Monde ANIMAL - Eucaryotes - Invertébrés : Radiata, Cnidaria (10.000)
Medusozoa (5 classes, 6000 espèces), Type Méduse (1500 espèces)

L'Invasion des Méduses

L'Ère Annoncée des Méduses

Douze années qu'elles se sont installées sur nos rivages. Un record inquiétant pour les chercheurs qui ne voient pas comment endiguer leur prolifération.

Personne ne l'a vu s'approcher. En quelques minutes, le banc de petits organismes gélatineux a colmaté les immenses filtres du circuit de refroidissement d'un réacteur de la centrale nucléaire de Gravelines, près de Dunkerque, provoquant son arrêt immédiat. Inutile de calculer le coût de revient d'une telle invasion, ni d'épiloguer sur le ridicule de la situation : la plus haute technologie humaine à la merci d'une boule de gélatine. C'était, il y a 20 ans, la première manifestation spectaculaire de la gélification des océans. Connu sous le doux nom de groseille des mers, le coupable, un animal marin carnivore et translucide de quelques centimètres, prolifère tant par endroits que la mer ressemble à. une gelée de groseilles décolorée. Mais les plus redoutés des contributeurs à la gélification des océans sont ses cousines, les méduses.
En quelques années, par leur pullulation, les méduses se sont imposées non pas comme sujet d'étude pour les chercheurs, mais comme une grave préoccupation des professionnels de la mer à cause des nuisances qu'elles provoquent. Ainsi, c'est un peu par la force des choses que les scientifiques se sont penchés sur le sujet, mais depuis, leur cri d'alarme est unanime : la conquête des océans par les méduses ne fait que commencer, et l'homme est leur plus précieux allié. Les méduses sont des animaux très simples constitués de deux feuillets, l'ectoderme et l'endoderme, limitant une masse gélatineuse dans laquelle sont insérés leurs deux uniques organes : l'estomac et les gonades. Cela résume assez bien la vie d'une méduse : manger pour se reproduire. Et jusqu'au début des années 2000, la prolifération des méduses Pelagia noctiluca sur les côtes méditerranéennes était tout aussi simple : cyclique et bien réglée. Depuis les premières pullulations décrites dans la région, en 1775, il y avait des années à méduses et des années sans méduses, selon une périodicité de 12 ans. Et cette périodicité était corrélée aux fluctuations climatiques, en particulier au recul des glaciers alpins. On avait même déduit de l'analyse des conditions climatiques que les années à Pelagia étaient toujours précédées de 3 années chaudes peu pluvieuses. Mais en 12 ans, les méduses P. noctiluca ont brouillé les pistes. Désormais, elles sont là tous les ans, été comme hiver, et il faudra apprendre à nager en slalomant entre ces masses de gelée et en évitant soigneusement leurs tentacules pour ne pas être piqué (c'est l'espèce la plus urticante de la Méditerranée). Comment ces animaux que tous les naturalistes des XVII et XVIIIè siècles surnommaient gelée de mer ou eau coagulée, ces organismes composés à 98 % d'eau - presque des gouttes d'eau dispersées dans la mer - ont-ils pu en 12 ans contrarier tous les modèles de fluctuations hydroclimatiques établis jusqu'alors et qui avaient fonctionné pendant deux siècles ?
Puisque, comme tous les animaux, les méduses mangent pour se reproduire, il est vraisemblable que l'étude de leur physiologie apportera des réponses. Que mangent-elles et quand se reproduisent-elles ? C'est l'un des axes des programmes de l'Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer animés par Gabriel Gorsky ou encore Fabien Lombard. Manger ? Vivant en pleine eau, les méduses mangent du plancton et leur régime alimentaire est varié. Elles attrapent aussi bien les oufs de tous les organismes marins que des larves et des adultes de crustacés ou de mollusques, voire des alevins de poissons. En étirant au maximum leurs tentacules très élastiques, elles augmentent considérablement le volume d'eau prospecté. Et comme elles n'ont pas de satiété, elles sont capables d'avaler leur propre poids en nourriture en une journée. Elles exercent ainsi une prédation énorme sur le petit zooplancton (des animaux de quelques millimètres), mais aussi sur l'échelon supérieur des poissons.Par leur pullulation, elles deviennent le point central de l'écosystème pélagique marin en modifiant la composition du zooplancton et en diminuant l'ensemble de la production marine. Dès lors, on les considère comme l'un des acteurs principaux des changements de la biodiversité marine. Se reproduire ? Dès que la température des eaux se réchauffe, au début du printemps, les méduses P. noctiluca mâles émettent dans l'eau des spermatozoïdes, lesquels fertilisent les femelles qui les avalent. Entre midi et 14 heures, les femelles pondent les oufs fécondés (de taille 0,3 millimètre, parmi les plus gros des méduses) et les évacuent par la bouche. Ces oufs éclosent, libérant une larve ciliée, la planula, dont la croissance aboutit en quelques jours à une petite méduse ou éphyrule. Chez cette espèce, il n'y a pas de stade fixé comme chez les autres méduses (encadré ci-dessous).



