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Ainsi était l'Univers à l'Origine : Rayonnement Fossile |
C'est le cliché qui dit tout ! L'histoire de l'Univers et sa véritable date de naissance. Les étapes de son expansion comme les mystères qui demeurent a élucider. Mais par-dessus tout, c'est le cliché ultime : aucun autre cliché ne pourra jamais faire mieux. Et pour cause : il fait remonter le temps jusqu'à 380.000 ans après le big bang, à l'instant où l'Univers émit sa première lueur. Une lueur que le satellite Planck a captée avec une sensibilité maximale. Et qui, désormais, va servir de phare aux cosmologistes.
Cette image est la carte la plus précise qu'il sera jamais possible de voir du fond diffus cosmologique : autrement dit, l'Univers tel qu'il était lorsque la lumière s'y alluma.
"C'était une aventure épuisante, mais j'ai aujourd'hui la sensation d'avoir réalisé quelque chose", lâche Jean-Michel Lamarre, au Laboratoire d'étude du rayonnement et de la matière en astrophysique, à Paris. "On se dit qu'on participe à une étape notable de l'histoire des sciences", poursuit François Bouchet, à l'Institut d'astrophysique de Paris. "On se sent appartenir à une lignée qui a fait avancer la question de savoir ce qu'est cet Univers dans lequel on vit", ajoute Jean-Loup Puget, à l'Institut d'astrophysique spatiale d'Orsay. Au soir du 21 mars dernier, ces trois astrophysiciens à l'origine de la mission Planck ressentent les sentiments mêlés qui accompagnent le point culminant des grands projets. Avec 500 autres scientifiques, ils viennent de révéler au monde l'ultime cliché du fond des âges.
LE PREMIER FLASH COSMIQUE
Ultime, parce que c'est la plus ancienne photographie de l'Univers qu'il sera jamais possible de faire : elle le montre tel qu'il était 380.000 ans après le big bang, lorsque le cosmos a émis son premier "flash". Avant, les particules étaient tellement agitées que chaque photon de lumière émis par l'une d'elles était instantanément réabsorbé par une voisine, rendant l'Univers sombre et opaque. À la faveur de la baisse de température qui a accompagné l'expansion de l'Univers, la lumière s'est libérée de l'emprise de la matière, éclairant d'un coup tout le cosmos. Et, après avoir voyage à travers l'espace et le temps pendant plus de 13 milliards d'années, c'est ce flash originel qui vient d'être capté par le télescope spatial Planck, nous montrant ainsi à quoi ressemblait l'Univers lorsque la lumière s'est allumée. C'est le "fond diffus cosmologique" (CMB), pour reprendre le jargon des cosmologistes. Le premier autoportrait du cosmos.
Ultime, cette image l'est aussi par sa précision maximale. Comme l'explique François Bouchet, "jamais aucun télescope ne pourra la surpasser en sensibilité, car elle n'est pas limitée par la qualité des instruments, mais par l'incertitude liée à la nature quantique de la lumière". Inutile, donc, de concevoir des détecteurs plus sensibles : la couleur de chaque pixel n'en serait pas meilleure. Et cette image est non seulement le meilleur cliché possible de l'Univers 380.000 ans après l'explosion initiale, mais aussi le plus formidable accès à sa genèse. Les infimes variations de couleur de cette lumière fossile, selon la direction du ciel dans laquelle on la regarde, résultent en effet de phénomènes remontant quasiment au big bang. Pour qui sait les interpréter, elles recèlent donc d'inestimables indices sur l'origine de l'Univers.
