P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
 Index MICROBIOLOGIE -> MYCOLOGIE 
   
 
Le Champignon Bénéfique et Dangereux

Le Champignon peut être à la fois Bénéfique et Dangereux

Fabienne Malagmac, professeure de génétique à l'université Paris-Sud.
Grâce à eux, la vie a conquis la terre. Ces organismes étranges, ni plantes ni animaux, ont une biologie surprenante qui fascine les chercheurs par sa complexité.

Tout en ressemblant à une plante, le champignon serait plus proche des animaux. Quel est ce mystère biologique ?
Cela nous paraît mystérieux parce que nous avons hérité d'une vision venue des tout débuts de la classification. Dans l'Antiquité étaient qualifiés d'animaux les organismes doués de mouvement, adoptant des stratégies de prédation pour se nourrir. Les espèces apparemment immobiles, comme les arbres, appartenaient à la catégorie des plantes. Les champignons ne bougent pas et ne sont pas des prédateurs : cétait suffisant pour les classer dans cette dernière. Ils y sont restés au moins jusqu'au milieu du XX siècle.

Quand s'est-on aperçu qu'il fallait revoir leur place ?
Au milieu du XIXe siècle, Louis Pasteur commence à travailler sur les levures. Les chercheurs comprennent que certaines propriétés des champignons ne sont pas partagées par les plantes, en particulier leurs stratégies alimentaires. Les plantes fabriquent leur propre énergie en convertissant l'énergie solaire en carbone via la photosynthèse, et elles prélèvent peu de ressources dans l'environnement : de leau, des sels minéraux, des gaz. Or les champignons ne font pas de photosynthèse. Etant fixés, ils sécrètent toute une panoplie de molécules actives qui digèrent le milieu environnant. Puis ils rapatrient en leur sein les nutriments, sous forme de toutes petites molécules.

Cela suffit à ne plus les considérer comme des plantes ?
Il y a d'autres différences. Grâce aux microscopes électroniques, on s'est rendu compte, dans la seconde moitié du XXe siècle, que les champignons possèdent des structures cellulaires qui n'existent pas chez d'autres êtres vivants. Puis, dans les années 1970, les scientifiques ont eu accès à l'information contenue dans leurs gènes. Dès lors, il est clairement apparu que les champignons formaient un règne propre, celui des Fungi. Et que ce règne était, du point de vue de l'histoire évolutive, plus proche de celui des animaux que de celui des plantes. En d'autres termes, les patrimoines génétiques des champignons ressemblent plus à ceux des animaux qu'à ceux des plantes.

Vous avez évoqué les moisissures étudiées par Pasteur. Mais quel rapport entre elles et un bolet, par exemple ?
Le règne des Fungi est hétérogène. On y trouve aussi bien des moisissures, par exemple celles que l'on voit sur les fruits ou dans le fromage, que des bolets et autres chanterelles. Mais, dans le règne animal aussi, il existe des créatures très dissemblables : pensez aux fourmis et aux éléphants ! De surcroit, le champignon n'a pas toujours la forme qu'on croit. Les spécimens que l'on ramasse à l'automne ne sont que les fructifications d'individus beaucoup plus grands qui, en général, ne se voient pas parce qu'ils se développent dans le sol. C'est un peu comme si l'on cueillait un fruit, une prune par exemple, sans voir le prunier. Cette partie souterraine, le mycélium, est un réseau de tubes qui permet l'exploration du sol, la mobilisation des ressources qui servent à fabriquer les petits chapeaux à pied que l'on mange. Composé d'éléments minuscules, ce réseau peut-être très étendu, jusqu'à couvrir plusieurs hectares comme certaines colonies d'armillaires d'Ostoya.

En comptant tous ces champignons, à combien d'espèces arrive-t-on ?
On estime qu'il en existe environ un million, un million et demi. Certains scientifiques vont jusqu'à 10 millions d'espèces possibles. Mais seules cent mille environ ont été décrites. La génétique ne cesse de bouleverser les anciennes classifications, qui reposaient sur l'aspect des organismes. Des espèces ressemblant à des moisissures se sont ainsi retrouvées rangées parmi les champignons. Par exemple les oomycètes, responsables des mildious, maladies qui font des ravages dans les vignes ou dans les cultures, comme celle de la pomme de terre. Ou les myxomycètes, des sortes de masses gluantes, jaunes ou blanches, qu'on trouve dans les forêts, sur le bois mort. En réalité, les oomycètes sont apparentés aux plantes et les myxomycètes aux protozoaires. Le règne des Fungi et l'architecture globale de ses grandes familles sont connus. Mais il reste du tri à faire.