C.B.-C. et J.G. - POUR LA SCIENCE N°453 > Juillet > 2015

L'Invasion des Méduses est Denenue Globale

Depuis quelques années, les méduses pullulent. Rien ne semble enrayer l'essor de ces animaux d'aspect pourtant si fragile et rudimentaire. Leur secret ? Une étonnante faculté d'adaptation... et le coup de pouce humain.

Pas besoin de se baigner pour s'en persuader ! Une simple balade sur les plages de la Méditerranée ou sur les rivages de stations balnéaires un peu partout dans le monde suffit : échouées lamentablement sur le sable, des dizaines de masses gélatineuses paraissent autant de preuves d'une prolifération, sinon incontrôlable, du moins avérée des méduses...
Dans le sud de la France, rares sont d'ailleurs ceux qui n'ont jamais eu à écourter leur baignade après une douloureuse rencontre avec un banc de pélagies (<- Pelagic noctiluca).
Une prolifération locale ? Le phénomène semble en réalité bien pire ! Car après de longues années de polémique et de controverse, un nombre croissant de scientifiques n'hésite plus à l'affirmer : les méduses sont non seulement en train d'envahir les eaux de la planète, mais elles les colonisent si bien qu'elles y supplantent les autres espèces, menaçant de régner bientôt en maitres sur les océans. Mais plus que sur les désagéments des vacanciers, l'inquiétude porte désormais sur la baisse drastique de la biodiversité. Le bouleversement total et peut-être définitif d'un écosystème qui nourrit des centaines de millions de personnes.
Au niveau local, le phénomène ne fait déjà plus l'ombre d'un doute. Mais le voici à présent avéré à l'échelle du littoral d'un pays ou de certaines mers. Pour une première raison entièrement imputable à l'homme : les méduses ont bénéficié des activités de pêche qui les ont débarrassées de leurs prédateurs et de leurs concurrents. En mars dernier, une étude pilotée par des chercheurs de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et du ministère namibien de la pêche en faisait pour la première fois la démonstration, claire et implacable. Ils ont comparé deux écosystèmes appartenant au même courant océanique, le Benguela, qui borde le sud de l'Afrique. Dans le premier, au large de la Namibie, les mesures de gestion des stocks de poissons sont très peu contraignantes et les méduses colonisent le littoral. Leur biomasse représente désormais deux fois et demie celle des poissons ! À l'inverse, dans le second, 1000 km plus au sud, au large de l'Afrique du Sud, où la pêche est très contrôlée depuis 60 ans, la population de méduses n'a pas augmenté. "L'exemple de la Namibie est emblématique, mais il est loin de faire exception, souligne Philippe Cury, coauteur de l'étude. En mer Méditerranée, en mer Baltique, en mer du japon, en mer Caspienne, en mer de Béring ou dans la baie de Chesapeake, aux Etats-Unis, les écosystèmes productifs exploités sont désormais perturbés par les gélatineux.

