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Le Film de la Vie

Les Origines du Monde






E.V.D.B. et O.G. - NATIONAL GEOGRAPHIC N°274 > Juillet > 2022

La Grande Aventure de la Vie sur Terre


W.-R.P. - SCIENCES ET AVENIR HS N°208 > Janvier-Mars > 2022

Le Film de la Vie

En seulement quelques millions d'années, tous les acteurs de la saga de la vie étaient en place. Pour une aventure qui verra ensuite se former les premières cellules, jusqu'aux organismes complexes. La reconstitution est loin d'être complète, mais on a déjà une bonne idée du scénario.

L'affaire aurait été menée en deux temps trois mouvements à l'échelle de l'histoire terrestre : "Jusqu'à il y a 4 milliards d'années, la Terre était invivable, bombardée par une multitude de météorites et de comètes, raconte Pierre Thomas, géologue à l'Ecole normale supérieure de Lyon. Ce bombardement, dont les traces ont disparu sur Terre, a vraisemblablement détruit toute vie qui serait apparue avant ou pendant, et a "stérilisé" notre planète. Et comme la vie était bien présente il y a 3,5 milliards d'années, tout s'est donc fait entre ces deux dates, pendant ces quelques millions d'années fatidiques. C'est très court à l'échelle géologique : cela représente moins de 5 % de l'histoire de la Terre". La composition de certaines roches sédimentaires du Groenland témoigne de la présence de cette vie. Le graphite qu'elles emprisonnent contient en effet une proportion anormalement élevée de carbone léger (12C) par rapport au carbone 13. Or on sait que les organismes vivants incorporent préférentiellement ce carbone léger dans leurs tissus. Ils pourraient donc être responsables de ce tri. Par ailleurs, dans certaines roches australiennes, des traces ressemblant fortement à des stromatolithes (la plus ancienne forme de vie connue) semblent confirmer qu'il y a 3,5 voire 3,8 milliards d'années, l'affaire était bel et bien dans le sac.

ON DOIT LA VIE À UNE CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE
L'oxygène, une calamité mortelle ? Oui, sans aucun doute, du moins pour les organismes anaérobies qui peuplaient l'atmosphère terrestre il y a environ 2,2 à 2,45 milliards d'années !
Ceux-ci doivent en effet leur disparition aux cyanobactéries, aussi appelées "algues bleues", soit des organismes unicellulaires apparus il y a environ 3,5 à 3,8 milliards d'années et qui ont commencé à casser les molécules de CO2 pour en récupérer le carbone et rejeter l'oxygène. Ce gaz a longtemps été piégé dans les minéraux (notamment le fer dissous dans les océans primitifs), puis le piège est parvenu à saturation... L'excès d'oxygène a donc été libéré, sa teneur dans l'atmosphère passant de 1 à 10 % en quelques centaines de millions d'années. Ce bouleversement sans équivalent a déclenché la première extinction massive de l'histoire de la vie. Et c'est à cette "grande oxydation" (en anglais, Great Oxydation Event, ou GOE) que la vie actuelle, basée sur l'oxygène, a pu démarrer son évolution.

P.G. - SCIENCE & VIE > Août > 2010

Des molécules à la celluleLA RECONSTITUTION AVANCE...