Cette image, les promoteurs de Planck ont commencé à en rêver dès la fin des années 1980. Ils ont suivi en 1992 les prouesses du satellite américain COBE, qui révéla le premier l'existence de ces fluctuations du fond diffus cosmologique. Ils savaient que pour atteindre la sensibilité maximale, il fallait multiplier par 1000 les performances de l'instrument. Et que cela n'était possible qu'à la condition de refroidir leurs détecteurs à um dixième de degré au-dessus du zéro absolu, afin d'éviter les rayonnements parasites d'origine thermique émis par les détecteurs eux-mêmes. Ce qu'au début des années 1990, personne n'imaginait pouvoir réaliser dans l'espace, seul endroit où observer l'ancestral rayonnement sans être géné par l'atmosphère terrestre. C'est ici que commence l'aventure Planck à la fois prouesse technologique, course de vitesse et... coup de chance. Car Jean-Loup Puget et Jean-Michel Lamarre croisent la route d'Alain Benoit, à l'Institut Neel de Grenoble. Or, ce spécialiste des basses températures sait comment obtenir un tel froid en laboratoire ! Et il ne tarde pas à développer un système cryogénique capable de fonctionner en apesanteur. Du reste, les calculs de François Bouchet convainquent ses collègues que les techniques de traitement d'image nécessaires sont au point. Entre-temps, en 2001, les Americains lancent WMAP. Trente fois moins précis que Planck, ce satellite est néanmoins le premier à tirer parti du CMB pour en déduire les paramètres de l'Univers. Donnant des sueurs froides aux promoteurs de Planck. Lancé en mai 2009, Planck tourne son oil vers le ciel deux mois plus tard. "Nous avons alors rapidement compris que nos données étaient extraordinaires. Et au bout de six mois, nous disposions des premières cartes", s'enthousiasme l'astrophysicien. La mission Planck s'achève début 2012, l'analyse des signaux se poursuivant jusqu'à la fin de l'année. Et trois mois plus tard, le monde entier de se voir offrir le nouveau visage du cosmos. De partager ce moment de sidération face à cette icône littéralement tombée du ciel.
Comment Planck est-il parvenu à capter la lumière originelle de l'Univers ? Pourquoi l'image qu'il a offerte au monde est-elle ultime et indépassable ? Décryptage d'un exploi.
L'observation s'est déroulée entre l'été 2009 et janvier 2012. Le satellite Planck a été envoyé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, au point de Lagrange dit L2, où il tourne autour du Soleil à la même vitesse angulaire que la Terre et ainsi se trouve-t-il toujours protégé des radiations solaires. Là, il a pu scanner chaque minute un mince ruban du ciel en réalisant un tour complet sur lui-même. Et finalement, en se décalant peu à peu, cartographier cinq fois l'intégralité de la voûte céleste.
Ces cinq cartes ont été réalisées dans neuf longueurs d'onde de la lumière, chacune étant plus ou moins dominée par des sources différentes : poussières interstellaires, galaxies voisines, amas galactiques lointains, quasars... et fond diffus cosmologique. De quoi faire ressortir le précieux rayonnement fossile de la multitude de signaux brouillés en provenance de tous les recoins du cosmos. Car là était le véritable défi pour voir la lumière fossile, il faut extraire des enregistrements toutes les lumières parasites. Cette vaste entreprise de nettoyage appelée "séparation des avant-plans" a nécessité de regrouper des spécialistes de tous les objets connus dans l'Univers - de la Voie lactée jusqu'aux galaxies anciennes, où se sont formées la plupart des étoiles, ainsi que des spécialistes de haut vol du traitement statistique de l'information. "C'est un peu comme d'enregistrer un orchestre avec des micros sensibles à des fréquences différentes d'isoler les sons émis par chaque instrument", explique Olivier Perdereau au Laboratoire de l'accélérateur linéaire, à Orsay, responsable d'une partie de l'analyse des données. Le tout dans le cadre d'une épreuve en temps limité : la collaboration s'était engagée à livrer ses résultats à l'Agence spatiale européenne fin 2012.
Trois mois plus tard, l'image est là. Tous les avant-plans supprimés, photographiés à des échelles et des longueurs d'onde jusqu'alors largement inexplorés, constituent une formidable source de nouvelles données. Mais c'est ce qui reste qui est, de loin, le plus fascinant : pour la première fois, on voit vraiment à quoi ressemble notre Univers lorsque la lumière s'est allumée.