À LA CONQUÊTE DES MERS : Depuis des décennies, les fluctuations environnementales (vent, température, production de biomasse) étaient connues pour entraîner des proliférations de méduses. "Mais ce qui est nouveau, c'est que des écosystèmes développent des surabondances de façon durable", reprend Philippe Cury. Au point que les écologistes parlent désormais de changement de régime. Pourquoi maintenant ? Parce que "dans ces zones, toutes les conditions pour voir émerger des méduses sont réunies", explique sobrement le chercheur.
Au premier rang, la surpêche, qui les a débarrassées de leurs prédateurs (thons, tortues...) et de leurs concurrents (anchoies, sardines...). Ce à quoi il faut ajouter le rejet en mer d'engrais qui génèrent une accumulation de plancton dont elles sont friandes, sans oublier, ultime facteur, l'élévation de la température des océans, qui leur convient parfaitement. Tous ces facteurs, avérés au niveau local, ont fini par se conjuguer au point de conférer à l'explosion du nombre de méduses une dimension planétaire. Si l'on en croit Anthony Richardson, de l'université du Queensland (Australie), l'une des voix les plus écoutées sur le sujet, "la structure des écosystèmes marins pourrait rapidement et durablement basculer d'une domination des poissons vers une domination des méduses". Et le biologiste d'insister : "D'autant que ces organismes disposent d'une suite d'attributs qui leur permettent de survivre dans des écosystèmes perturbés et de rebondir rapidement quand les conditions s'améliorent". En clair : les méduses ont un vaste régime alimentaire, un taux de croissance rapide, la capacité à se contracter lorsqu'elles sont affamées, ou à tolérer un apport en oxygène insuffisant (l'hypoxie)... Tout ce qu'il faut pour conquérir les mers. Un scénario qui, pour convaincant qu'il semble être, a cependant quelques détracteurs.
Les plus sceptiques estiment en effet que l'invasion des méduses à l'échelle du globe serait en grande partie une illusion. À l'appui de leur thèse ? En janvier dernier, une équipe internationale réunie autour de Robert Condon, du Dauphin Island Sea Lab en Alabama (États-Unis), a examiné 37 bases de données couvrant la période 1790-2011. De quoi mettre en évidence des oscillations naturelles, des cycles de croissance et d'effondrement des populations de méduses, avec une périodicité de 20 ans environ. Et justement : le dernier cycle de prospérité, qui a débuté en 1993, aurait trompé les scientifiques en leur faisant croire à une hausse globale de l'abondance de ces organismes. Alors que ce cycle n'a rien d'exceptionnel, il aurait provoqué un regain d'intérêt pour les méduses, jusqu'à en biaiser la perception, selon l'adage qui veut que plus on s'intéresse à un animal, plus on en voit et plus on en déduit qu'il prolifère... Et les auteurs d'affirmer : "Il n'existe aucune preuve solide d'une forte augmentation globale"... Tout en nuançant malgré tout leur propos, puisqu'ils admettent avoir constaté "une légère mais significative augmentation des méduses depuis les années 1970". Soit, précisément, la période à partir de laquelle débute le phénomène de la surpêche.

