Un Passé bien Vivant

Depuis que la vie a émergé sur Terre, certaines espèces sont apparues, d'autres se sont éteintes. Quelques-unes ont traversé les âges, gardant des caractères primitifs qui leur ont valu le surnom de "fossiles vivants". Portraits.

ce Le "film de la vie" a laissé des traces autour de nous, dans des espèces bien vivantes qui portent en elles des vestiges du passé. Ainsi les nautiles (->), uniques représentants de céphalopodes tétrabranchiaux, qu'on rencontre au large de certaines îles du Pacifique et des côtes australiennes, vivaient déjà il y a 450 millions d'années (Ordovicien). Parmi les végétaux, les prêles, les cycas ou les ginkgos sont des survivants des taxons dont les autres représentants se sont éteints depuis fort longtemps. Mais c'est du côté des Archées (ou archéobactéries) que se situe le record d'ancienneté : certaines dateraient de plus de 3,8 milliards d'années ! Elles pourraient même être l'ancêtre de nos cellules. Mais le débat n'est pas clos.

Toutes ces espèces, et bien d'autres encore, sont souvent qualifiées de "fossiles vivants". Soit parce qu'elles donnent l'impression de ne pas avoir évolué depuis leur apparition sur Terre, soit parce qu'elles ont été connues d'abord sous forme fossile avant qu'on découvre des individus vivants. C'est le cas du fameux colacanthe (->), un grand poisson osseux aux allures primitives appartenant au groupe des sarcoptérygiens (à nageoires charnues). Grâce aux différents fossiles retrouvés, on sait que ce vertébré existait déjà il y a 390 millions d'années environ. Puis, on pensait l'animal disparu, emporté avec les dinosaures lors de la crise majeure du Crétacé tertiaire, il y a 65 millions d'années. Jusqu'à ce que, en 1938, soit capturé un exemplaire au large des côtes d'Afrique du Sud. En 1952, 200 spécimens ont ensuite été référencés aux Comores, et en 1997, une nouvelle population a été découverte en Indonésie.

DE FAIBLES VARIATIONS MORPHOLOGIQUES

Mais attention, "les deux espèces actuelles ont des formes, des tailles et des anatomies différentes de celles du passé, même si leur allure générale demeure très primitive, souligne Gael Clément, paléontologue, chercheur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN). Il serait faux de penser que ces taxons sont restés figés". Pour cette raison, l'expression de "fossiles vivants" n'est, d'un point de vue scientifique, pas tout à fait exacte. Il serait plus juste de parler d'espèces panchroniques, c'est-à-dire présentant un faible taux de variations morphologiques au cours du temps. (Le Sphénodon est l'unique représentant de l'ordre des rynchocéphales, apparu il y a 220 millions d'années. ->)

Soit, mais comment ces espèces ont-elles survécu aux crises biologiques qui ont entrainé la disparition de nombre d'espèces ? Prenons les stromatolithes, par exemple. Ces formations rocheuses calcaires bio-construites par des micro-organismes, notamment les cyanobactéries, existent depuis 3,5 milliards d'années. Le secret de leur longévité ? La simplicité : "Ces organismes se développent un peu partout car ils sont peu spécialisés, explique Patrick de Wever, paléontologue au MNHN. Si leur environnement se modifie, ils vont s'adapter, contrairement à l'homme, qui est beaucoup plus spécialisé". Est-ce à dire que l'espèce humaine serait particulièrement vulnérable ?
Selon le chercheur, s'il y a une nouvelle crise de la biodiversité, "ce sera le règne des insectes. Ils sont nettement moins spécialisés que les hommes, et possèdent une adaptabilité très forte". Ils avaient déjà survécu à la probable météorite qui mit fin au règne des géants dinosaures il y a 65 millions d'années. Une belle leçon d'humilité...

LE CAFARD, LE PLUS VIEIL INSECTE AILÉ AU MONDE

Fossile de cafard datant du Crétacé (plus de 65 millions d'années - Ma ->). Encore appelé blatte ou cancrelat, le cafard est probablement l'insecte ailé le plus vieux au monde. Il serait apparu il y a 350 à 400 millions d'années environ (Dévonien), d'après les plus anciens fossiles retrouvés. Les blattes ont connu leur apogée au Carbonifère (il y a 300 à 350 millions d'années). Certaines espèces pouvaient mesurer jusqu'à 60 centimètres de long. Aujourd'hui, la famille des blattidae comporte près de 4500 espèces, aux formes, couleurs et tailles variées, mais possédant les mêmes caractéristiques que les cafards du passé : un grand bouclier protégeant la tête, de longues antennes recourbées et des ailes repliées. Comment les blattes ont-elles pu survivre à la fameuse crise du Crétacé ? Grâce à leur réactivité et à leur grande résistance : ces insectes sont dotés de capteurs sensoriels qui leur permettent de détecter les mouvements d'air, et donc de réagir extrêmement vite (en 11 millisecondes) ; ils disposent de pattes qui peuvent se régénérer ; ils s'accoutument aux différents poisons utilisés par l'homme ; et sont même résistants aux radiations d'origine nucléaire, y compris à des doses mortelles pour l'homme. Bref, les cafards ont tout pour durer !