COMMENT PLANCK EST PARVENU À VOIR LE FOND DE L'UNIVERS ?
C'est un fait : d'où qu'on le regarde, l'Univers visible est, par définition, une sphère dont l'observateur est le centre et dont le rayonnement de fond cosmologique est la surface. Pourquoi ? Parce que la lumière est apparue partout en même temps, à un instant donné dans l'histoire de l'Univers, et parce que cette lumière se déplace à une vitesse finie. Pour bien le comprendre, mettons-nous à la place du satellite Planck, envoyé en mission à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Puisque la lumière file à la vitesse approximative de 300.000 km/s, un simple calcul établit que ce détecteur voit notre bonne vieille Terre telle qu'elle était cinq secondes auparavant. De même, les particules lumineuses qu'il enregistre depuis les confins de la Voie lactée ont été émises il y a plusieurs milliers d'années. Quant aux photons qui tombent sur le détecteur en provenance de lointains amas galactiques, ils ont été émis, eux, il y a plusieurs milliards d'années. Seulement, le temps ne peut pas ainsi être remonté indéfiniment en regardant toujours plus loin. Car c'est seulement 380.000 ans après le big bang, il y a environ 13,8 milliards d'années, que les premières particules de lumière ont été libérées : à ce moment précis, alors que tout était noir, chaque point de l'espace s'est mis à émettre un flot de photons dans toutes les directions. Captés par Planck en provenance de tous les coins du ciel, ces photons primitifs ont tous voyagé exactement la même durée (13,8 milliards d'années). Vus du Satellite, ils forment donc une parfaite sphère lumineuse. Et puisque aucune lumière ne peut parvenir de plus loin, ce rayonnement de fond cosmologique constitue la frontière de tout l'Univers visible. C'est cette sphère ultime de notre environnement que le satellite Planck vient de cartographier.
  
5/ Une fois les lumières parasites effacées, il ne reste plus que la lumière fossile issue des profondeurs du temps et de l'espace. Cette photographie fera à jamais date. Avec sa sensibilité inégalée, elle montre que l'Univers était alors une soupe quasiment homogène de particules chauffées à 3000°C, avec cependant déjà quelques légers grumeaux, de très petites fluctuations de la densité de matière, indiquées par des taches rouges, jaunes et bleues. Comme autant de révélateurs de l'origine même de l'Univers, alors que l'espace-temps balbutiant était agité de soubresauts quantiques.
L'image de la lumière fossile, souvent représentée à plat, sous la forme d'une ellipse, a en réalité la forme d'une sphère.
 
Ce que le Cliché Révèle du Cosmos |
La photographie du rayonnement de fond cosmologique n'est pas seulement un cliché ultime : elle valide surtout le scénario de l'histoire de l'Univers, mais en le précisant. Voire en le corrigeant.
"Les points s'alignent parfaitement sur la courbe, commence George Efstathiou, de l'université britannique de Cambridge. Planck nous montre un Univers presque parfait : rien n'est mieux que le modèle standard". "Cela marche incroyablement bien", renchérit Paolo Natoli, de l'université de Ferrare (Italie). "La première chose qu'on voit, c'est une adéquation parfaite avec le modèle standard", martèle à son tour Simon White, de l'Institut Max-Planck, en Allemagne. "C'est juste hallucinant !",s'enthousiasme quant à lui François Bouchet, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Tous les membres de la collaboration Planck font le même constat : on scrutant le fond lumineux du cosmos, le satellite à confirmé au-delà des espérances la théorie sur laquelle cosmologistes et astrophysiciens s'appuient depuis des dizaines d'années pour décrire l'évolution de l'Univers. Le modèle cosmologique standard, cet édifice érigé au long du XXè siècle sur la base de la relativité générale d'Einstein, sort renforcé de sa mise à l'épreuve par le plus aiguisé des instruments d'observation. Chacune des étapes de l'histoire de l'Univers se trouve ainsi confirmée avec une précision qui ne cesse d'étonner.