UN VÉRITABLE CERCLE VICIEUX : Troublant ? Pas tant que cela. En réalité, il n'y a pas de contradiction flagrante entre la théorie des cycles et celle de la prolifération globale d'origine humaine. Elles pourraient même, dans une certaine mesure, se combiner au bénéfice du nombre des méduses. Ainsi, à la fin d'un cycle, la population diminuerait, mais sans jamais retomber tout à fait au niveau précédent, bénéficiant du déséquilibre écologique engendré par les activités humaines citées plus haut. Ainsi, lorsqu'un nouveau cycle s'amorce, le stock de départ serait à chaque fois un peu plus élevé que précédemment. Résultat : à force de se répéter un peu partout à l'échelle locale, ce mécanisme permettrait à la population globale des méduses d'augmenter, doucement mais sûrement.
Un seul exemple ? En Mediterranée, il a été décrit que la pélagie avait un cycle de douze ans très localisé, à Antibes. Or, les dernières années ne corroborent pas ce cycle. On en trouve abondamment bien plus fréquemment. "L'existence des cycles n'est pas à rejeter, mais l'impact humain les perturbent", estime Delphine Thibault-Botha, du Centre d'océanologie de Marseille. Si la théorie de l'invasion est celle qui domine actuellement, elle demande encore à être consolidée... Car il reste un point sur lequel tous les scientifiques s'accordent : leurs propres lacunes. "Nous manquons cruellement de données de références et d'indications fiables sur de longues durées, reprend Delphine Thibault-Botha. Or, c'est indispensable pour valider nos hypothèses".
Pour tenter d'y remédier, plusieurs programmes mondiaux ont été mis en place ces dernières années, tel le projet Jellytrack, lancé en juillet 2010 par des scientifiques de l'université de Swansea (Pays de Galles). Objectif affiché : répondre à quelques questions essentielles restées en suspens sur les méduses : quelle est leur distribution sur la planète ? Quels sont leurs déplacements ? Ou encore, quelle est leur stratégie de recherche alimentaire ? À La Rochelle et en mer d'Irlande, les scientifiques ont équipé de GPS et d'accéléromètres des Rhizostoma octopus. Ces méduses, largement présentes dans ces régions, forment de larges agrégations. Elles mesurent jusqu'à 1 m de diamètre et peuvent peser 35 kg. "On pensait que les méduses n'étaient pas d'aussi bons prédateurs que les poissons, explique Sabrina Fossette, responsable du projet Jellytrack. Mais on s'est rendu compte que sur le plan vertical, elles prospectent sans cesse dans la colonne d'eau à la recherche de proies : elles sont aussi efficaces que les poissons.
Loin d'être anecdotique, ce résultat revêt une importance particullière dans le fonctionnement de l'écosystème. Sachant que ces méduses se nourrissent de plancton et de larves de poissons, elles pourraient avoir un impact fort sur les populations de ces poissons. En un véritable cercle vicieux, elles pourraient augmenter leur dominance dans un écosystème perturbé : plus les méduses sont présentes, plus elles dévorent les poissons à l'état larvaire, moins les stocks halieutiques ont de chances de se reconstituer et plus les méduses ont donc le champ libre, et ainsi de suite. Ce cercle vicieux, une autre étude baptisée "Opération méduses", pourrait aider à la mettre encore davantage en évidence. Il s'agit d'un projet de science participative, qui tente de collecter des données à grande échelle... en faisant appel au public ! L'idée est de rassembler les observations des participants afin d'en savoir plus sur la distribution, l'abondance et la fréquence des méduses. "Comme il n'y a pratiquement aucune donnée relative à la présence de méduses sur la côte Atlantique française, notre projet est un bon début", commente Thomas Bastian, qui assure la direction scientifique de ce projet, lancé en 2010, dont le taux de participation a pratiquement été multiplié par 5 en deux ans.

DES INTERÊTS ANTAGONISTES : Et si, comme s'y attendent nombres de chercheurs, tous ces travaux confirment la tendance au basculement vers des océans de plus en plus largement livrés aux méduses, peut-on imaginer des méthodes pour contrer l'invasion ? Plusieurs pistes sont envisagées... plus ou moins sérieusement. En mai, dans un rapport, l'Organisation des Nations unies pour l'alimenation et l'agriculture (FAO) recommandait le développement de produits alimentaires à base de méduses, comme dans la gastronomie chinoise traditionnelle... Anthony Richardson évoque de son côté la mise en place de procédures systématiques de nettoyage des eaux de ballast des cargos et autres bateaux qui parcourent le monde et concourent au déplacement de méduses d'un point à l'autre de la planète, provoquant l'apparition d'espèces invasives. Ou encore l'utilisation par les chalutiers de filets spéciaux pour détruire les méduses dans la colonne d'eau. Mais pour Anthony Richardson, le levier le plus efficace serait une lutte organisée contre la surpêche et la dégradation du milieu aquatique. Mais là, les enjeux nationaux, économiques et sociaux sont tels qu'il n'est pas certain que le spectre d'un empire dominant de méduses suffise pour que l'espèce humaine coordonne tous ses sfforts vers un même objectif.