Que s'est-il donc passé au cours de ces quelques petits millions d'années ? "On est encore loin d'avoir reconstitué le film de l'apparition de la vie, avoue Robert Pascal, un des spécialistes de la question à l'université de Montpellier. Mais on avance". Depuis environ soixante ans, de nombreuses étapes clé ont en effet soit reçu une confirmation expérimentale, soit fait l'objet d'une argumentation théorique convaincante.
Reprenons depuis le début : il y a le ciel, le soleil et la mer... Au fond de l'eau, émergent ici ou là des sédiments et des roches magmatiques. Après plusieurs millions d'années de bombardement météoritique, la température diminue. Le Soleil, encore jeune, brille faiblement à travers une atmosphère lourde et étouffante. La pression de l'air est au moins vingt fois plus élevée que celle que l'on connaît aujourd'hui, et même sans doute beaucoup plus... L'air, rendu rosé par les vapeurs de méthane, est totalement irrespirable : il est riche en eau, en hydrogène, en dioxyde de carbone.
Si, à ce stade, la vie est encore absente de la surface de la Terre, l'atmosphère primitive renferme déjà, au travers de composés comme le méthane ou le CO2, l'un de ses éléments clés : le carbone. L'atome de carbone, en effet, est au cour des molécules vivantes. Sa capacité à se lier facilement à quatre autres atomes, en créant des architectures spécifiques, n'a pas d'équivalent sur notre planète. Même le silicium et le germanium (autres atomes offrant quatre liaisons) ne fabriquent pas de liaisons aussi souples et réactives. Pour réagir avec ce carbone, et l'habiller, l'azote, l'hydrogène et l'oxygène présent dans le dioxyde de carbone n'attendent qu'un signe. Ce sera la baisse de la température, qui stabilise les molécules dites organiques (à base de carbone) et les coups de pouce énergétiques du rayonnement solaire, l'électricité des éclairs d'orage et la chaleur dégagée par le cour de la Terre.
Et puis la mer offre un providentiel milieu de réaction, dans lequel les molécules se solubilisent. Quant au sable, ou aux possibles terres plus ou moins émergées, c'est un support de réaction, capable d'attirer à lui (d'adsorber) certaines molécules. Or, en les adsorbant, il mobilise une partie des liaisons des molécules, fragilisant d'autres liaisons qui deviennent plus réactives. À ce moment de l'histoire terrestre, tous les acteurs sont en place. Le point d'orgue de la pièce qui se déroule alors : L'apparition de la vie. Une pièce qui, a posteriori, donne l'impression de s'être déroulée sans accroc. Premier acte : l'apparition des briques chimiques de la vie. Une formalité, si l'on en croit l'expérience menée dès 1953 par Stanley Miller, le père de la chimie prébiotique ("d'avant la vie"). Il montre qu'il suffit de porter à ébullition un ballon à moitié rempli d'eau et surmonté d'un mélange de gaz (méthane, ammoniac gazeux, hydrogène - des composants de l'atmosphère primitive de la Terre), puis de soumettre les gaz résultants à des arcs électriques pour obtenir des acides aminés. Or ces acides aminés constituent les maillons de base de toutes les chaînes de protéines qui existent sur Terre. Protéines dont la vie ne peut se passer. Prenons par exemple l'hémoglobine du sang, l'insuline, les enzymes, les antigènes du système de défense immunitaire... Toutes des protéines, constituées d'une succession d'acides aminés liés entre eux par des liaisons chimiques.
L'expérience de Miller a été par la suite très vivement discutée et il est fort probable que les choses ne se soient pas réellement passées ainsi. Mais elle a frappé les esprits, en montrant à quel point la chimie organique de la Terre primitive devait être riche. Depuis, de multiples reconstitutions en laboratoire ont mis en évidence que des acides aminés et d'autres molécules à la base de la vie ont pu également se former au fond des océans, près des fumeurs noirs : on observe en effet près de ces sources d'eau chaude d'origine volcanique une synthèse biochimique importante, alimentée en énergie par le sulfure d'hydrogène d'origine magmatique. Autre possibilité : que les acides aminés aient été apportés par des météorites qui bombardaient abondamment notre planète à ces époques reculées.

À LA FOIS HYDROPHOBES ET HYDROPHILES

Et cette richesse ne s'arrête pas là. Dans les nombreuses expériences menées à la manière de Miller, les diverses soupes prébiotiques renferment très souvent, en plus d'acides aminés et d'autres composés organiques, des molécules amphiphiles comme des acides gras. On en trouve aussi dans les météorites. Or ces éléments, parce qu'ils sont à la fois hydrophobes et hydrophiles, ont un comportement très particulier. Leur simple composition chimique les conduit à former spontanément des gouttes (comme des gouttes d'huile dans l'eau). Voire des poches, appelées vésicules, comme le chimiste Jack Szostak en fait naître dans son laboratoire à l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT, à Boston, États-Unis). "Les acides gras peuvent spontanément s'agréger et s'assembler pour former des vésicules membranaires. Mais c'est un processus lent. Nous avons trouvé que plusieurs surfaces minérales peuvent diminuer ce délai. L'un de ces minéraux, c'est l'argile appelée montmorillonite", explique-t-il.
Mais il ne s'agit, selon les propres termes de Jack Szostak, que de "processus purement physiques et chimiques". On est encore bien loin de la vie... Robert Pascal résume ainsi la situation : "On sait que des molécules organiques, les briques du vivant, peuvent se former dans un milieu sans vie. On sait que des systémes de type protométabolique peuvent s'installer. On sait que certaines molécules hydrophiles peuvent s'assembler et former des structures qui ressemblent à des vésicules, des protocellules. Ce qui manque, c'est un support pour l'information, un codage". Autrement dit, pas de vie sans hérédité, et pas d'hérédité sans un code qui passe les caractéristiques des géniteurs à leur descendance.
Aujourd'hui, bien sûr, dès que l'on parle de code, on pense aussitôt à l'acide désoxyribonucléique, le fameux ADN. Ce sont en effet ses molécules qui assurent ce codage (infographie ->). Des molécules au fonctionnement complexe. Or tous les spécialistes en sont persuadés : ce système de codage a eu, dans la petite enfance de la vie, un ancêtre plus simple. Une molécule organique qui possédait des propriétés chimiques intéressantes, grâce auxquelles elle pouvait se dupliquer et effectuer des réactions, telle une sorte de métabolisme primitif. La rencontre entre les vésicules et ce "protocode" fut décisive. On peut imaginer qu'elle a eu lieu par hasard, des vésicules englobant ce code primitif lors de leur formation, ou qu'elle a eu lieu sur un support solide comme de l'argile. C'est alors que serait apparue une forme de reproduction. Des expériences en laboratoire ont en effet confirmé que les vésicules membranaires peuvent grossir, en incorporant des lipides. Elles atteignent ainsi une taille critique et, comme une bulle de savon fragilisée, finissent par se diviser en cellules plus petites. Dans les premiers temps, le contenu de la cellule se retrouvait au hasard dans l'un ou l'autre des compartiments-débris. Jusqu'à ce qu'un jour, le petit code se fixe à la membrane avec les outils utiles à sa réplication. Petit à petit, la division cellulaire s'est calée sur la reproduction du code héréditaire.