UNE SUPERPOSITION PARFAITE
C'est d'abord le scénario de son origine même qui se trouve conforté. La dynamique de ce premier rayonnement cosmique, émis quelque 380.000 ans après le big bang. "Planck a pu analyser précisément les fluctuations quantiques qui composent le fond diffus cosmologique, relate François Bouchet. Et les gradients de températures correspondent exactement à ceux prédits par la théorie. Ce qui, selon les spécialistes, laisse penser que l'on a correctement décrit le plasma de particules qui constituait l'Univers juste après sa naissance.
La suite de l'histoire, elle non plus, n'est pas remise en question. Le tableau de l'évolution de l'Univers livré par Planck, qui englobe la condensation de la matière à partir des fluctuations originelles, la structuration des halos de poussières et la formation des galaxies, se superpose avec celui brossé par la théorie. "Le rayonnement infrarouge émis par la poussière nous indique la masse totale associée aux galaxies au moment où elles formaient la majorité de leurs étoiles, lorsque l'Univers avait entre 20 et 50 % de son âge actuel, explique Simon White. Tandis qu'en étudiant la déviation de la lumière du fond cosmologique (CMB), nous avons cartographié une grande partie de la matière noire de l'Univers, cette substance que nous ne pouvons détecter directement, mais dont nous percevons les effets gravitationnels. Et le résultat est là : la carte de Planck colle parfaitement à la théorie".
En couplant ces deux mesures, les membres de la collaboration Planck ont ainsi pu vérifier que la matière se condense au milieu de halos de matière noire - une fois de plus, exactement comme l'avait prédit le modèle standard. Jusqu'à la recette de l'Univers (voir encadré ci-dessous), en corrigeant de quelques pourcent la quantité de matière, le taux d'expansion de l'Univers ainsi qu'une multitude d'autres paramètres, et confirmer sa forme : nous vivons bien dans un Univers dont la courbure spatiale est nulle. L'Univers est plat : si un triangle de plusieurs milliards d'années-lumières de côté, la somme de ses angles serait toujours égale à 180°. "Nous le vérifions avec 4 décimales", précise François Bouchet.
UNE RECETTE DE L'UNIVERS ENFIN AFFINÉE
"La fraction de ce qu'on ne comprend vraiment pas est en baisse", conclut non sans humour George Efstathiou, membre de la collaboration Planck à l'université britannique de Cambridge, le 21 mars dernier. Il vient d'annoncer que l'Univers, "revu" par le satellite, a gagné 0,4 % de galaxies et de poussières, et perdu 4,5 % de cette mystérieuse entité responsable de l'accélération de l'expansion que les spécialistes, faute d'avoir la moindre idée quant à sa nature, ont baptisé énergie noire... En sondant le fond du ciel, Planck a mis à l'épreuve la recette avec laquelle les cosmologistes concoctent tout l'Univers, depuis l'explosion originelle du big bang jusqu'à ce que s'allument les étoiles et s'agrégent les planètes.
Résultat ? La recette en est sortie renforcée, et ses ingrédients affublés de nouvelles valeurs. Car pour les cosmologistes, l'Univers entier tient en une loi et six paramètres. Dans le creuset de la relativité générale, théorie de la gravitation qui met en relation l'évolution spatiale et temporelle de l'Univers avec sa composition, ils introduisent trois premiers ingrédients, qui concernent le contenu de l'Univers : la matière décrite par les équations de la physique des particules ; la matière noire, inconnue mais indispensable pour générer le champ de gravitation de l'Univers ; et un paramètre appelé "horizon du son", à la densité d'énergie noire.