QUE FAIRE QUAND ON S'EST FAIT PIQUER PAR UNE MÉDUSE ?
Toutes les méduses ne sont pas urticantes pour l'homme
. Lorsqu'elles le sont, leurs longs tentacules, criblés de cellules urticantes, se collent sur la peau des baigneurs, provoquant des piqûres. Contrairement à une idée reçue très répandue, il ne faut mettre ni vinaigre ni urine sur les piqûres. Ces liquides agressifs pourraient "réveiller" les cellules urticantes encore dormantes. Quant à l'eau douce, elle fait éclater celles qui ne sont pas percées. Mais alors que faire ? Le premier réflexe consiste à retirer délicatement à l'aide d'un tissu les tentacules restés collés à la peau. Cela fait, rincer à l'eau de mer, puis racler doucement la peau à l'aide d'une carte postale ou d'une pelle en plastique rigide, par exemple, afin d'éliminer les éventuelles cellules urticantes restantes. Une simple pommade apaisante peut ensuite suffire. Si la douleur persiste, n'hésitez pas à consulter un médecin. Pas d'affolement, les piqûres des méduses en France sont désagréables et douloureuses, mais rarement graves. La sensation peut aller du simple picotement à la brûlure intense. Et les allergies restent rares. Mais gare : le venin d'une méduse échouée sur la plage peut encore être actif, il ne faut donc pas la toucher, ni les objets avec lesquels elle a pu être en contact.

C.T. et M.S. - SCIENCE & VIE > Août > 2013

Après la Surpêche, une Marée de Méduses

L.B. - SCIENCES ET AVENIR N°795 > Mai > 2013

Alerte aux Méduses

Douze années qu'elles se sont installées sur nos rivages. Un record inquiétant pour les chercheurs qui ne voient pas comment endiguer leur prolifération.

P.P. (Info) et C.L. - GEO N°401 > Juillet > 2012

Des Années de Méduses à Venir

Surpêche, pollutions, réchauffement... nos océans tournent à la soupe de méduses. Tour des laboratoires qui étudient ce phénomène mondial peu-être irréversible.

Les mers et océans sont-ils en train de se transformer en une vaste soupe de méduses ? Depuis cinq ans, la Méditerranée vire régulièrement au "mauve gélatine", couleur des Pelagia noctiluca (->). L'automne dernier, en mer d'Irlande, des essaims monstrueux de Pelagia auraient convert une superficie de 27 kilomètres carrés sur 13 mètres de profondeur.

Au passage, les méduses ont infligé de sévères dégâts à plusieurs fermes aquacoles, décimant 250.000 saumons. "Elles n'attaquent pas les poissons, mais laissent traîner leurs longs tentacules converts de milliards de cellules urticantes, précise Jacqueline Goy, de l'Institut océanographique de Paris, spécialiste mondiale des méduses. Leurs toxines paralysent les poissons, qui deviennent impropres à la consommation. Elles ne dévorent que les plus petits d'entre eux". Un gâchis qu'aimeraient éviter désormais les chercheurs irlandais et britanniques, non seulement en préconisant la pose de filets autour des élevages, mais en collaborant avec leurs confrères des Iles Shetland (Ecosse), d'Allemagne, du Danemark et de Norvège, également concernés. Car les méduses reviendront.
Claudia Mills, de l'université de Washington, à Seattle, (États-Unis), a répertorié en 2000 les phénomènes d'invasions de méduses dans toutes les mers et océans du monde (<-). Depuis, les pullulations semblent s'être amplifiées et installées (schéma <-) "sans que l'on sache, au fond, véritablement pourquoi, déplore la chercheuse. Notre influence croissante sur les océans commence à provoquer des changements et les "blooms" (floraisons, en anglais) de méduses surviennent peut-être en réponse à cet impact".
On suspecte la surpêche qui a débarrassé les méduses de leurs prédateurs naturels, thons, poissons-lunes et tortues notamment. Dans des fjords norvégiens, en mer Noire, au large de la Namibie, les méduses ont même pris la place des poissons dans la chaîne alimentaire. "Dans les eaux namibiennes, lourdement ponctionnées depuis les années 1960, les cnidaires représentent aujourd'hui 80 % de la faune marine", a calculé Andrew Brierley, de l'université de Saint Andrew (Ecosse).
La surexploitation des océans a aussi gravement affaibli leurs rivaux poissons qui se nourrissent, comme elles, de proies minuscules tirées du zooplancton. Dès lors, elles ne peuvent qu'exploser et engloutir toujours davantage. Dans le golfe du Maine, sur la côte est des États-Unis, elles seraient ainsi devenues les premières consommatrices de copépodes, principale nourriture des alevins de morues, selon Marsh Youngbluth, de la Harbor Branch Oceanographic Institution. "Si l'on n'arrête pas la surpêche en Atlantique Nord, les pêcheurs risquent bientôt aussi de ne plus remonter que des filets pleins de méduses", prédit Daniel Pauly, de l'université de Colombie-Britannique, au Canada. Il est peut-être déjà trop tard... "Même lorsqu'on fait des moratoires, comme pour la morue, les stocks ne se reconstituent pas, note Jacqueline Goy. Peut-être parce que les méduses, opportunistes et toujours plus nombreuses, se goinfrent de leurs oufs, de leurs larves et de leurs jeunes". Dans la baie américaine de Chesapeake, méduses et pseudo-méduses dévoreraient à elles seules la moitié de la production journalière d'anchois, estime d'ailleurs Jenny Purcell, du Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI), en Californie.
Comment rétablir l'équilibre ? En Méditerranée, l'Espagne réintroduit des tortues, mais la cohabitation avec les touristes est difficile. Les tortues n'ont plus guère de plages où pondre, sauf du côté de la Turquie.
Dans cette lutte, la pollution est devenue l'alliée objective d'espèces comme Aurelia aurita, familière de plusieurs océans et de la Manche. Nos rejets industriels et agricoles provoquent l'eutrophisation des eaux et génèrent des zones mortes - comme au large du golfe du Mexique - où seules les méduses survivent", explique Monty Graham, du Dauphin Island Sea Lab, en Alabama (États-Unis). Les nutriments font prospérer le plancton dont se nourrit le zooplancton qu'affectionnent les méduses. Et contrairement aux poissons, les créatures de gélatine s'accommodent bien d'une eau pleine d'algues à faible teneur en oxygène, et, même, s'y reproduisent. Elles constituent de fait un excellent indicateur de l'état des eaux. "Les méduses comme Aurelia aurita n'ont jamais été rares, note Monty Graham. Mais signe que quelque chose change dans l'écosystème du golfe du Mexique, certaines années, elles forment un filet gélatineux qui s'étend d'un bout l'autre du golfe".
Autre rejet inquiétant : les hormones des pilules contraceptives, relarguées dans la mer, pourraient affecter la reproduction des poissons, sans contrarier celle des méduses.