L'ORNITHORYNQUE, MAMMIFÈRE DU CRÉTACÉ

L'ornithorynque est un animal étrange : tel un mammifère, il a des poils sur la peau et la femelle allaite les petits ; par ailleurs, il est pourvu d'un bec corné et de pattes palmées, comme un canard, et pond des oufs, comme les oiseaux ou la plupart des reptiles. Des particularités dont témoigne son génome : la récente étude de ce dernier a en effet confirmé que cet animal considéré comme un mammifère est aussi un reptile et un oiseau. Cette combinaison étonnante fait de lui un objet d'étude privilégié pour comprendre l'évolution des espèces. Ainsi, son mode de reproduction ovipare et certains éléments de son squelette constituent des caractères primitifs rappelant les reptiles ancestraux. Il faut dire que ces animaux endémiques d'Australie appartiennent à l'ordre des monotrèmes, des mammifères qui existaient déjà au Crétacé (il y a de 65 à 145 millions d'années environ).

LE GINKGO, L'ARBRE QUI A SURVÉCU À TOUTES LES CRISES CLIMATIQUES

Arbre de Chine à feuilles en éventail, le ginkgo biloba fait figure d'ancêtre : on a retrouvé des fossiles de feuilles datant de 270 millions d'années, ce qui en fait l'espèce connue la plus ancienne, et le seul représentant actuel de la famille des ginkgoacées. Le ginkgo ne possède pas de graines, mais les plants femelles portent des ovules, fécondés par le pollen de plants mâles. La fécondation donne naissance à un arbre de taille moyenne, pouvant atteindre de 20 à 35 m, et d'une grande longévité : certains spécimens ont plus de 500 ans. Le ginkgo biloba est très résistant : il aurait émergé avant les dinosaures et survécu à tous les bouleversements climatiques... Ce fut même le premier arbre à repousser à Hiroshima après la Seconde Guerre mondiale ! Une ténacité qui explique qu'on le trouve dans de nombreuses grandes villes pourtant très polluées. Mais aujourd'hui, l'espèce est menacée : depuis 1998, elle est inscrite sur la liste rouge de l'UICN (Union intemationale pour la conservation de la nature), qui répertorie les animaux et végétaux en danger dans le monde. L'homme, qui utilise son bois, ses amandes et ses feuilles, pourrait bien être son pire ennemi.

LA LIMULE, UN ARTHROPODE DE 425 MILLIONS D'ANNÉES

La limule est un arthropode marin de la famille des limulidae, qui comprend quatre espèces assez similaires. Elle est recouverte d'un "bouclier céphalique" qui lui vaut les appellations de "crabe des Moluques" ou "crabe fer à cheval". Toutefois, il ne s'agit pas d'un crustacé mais d'un chélicéré, comme les araignées et les scorpions. Elle peut mesurer jusqu'à cinquante centimètres de long et vit une trentaine d'années au fond d'eaux peu profondes. La limule se nourrit de petits poissons ou crustacés qu'elle broie à l'aide de ses pattes antérieures, sa bouche étant dépourvue de dents. Probablement apparue il y a 425 millions d'années, elle a subi une évolution lente dans un milieu stable et a ainsi conservé ses caractères ancestraux. L'animal est doté de quatre yeux primitifs qui ne détectent que les objets en mouvement. Sa queue lui permet de se déplacer avec facilité dans le sable et également de se diriger. Son hémolymphe, l'équivalent du sang chez les invertébrés, est composé d'hémocyanine en lieu et place de l'hémoglobine, et c'est ce qui donne à ce liquide une couleur bleue. Dépourvue de système immunitaire, la limule possède néanmoins des cellules, les amebocytes, capables de produire, en présence de toxines bactériennes, une sorte de gel qui bloque les infections. Rudimentaire mais efficace.

LA PRÊLE, VÉGÉTAL DU CARBONIFÈRE

Les prêles sont les derniers représentants des sphénophytes, un des groupes de végétaux arborescents dominants des forêts houillères du Carbonifère (il y a de 300 à 359 millions d'années). Elles ont conservé des caractères primitifs, dont certains ont contribué à leur maintien : leurs tiges souterraines (rhizomes) et tubercules, grâce auxquelles elles se multiplient végétativement.
Ce mode ancestral de reproduction asexuée génère des clones, moyen rapide de conquérir un autre milieu. Les prêles peuvent aussi se reproduire via des spores, qui donnent naissance à un prothalle, lame chlorophyllienne qui porte les cellules sexuelles mâles ou femelles. Ces plantes herbacées sont dotées de feuilles réduites à cuticule épaisse, ce qui limite la transpiration. Elles peuvent donc vivre en zone humide ou aride. Et survivre aux changements climatiques. Fossile de prêle datant du Carbonifère (il y a plus de 300 Ma).

F.H. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2008
 

   
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