Mais cela ne suffit pas. Les cosmologistes ont besoin d'informations sur la période à laquelle les premières étoiles ont commencé à brûler. En principe, ces données pourraient être déduites des ingrédients précédents, sauf qu'en pratique, le résultat dépend de phénomènes qui se produisent aussi bien à l'échelle d'une étoile que de l'Univers tout entier... ce que les spécialistes ne savent pas intégrer. Il leur faut donc ajouter un quatrième paramètre, appelé "profondeur optique à la réionisation", avant de passer à la touche finale : les deux derniers paramètres, qui décrivent une phase très ancienne de l'histoire de l'Univers, l' inflation ( encadré ci-dessous).
LES 6 INGRÉDIENTS CONFIRMÉS
Voilà donc la recette du modèle dit standard, qu'il s'agit de confirmer en parvenant, à force de jouer sur les proportions des ingrédients, à lui faire épouser les mesures astronomiques, en particulier celles, toutes nouvelles, issues du fond diffus cosmologique. Les mesures précédentes, prises au début des années 2000 par le satellite WMAP, laissaient penser que la recette était la bonne. Planck vient de le confirmer... avec une bien meilleure précision. "Le modèle standard permet de très bien ajuster les données de Planck", martèle George Efstathiou. En découle donc la révision de l'ensemble des six paramètres qui régissent la marche du monde, et de toutes les autres caractéristiques du cosmos qui en dérivent.
  - Avant Planck, l'Univers était composé de 4,5 % de matière, 22,7 % de matière noire et 72,8 % d'énergie noire ( voir ci-contre). Désormais, il faut compter avec 4,9 % de matière, 26,8 % de matière noire et 68,3 % d'énergie noire.
- Avant Planck, les galaxies semblaient s'éloigner les unes des autres à quelque 72 km/s ( voir ci-contre). Aujourd'hui, on sait que la vitesse d'expansion de l'Univers est en réalité de 67 km/s.
- Avant Planck, le Cosmos était âgé de 13,76 milliards d'années ; il a aujourd'hui 13,82 milliards d'années... Ainsi, les ingrédients ont un peu changé. Mais Planck confirme l'étonnante simplicité du cosmos, réductible à six paramètres. Pas un de plus ! |
UN PREMIER PAS POUR RÉUSSIR À COMPRENDRE L'INFLATION
C'est la zone d'ombre de l'histoire de l'Univers. Une période trouble, à propos de laquelle les cosmologistes ne savent rien, ou presque. Avec les données fournies par Planck, ils en entrouvrent la porte : l' inflation, cette période située entre 10 -38 et 10 -30 seconde après le big bang, durant laquelle l'Univers aurait connu une phase d'expansion exponentielle, ne s'est pas arrêtée brutalement, mais a connu une phase de ralentissement progressif jusqu'à se stabiliser. Jean-Loup Puget, à l'Institut d'astrophysique spatiale d'Orsay, ne cache pas son enthousiasme : "Nous pénétrons enfin au cour de la phase pour en observer la dynamique ! Ce qui nous permet de commencer à faire le tri entre les différents modèles d'inflations". De fait, au lieu d'une théorie fondée sur de solides principes fondamentaux, l'inflation se présente sous la forme d'une constellation de modèles plus ou moins ad hoc, entre lesquels les spécialistes sont bien en peine de trancher.