UNE REPRODUCTION SURACTIVÉ PAR LE RÉCHAUFFEMENT
Les méduses se reproduisent de multiples façons. Vers un an, juste avant de mourir, mâles et femelles larguent des milliers d'oufs et spermatozoïdes
en pleine eau qui donnent naissance à des larves, bientôt des petites méduses. Parfois, les larves vont se fixer sur un substrat où elles se transforment en polypes. Ces polypes croissent, se divisent en un ou plusieurs segments dont se détache une méduse. Plus fort, ils se multiplient eux-mémes par clonage. Et quand les conditions sont réunies (salinité, richesse en nutriments, etc), ils donnent naissance simultanément à des milliers de méduses sexuées. En aquarium, Luciano Chiaverano, de l'université de Mobile, aux États-Unis, déclenche des pullulations en augmentant la salinité et la température de l'eau. Il note que dans une eau réchauffée, les polypes fabriquent chacun plus de méduses. Pis : des chercheurs des universités de Hiroshima et Shimane (Japon) ont montré que dans des eaux réchauffées, le développement des polypes de méduses d'Echizen connaissait une croissance exponentielle ! Chaque polype se déplace plusieurs fois, laissant sur son passage une petite quantité de matière organique, qui donne à son tour un nouveau polype, etc. Des eaux plus chaudes pourraient aussi favoriser la croissance des larves des méduses méditerranéennes Pelagia noctilula, l'une des rares à ne pas connaître de stade fixé, puisqu'elle libére en pleine eau ses oufs qui donnent directement une nouvelle méduse.