DUPLICATION ET ÉVOLUTION VOIENT LE JOUR

Or avec la duplication naît l'évolution (encadré)... Un des plus grands maître à penser en la matière, l'évolutionniste John Maynard Smith, décédé en 2004, en résumait le principe ainsi : "Une fois que vous avez des objets capables de se répliquer, de manière que si un A se multiplie, il produit des A et un B des B, autrement dit une fois que vous avez la multiplication et l'hérédité, la sélection naturelle suit obligatoirement. Elle n'a pas à être inventée, elle est simplement là. "Les objets capables de se répliquer plus efficacement prenant naturellement l'ascendant sur les autres.

ÉVOLUTION SIGNIFIE ADAPTATION
Selon la théorie de l'évolution, dont les bases ont été posées par Charles Darwin, au XIXè siècle, une population d'êtres vivants se modifie au cours du temps et donne ainsi naissance à de nouvelles espèces. Les modifications interviennent au cours de la reproduction, à cause d'une duplication imparfaite de l'ADN. Parmi ces modifications accidentelles, celles qui procurent un avantage aux porteurs de la modification se généralisent chez l'espèce. C'est la sélection naturelle. Imaginons ainsi une population de bactéries A. Celles-ci se trouvent environnées de bactéries B. la concurrence règne pour la place et la nourriture. Les bactéries A se divisent, tout comme les B. La génération des filles est le plus souvent identique aux mères, grâce à la duplication de leur ADN. Mais il arrive que des erreurs se glissent dans la réplication. Le plus souvent, elles passent inaperçues. Parfois, elles empêchent l'individu de survivre. Mais de temps en temps, elles lui procurent un véritable avantage. Imaginons qu'ainsi, une bactérie A se mette à produire une toxine qui tue les bactéries B. La bactérie A va disposer de plus d'espace, plus de nourriture, pour se développer. Elle va proliférer plus vite que les autres. Sa descendance, à laquelle elle lèguera sa capacité à produire la toxine miracle, va également se développer. Ce trait va petit à petit devenir majoritaire dans la population des A. Selon la théorie de l'évolution, c'est ainsi que tous les êtres vivants ont évolué vers des formes de mieux en mieux adaptées à leur environnement.