LA STRUCTURE DU COSMOS EXPLIQUÉE
Pis, l'existence même de cette phase n'est qu'une hypothèse, sortie d'un chapeau théorique dans les années 1980 et qui, depuis, s'est imposée comme le seul moyen de résoudre plusieurs questions posées par la théorie du big bang. En particulier, comment se fait-il que l'Univers soit si remarquablement homogène à grande échelle ? Précisément, comment des régions si éloignées qu'elles n'ont a priori jamais été en contact peuvent-elles présenter des propriétés si semblables ? Parce que tout l'Univers observable proviendrait d'une minuscule region du cosmos primordial, qui aurait eu le temps de s' homogénéiser, de même qu'un petit volume d'eau présentant des écarts internes de température s'uniformise plus rapidement qu'un volume plus important. Sans compter que l'inflation explique comment, à partir d'une soupe primordiale en grande partie homogène, l'Univers s'est structuré en galaxies et amas de galaxies, séparés par d'immenses vides intergalactiques. Au final, cette hétérogénéité ne serait que le reflet, étiré à des échelles cosmologiques, des soubresauts spontanés d'origine quantique qui agitaient et déformaient l'espace-temps de l'Univers à sa naissance ! Fluctuations également à l'origine de celles du fond diffus cosmologique scruté par Planck. "C'est là la chance des cosmologistes, explique François Bouchet, à l'Institut d'astrophysique de Paris. Entre le big bang et l'émission du rayonnement fossile, les fluctuations primordiales, bien qu'étirées, n'ont pas connu de transformations violentes. Elles ont donc gardé la mémoire de leur origine sous la forme, notamment, d'un paramètre que nous avons pu mesurer avec Planck". De quoi exclure les modèles d'inflation les plus complexes, comme ceux qui prédisaient que ce sont les champs produits par plusieurs sortes de particules qui auraient fait enfler l'Univers. |
Un point final au grand-livre de l'histoire de l'Univers ? On pourrait en rester là et dire que la cosmologie est terminée", propose George Efstathiou... pour mieux se contredire aussitôt : "Mais non, la cosmologie n'est pas finie, car nous avons détecté des anomalies". Trois en particulier, qui pour l'instant résistent à toute tentative d'explication dans le cadre du modèle standard (voir encadré ci-dessous). Ce ne sont que quelques petits points non alignés sur les courbes et pondérés par de grandes barres d'erreurs. Les membres de la collaboration Planck ne cessent de rappeler qu'il pourrait tout simplement s'agir d'un fait du hasard, tout en essayant de modifier à la marge le modèle standard avec l'ajout d'une nouvelle famille de neutrinos, la modification des propriétés de la matière, de l'énergie noire ou de la courbure de l'Univers... Sauf que, pour l'instant, comme le résume Jean-Loup Puget, membre de la collaboration Planck à l'Institut d'astrophysique spatiale d'Orsay, "l'ajustement aux données est pire". "Cela ne veut pas dire que le modèle est faux... mais qu'il est incomplet", résume Paolo Natoli.
TROIS ANOMALIES POUR ALLER AU-DELÀ DU MODÈLE STANDARD
Au premier abord, le fond diffus cosmologique semble parfait. Le chef d'ouvre impressionniste qu'attendaient les théoriciens. Mais à y regarder de plus près, les membres de la collaboration Planck ont détecté trois anomalies. Trois infimes petits défauts qui n'avaient pas été prévus par leur modèle cosmologique. Mauvaise nouvelle ? Non... Ces trois défauts sont autant de fils que les cosmologistes vont essayer de tirer, jusqu'à, espèrent-ils, voir émerger un corpus théorique encore plus solide pour décrire l'évolution de l'Univers. Jean-Loup Puget, membre de la collaboration Planck s'en réjouit d'avance : "Les théoriciens vont devoir battre la campagne".
1/ DEUX HÉMISPHÈRES DIFFÉRENTS
On sait pourquoi les deux faces de la Lune ne se ressemblent pas, mais on ignore encore pourquoi les deux hémisphères du fond cosmologique (CMB) sont dissemblables", s'amuse Paolo Natoli. C'est pourtant un fait : le CMB apparaît significativement différent sur les hémisphères célestes Nord et Sud, c'est-à-dire au-dessus et en dessous de la ligne tracée par la tranche de la Voie lactée. Ce qui est assez perturbant puisque notre galaxie ne peut pas avoir influencé une lumière qui a été émise plus de 13 milliards d'années avant sa naissance !