Ces pollutions ne sont pas seules responsables. Des "soupes de méduses" ont été décrites par les marins dès le XVIIIè siécle, avant l'ère industrielle et l'urbanisation. Et des essaims de "piqueurs mauves", les Pelagia, ont été dernièrement filmés au cour d'un parc marin protégé, celui de Cabrera en Espagne, par l'ONG Oceana. "Normalement, les méduses meurent en hiver, mais en 2006 on les a aperçues jusqu'en octobre et novembre", témoigne le biologiste Ricardo Aguilar. Cette fois, c'est le réchauffement des eaux qui est pointé : il pourrait perturber le cycle d'apparition des Pelagia, qui explosaient jusqu'alors tous les dix à douze ans environ. "Les hivers doux et les printemps chauds se succèdent : la température de la Méditerranée ne descend plus guère en deçà de 14°C, ce qui pourrait entraîner une prolifération permanente des Pelagia noctiluca", acquiesce Jacqueline Goy. Même inquiétude en Australie, où les chercheurs tentent de suivre à la trace les venimeuses cuboméduses. Ils en ont équipé de sonar - avec une colle chimrgicale - pour s'apercevoir qu'elles affectionnent les mêmes eaux chaudes, sableuses, peu profondes, que les baigneurs.
Faute de les empêcher de pulluler, nous devrons apprendre à coexister, voire les exploiter. Mieux vaut ne pas les lacérer dans l'eau avec des coupants, comme le font les pêcheurs japonais, payés tout exprès par le gouvernement depuis trois ans. Cela peut-être contre-productif, a démontré en 2007 Kohzoh Ohtsu, de l'université Shimane, au Japon. Chez la méduse, la mort provoque une sorte d'orgasme : les mâles larguent leurs spermatozoïdes, les femelles leurs oufs... et c'est l'orgie reproductrice.
Mieux vaut les "chaluter", comme cela se fait parfois ponctuellement en Méditerranée et en Norvège. "En revanche, il est stupide de les brûler ensuite dans un incinérateur comme à Cannes, puisqu'elles sont composées de 98 % d'eau", remarque Jacqueline Goy. Elle suggère de se servir de ces "poches d'eau"... pour l'arrosage par percolation, comme dans l'Antiquité. On les place dans un trou creusé au pied des vignes, par exemple, et on laisse l'eau se difuser. Enterré, cela ne sentira certainement pas plus mauvais que du fumier".
La méduse sauvera-t-elle l'agriculture de la sécheresse ? Des entreprises exploitent déjà son collagène, qui entre dans la composition de nombreuses crèmes. L'une de ses protéines, la mucine, pourrait remplacer de nombreux additifs alimentaires à base de porc ou de vache. Au Japon, des chercheurs sponsorisés par l'industrie de la pêche mettent au point des sodas, des crèmes glacées pour changer des soupes et salades déjà prisées en Chine. Une centaine de cnidaires seulement sur le millier d'espèces décrites serait comestibles, mais pour de nombreux pêcheurs, faute de poissons, il faudra bientôt se résoudre à les manger. Demain, nos enfants diront à leurs enfants : "Finis ta méduse".

DES VIGIES POUR COMPTER
Les programmes de recherche sur les méduses sont en panne en France comme partout en Europe
. Cet été, en Méditerranée, les bénévoles de l'association Cybelle assureront la veille. À bord de leur voilier, ils compteront méthodiquement les méduses entre les côtes des Alpes-Maritimes, du Var et de la Corse, sur près de 40.000 km² marins. Ils initieront ainsi le premier suivi de populations au large, habitat naturel des Pelagia. Le protocole a été testé un matin d'avril avec le biologiste Gabriel Gorsky, du Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer. "Jusqu'en septembre, nous effectuerons chaque jour un comptage des individus toutes les quatre heures, au hasard, pendant une douzaine de minutes, à vitesse constante. De quoi scanner chaque fois un kilomètre carré", explique la biologiste Céline Arnal, de Cybelle. Les chercheurs analyseront les données des bénévoles parmi d'autres en les croisant avec celles du courant et des vents. Leur but : mettre au point une "météo méduses", modéliser les échouages de ces créatures urticantes, prévoir leurs trajectoires. Mais aussi tenter de percer le secret de leur origine et de leurs pullulations. Dès septembre, en mer d'Irlande, ce sont les ferrys qui seront réquisitionnés par les chercheurs des universités de Swansea (Pays de Galles) et de Cork (Irlande). Ils y posterons, comme l'an dernier et jusqu'en décembre, des vigies pour dénombrer les individus au sein de bancs de méduses. "Nous complèterons ces données avec des pêches spécifiques, que nous effectuerons sur la côte ouest de l'Irlande", explique Tom Doyle, de l'université de Cork. www.cybelle-planete.org / www.eco-volontaires.org

R.M. - SCIENCES ET AVENIR > Juin > 2008
 

   
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