Dès lors, un vent créateur de diversité souffle sur ce que l'on peut commencer à appeler le vivant. Un des joyaux de cette inventivité est sans conteste l'ARN. Cet acide ribonucléique est une molécule très proche de l'ADN, mais nettement moins spécialisée. Comme l'ont montré deux groupes de recherche américains menés par Sidney Altman et Thomas Cech dans les années 1980, l'ARN est en effet capable de coder de l'information comme l'ADN, mais il peut assurer lui-même la catalyse de nombreuses réactions chimiques. C'est ainsi qu'il aurait pu jouer le rôle de "bonne à tout faire" dans les premières cellules.
Bienvenue, donc, dans un premier monde "à ARN" ! C'est sous la houlette de ce code génétique que la sélection darwinienne façonnera désormais la vie. C'est même lui qui a dû inventer... les protéines. Le scénario serait alors le suivant : les ARN attirent des acides aminés et se lient à eux pour gagner en stabilité. Les acides aminés mis bout à bout le long de l'ARN constituent des protéines de plus en plus longues. La traduction, le principe qui fait que l'ARN dicte la composition des protéines d'un organisme, apparaît. Certaines protéines, construites de cette manière, ont pu révéler des aptitudes imprévisibles. Et notamment celle de faciliter l'activité de l'ARN. Petit à petit, des protéines-outils se sont construites, qui ont elles-mêmes favorisé les ARN codant pour elles. Le code génétique devenait ainsi de plus en plus signifiant et les protéines de plus en plus utiles. Certaines se sont mises à catalyser des réactions, à transporter des éléments chimiques, à capter l'énergie solaire...
Il ne restait plus qu'à inventer l'ADN, très proche chimiquement de l'ARN, pour que la vie ressemble à ce que l'on en connaît aujourd'hui. Comment cet ADN est-il concrètement apparu ? La question est encore débattue. Il y a 3,5 milliards d'années, des algues bleues commençaient déjà à peupler la planète. La vie s'installait. Rien ne l'arrêtera plus, ni les sautes d'humeur du climat, ni les grandes glaciations, ni les météorites, ni les variations de la composition de l'atmosphère.
Une fois ancrée sur Terre, cette vie va connaître de sérieuses mutations. La cellule primitive, sans noyau, sans compartiments internes, dite procaryote, se complexifie. Aujourd'hui, une cellule végétale ou animale observée sous un microscope ressemble à une usine à gaz. Le matériel génétique (l'ADN) est enfermé dans un noyau (on dit que c'est une cellule eucaryote) qui le protège des radiations extérieures ou des agressions chimiques. On y trouve également de nombreux compartiments internes, comme les mitochondries qui permettent à la cellule de respirer. Comment est-on passé des procaryotes aux eucaryotes ? Le scénario a été dégagé entre 1975 et 1995. On s'est alors aperçu que les mitochondries possédaient leur propre ADN et que celui-ci était apparenté aux ADN bactériens. Certaines cellules procaryotes primitives auraient donc tout simplement englobé, avalé, de grosses particules et notamment d'autres cellules. Au lieu d'être digérées, ces cellules auraient continué à vivre à l'intérieur et auraient établi un rapport gagnant-gagnant avec leur prédateur. Une cellule capable de produire de l'énergie chimique à partir d'oxygène, par exemple, aurait ainsi offert ses services en échange du gîte et du couvert. En réalité, la symbiose apportant, au regard de l'évolution, un avantage aux deux protagonistes, de telles associations se sont multipliées. Nous sommes il y a 2,5 milliards d'années. La Terre abrite alors trois grandes lignées du vivant : les archées (des cellules procaryotes), les bactéries et les cellules eucaryotes. Tout ce qui procure un avantage en termes de survie prend l'ascendant sur les autres formes de vie et se répand. Les inventions se succèdent : la photosynthèse il y a environ deux milliards d'années ; les premiers végétaux (des algues vertes) ; les premiers êtres multicellulaires quand les colonies de cellules deviennent tellement dépendantes les unes des autres, tellement spécialisées, qu'elles ne peuvent plus vivre les unes sans les autres. Et puis viendra la sexualité, il y a environ 900 millions d'années. En mélangeant les gènes d'individus différents, la sexualité renforce la capacité d'adaptation à l'environnement, la résistance aux maladies, etc. Elle donne un coup d'accélérateur à l'évolution. En trois milliards d'années, les procaryotes avaient peu évolué. Mais au cours des d'années qui suivent, la progression est fulgurante.

DES PROCARYOTES AUX PLURICELLULAIRES
De l'apparition de la première cellule à celle des premiers animaux, les organismes ont, pendant plus de trois milliards d'années, acquis un génome, un noyau, des organites et finalement la capacité à s'associer
. Ce scénario postule que la vie a évolué des organismes les plus simples vers les plus complexes. S'il s'agit de l'idée la plus communément admise, elle ne fait pas l'unanimité : pour certains, les cellules sans noyau auraient pu descendre de cellules à noyau (eucaryotes).

LA VIE EST EN EFFERVESCENCE

L'explosion a lieu il y a environ 540 millions d'années. Les fossiles témoignent de l'événement le plus spectaculaire de l'histoire de la biodiversité : des yeux, des antennes, des branchies, des flagelles pour se déplacer... se développent. La vie est en effervescence. On voit apparaître des mollusques, des vers, des arthropodes (animaux articulés recouverts d'une carapace), etc. Quelque 20 millions d'années plus tard, la plupart des lignées animales actuelles sont inventées. Mais la pièce continue de se jouer. Avec, dans l'ordre d'apparition sur scène, les poissons, les mousses, les fougères, les conifères, les mammifères, les plantes à fleur, les dinosaures, et puis les singes. Dont certains se relèverqnt pour marcher sur deux pattes, coloniser toute la planète jusqu'à se demander, un jour, comment tout cela a bien pu commencer.

A.D. - SCIENCE & VIE HS > Décembre > 2008
 

   
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