur région d'origine, seule une petite dizaine d'espèces sont invasives, ce chiffre pourrait bientôt être revu à la hausse. L'organisation supercoloniale de ces fourmis invasives les mènerait alors à s'approprier de nouvelles niches écologiques un peu partout dans le monde.
UNE EXPANSION FACILITÉE PAR L'EFFET DE SERRE
En Europe, outre la fourmi d'Argentine, une seconde espèce supercoloniale, la fourmi invasive des jardins (Lasius neglectus ->), commence à faire parler d'elle. Repérée en 1988 dans un parc de Budapest, l'espèce, originaire de Turquie ou d'Europe de l'Est, a depuis été trouvée à Barcelone, Paris, Varsovie, Toulouse, Athènes... D'après les recherches du groupe de Soe Pedersen, à Copenhague, les Lasius de Paris, Gand et Budapest appartiennent à la même gigantesque supercolonie ! L'espèce gagne du terrain et pourrait, grâce à sa résistance au froid, s'implanter au Danemark et dans le Sud de la Suède. Et il est probable que "l'augmentation de l'effet de serre contribue à son expansion vers le nord, précise Soe Pedersen. On s'attend à ce que tout changement climatique majeur, en créant des communautés d'espèces plus 'ouvertes', facilite l'expansion des espèces invasives." À ce rythme, une bonne partie de la planète pourrait alors être conquise.
Pourquoi les insectes vont conquérir le monde
1/ Le phénomène des fourmis
2/ Une résistance à toute épreuve
3/ Des armées sans chef
4/ Un duel avec l'homme ?
5/ Ces autres insectes à l'affût
J-J.Perrier - SCIENCE & VIE > Juillet > 2003 |
|