Concrètement, cela signifierait qu'il existe dans le ciel, à l'échelle du cosmos, des directions privilégiées. Ce qui est en contradiction avec le principe copernicien à la base de la relativité générale, selon lequel, à grande distance, l'Univers est isotrope, c'est-à-dire qu'il ne présente aucune direction privilégiée. Là encore, la mesure de Planck ne permet pas d'exclure qu'il s'agisse d'un simple fait du hasard. "On ne sait pas, admet Francis Bernardeau, de l'lnstitut de physique théorique du Commissariat à l'énergie atomiquer à Saclay. Mais la communauté scientifique va s'emparer du problème. Sans parler d'une anomalie à proprement parler, qui sait si nous n'allons pas découvrir une relation particulière entre les différentes échelles du CMB qui  révèlerait une régularité qu'on ne soupçonnait pas...
2/ UNE ÉTRANGE ZONE FROIDE
Il s'agit d'une zone minuscule, en bas à droite du planisphère du CMB, et pourtant, elle a déjà fait couler beaucoup d'encre, jusqu'à avoir été baptisée " cold spot" ("point froid"). Avec les mesures du satellite WMAP, les astrophysiciens avaient remarqué que dans cette région de 5° sur la ciel, située au sud de l'axe de la Voie lactée, la radiation du fond diffus cosmologique apparaissait plus froide, c'est-à-dire tirée vers les plus grandes longueurs d'onde par rapport à la moyenne sur tout le ciel ( voir la zone en bleue sur la carte à gauche)... Planck confirme que le phénomène ne provient pas d'une erreur de mesure : alors que les fluctuations moyennes de la température du CMB fluctuent d'environ 18 micro-kelvins, le "cold spot" affiche un déficit de 70 micro-kelvins. Un phénomène qui, statistiquement a moins de 2 % de chances de se produire par hasard... et qu'il faudra donc bien expliquer. Comme s'en amusait un théoricien, "des dizaines de papiers vont sortir dans les prochaines semaines pour tenter de trouver une explication à ces anomalies. Toutes seront fausses, sauf éventuellement une".
3/ TROP PEU DE GROSSES TACHES SUR LA CARTE
"Intrigante", c'est le mot retenu pour décrire cette anomalie qui a occupé à elle seule la moitié des exposés lors de la présentation des résultats de Planck, le 21 mars dernier. Les cosmologistes se sont aperçus que si l'intensité des petites fluctuations du rayonnement de fond collait avec une précision incroyable avec celle prédite par la théorie, ce n'était pas le cas de celles qui s'étendent sur plus de 10° sur le ciel ( voir ci-contre). "Alors que le modèle standard cosmologique rend compte avec une précision remarquable de la structure des fluctuations aux petites échelles spatiales, il achoppe légèrement à décrire l'intensité des fluctuations à grande échelle", constate ainsi François Bouchet, l'un des scientifiques à l'origine de Planck, à l'Institut d'astrophysique de Paris. Les membres de la collaboration ont vite évacué le biais expérimental : "Le satellite WMAP voyait la même chose avec une signifiance statistique moindre, rappelle François Bouchet. Et avec la sensibilité et la résolution de Planck, qui contraint plus fortement les petites échelles, l'anomalie aux grandes échelles n'en devient que plus flagrante". Les spécialistes ont calculé qu'un tel écart a une chance sur cent d'être le fruit du hasard. Est-ce une faille dans le modèle standard ? Ou une fluctuation statistique des données, certes improbable, mais pas impossible ? Le débat est plus que jamais ouvert. |
L'HISTOIRE RESTE À ÉCRIRE
Mais surtout, au-delà de ces anomalies, le modèle cosmologique standard, tout puissant soit-il, ne peut être la fin de l'histoire. Simplement parce qu'il n'a rien de fondamental. Bien loin d'une théorie du tout de l'Univers, Graal de la physique, qui décrirait à partir de quelques lois la totalité de l'histoire, depuis le big bang jusqu'à l'expansion de l'Univers en passant par la naissance des particules, des étoiles et des planètes, il s'agit plutôt d'un amas de corpus disparates, d'un assemblage de corrections ad hoc et de rafistolages théoriques qui ne proviennent pour la plupart d'aucune théorie fondamentale...
Ainsi, pour expliquer la rotation trop rapide des étoiles dans leur galaxie et des galaxies dans leur amas, les cosmologistes ont été contraints d'ajouter aux ingrédients de l'Univers cette fameuse "matière noire" dont ils ne savent rien, probablement constituée d'une sorte de particule mystérieuse, mais qu'aucun accélérateur n'a encore réussi à produire. Par ailleurs, pour expliquer que la fuite des galaxies s'accélère, ils ont ressusciter une vieille constante qu'Einstein avait pourtant rejetée, et postuler l'existence d'une énigmatique "énergie noire", d'une nature là encore totalement inconnue mais qui, pourtant, representerait plus de 70 % du cosmos. Enfin, pour expliquer pourquoi des régions, si éloignées qu'elles n'ont a priori jamais été en contact, sont si homogènes, ils ont imaginer que l'Univers aurait subi, à peine né, une expansion brutale qui l'aurait fait passer de la taille d'un atome a presque sa taille actuelle, lors d'une phase qu'ils appellent inflation.
DES THÉORIES VONT TOMBER
"Nous avons montré que dans un cadre qui suppose l'inflation, Planck permet de la caractériser avec une précision inégalée, précise Pujet. Mais nous n'aurons de preuve de son existence qu'à la condition de détecter les ondes gravitationnelles qui sont censées avoir pris corps en son sein". Ondes gravitationnelles qui pourraient avoir imprimé leur marque dans ce que les spécialistes appellent la polarisation du CMB, mesurée elle aussi par Planck, mais dont une première analyse ne sera publiée qu'en 2014 (voir encadré ci-dessous).
ET L'AU-DELÀ ALORS ? En février 2012, S&V annonçait que les "premiers signes de l'au-delà" seraient bientôt accessibles grâce à Planck. Eh bien, il faudra attendre pour savoir à quoi ressemble l'avant-big bang et ce qu'il y a en dehors de l'Univers. Pour l'heure, les cosmologistes viennent de révéler la carte des fluctuations thermiques du rayonnement fossile, grâce à laquelle il sera possible d'examiner la théorie de notre Univers. Il faudra encore un an avant que soit publiée la carte de la polarisation du fond diffus cosmologique, et commencer à sortir de l'Univers. Selon les théories spéculatives au-delà de la cosmologie standard, c'est cette carte qui contiendra peut-être les premiers signes de l'au-delà ! |
Pour les chercheurs, le travail ne fait donc que commencer. Les membres de la collaboration Planck sont en train de s'atteler à faire parler la seconde moitié des données recueillies par le satellite qui est encore vierge de toute analyse. Quant aux théoriciens, certains partent en quête de nouvelles théories en s'appuyant sur les anomalies, tandis que d'autres s'emparent des mesures de Planck rendues publiques pour tester les modèles alternatifs au modèle standard. "Certaines de ces théories alternatives vont tomber, prédit Jean-Philippe Uzan, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Par exemple, les modèles nommés 'tenseur-vecteur-scalaire', qui tendent à expliquer la matière noire par une modification de la gravitation plutôt que par une particule inconnue, impliquent l'existence de neutrinos très légers... ce que Planck semble invalider. De même, les théories qui expliquent l'accélération de l'Univers par le fait qu'on vivrait dans un grand vide paraissent, selon le cosmologiste, en difficulté... "Que Planck confirme le modèle standard de la cosmologie est une très bonne nouvelle, réagit Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique de Luminy. C'est la confirmation que le monde est écrit dans le langage des équations que nous comprenons, et non sur des spéculations arbitraires. En même temps, il y a ce petit problème d'ajustement des données à grande échelle, ce qui signifie que nous pouvons espérer aller encore plus loin. C'est ainsi que la science avance ! Et pendant que les spécialistes replongent dans le labyrinthe de leurs théories et de leurs données, le reste de l'humanité, lui, peut profiter de ce moment privilégié : l'émerveillement devant l'image ultime de la nature.
M.G. avec M.F. - SCIENCE & VIE > Mai > 2013 |
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