On dit parfois que sans les champignons, il n'y aurait pas de vie sur terre. Est-ce exact ?
Ce qui est vrai, c'est que pratiquement toutes les plantes vivent en symbiose avec des champignons : une association mutualiste, au bénéfice de chacun. Le champignon se développe autour de l'appareil racinaire des plantes et interagit avec lui, lui offrant un meilleur accès à l'eau et aux sels minéraux contenus dans le sol. De plus, il protège les racines des attaques d'organismes pathogènes. En échange, le champignon reçoit de la plante une certaine quantité d'énergie, de matière carbonée, qu'il utilise pour se nourrir. Ce type de symbiose pourrait avoir permis la sortie des eaux des premières plantes, il y a environ 450 millions d'années. Celles-ci n'ayant pas de racines, il leur fallait un "adaptateur" pour s'ancrer dans le sol. Il est probable qu'il s'agissait du mycélium.
Un autre type de symbiose a connu un grand succès évolutif, les lichens : dans cette association, les champignons forment une sorte de capsule à l'intérieur de laquelle vivent des algues qui font de la photosynthèse. Ils fournissent à leurs partenaires végétales une protection, notamment contre les rayons ultraviolets, et leur permettent de se fixer à des substrats souvent inhospitaliers : un rocher, un tronc d'arbre. Les lichens sont ainsi capables de coloniser des milieux hostiles à d'autres organismes végétaux : coulées de lave, rochers en haute montagne, bords de mer très salés, toundras... Ce sont véritablement des espèces pionnières. Sous une apparence simplissime, les champignons cachent donc une biologie complexe.

Qu'est-ce qui vous fascine le plus chez eux ?
Leur totipotence ! Je m'explique. Imaginez quel'on passe un animal dans un broyeur et que l'on tente ensuite de régénérer ses cellules : cela ne marche pas. En revanche, si l'on fait la même expérience avec un champignon, à partir de n'importe quel fragment, il est possible de reconstituer un être complet, doué de toutes les capacités de l'individu d'origine, y compris reproductives. C'est fascinant et pose bien des questions.

Lesquelles ?
A première vue, il s'agit d'organismes peu différenciés : rien ne ressemble plus à un bout de tube mycélien qu'un autre bout de tube mycélien. Mais lorsqu'on les étudie de plus près, on se rend compte qu'au sein de cette communication en réseaux, certains segments n'ont pas les mêmes fonctions, parfois pas le même aspect. Il s'agit donc de systèmes de régulation très fins. Pourtant, il suffit de prendre un fragment pour réaliser une remise à zéro et obtenir un tout fonctionnel. parvenir à découvrir les mécanismes qui régissent ces programmes développementaux est une belle aventure scientifique.

Un film a récemment été diffusé, "Les champignons pourront-ils sauver le monde". N'est-ce pas un peu exagéré ?
L'idée générale est de profiter de la biologie particulière des champignons afin de dépolluer les sols, élaborer des biocarburants... Afin de se nourrir, comme on l'a vu, ils "digèrent" le milieu qui les environne. Ils disposent pour cela de molécules efficaces contre à peu près toutes les matières naturelles ou artificielles, comme celles issues de l'industrie chimique. Si l'on échantillonne suffisamment de champignons pour trouver les plus efficaces, on imagine que pas grand chose ne résistera à leur appétit. Mais attention, ce ne sont pas des super-héros ! Par exemple, ils peuvent concentrer les radio-éléments, mais pas les dégrader. Et leur temps de digestion est très long. Le rythme de la dépollution fongique n'est pas forcément celui de la pollution humaine.

Ils sont bénéfiques pour la Terre. Et pour l'homme ?
Des études sont menées, depuis longtemps, sur leurs propriétés thérapeutiques. La première des molécules extraites d'une moisissure fut évidemment la pénicilline, découverte en 1928 par Fleming. Depuis, de nombreuses substances fabriquées par les champignons sont utilisées comme médicaments, pour lutter contre le rejet de greffons après transplantation, combattre l'excès de cholestérol ou même se débarrasser de mycoses.

Comment s'expliquent ces propriétés ?
Les champignons ne peuvent pas fuir leurs prédateurs. Pour lutter contre des bactéries ou congénères hostiles, ils secrètent toutes sortes de toxines. Parmi elles, certaines peuvent avoir chez l'homme une action anticancéreuse, éviter que les cellules malades ne se divisent. On ne sait pas complètement comment cela fonctionne, pourquoi le champignon fabrique ces molécules ni quel est leur rôle dans la nature. Pour le comprendre, il faudrait peut-être regarder de plus près certaines espèces qui parasitent les insectes, allant parfois jusqu'à fructifier à l'intérieur d'organismes encore vivants. Ces champignons doivent forcément mettre en jeu des programmes génétiques. Car lorsqu'un animal reconnaît la présence de "non-soi" il déclenche une réaction immunitaire. Or, cette réaction, les champignons sont capables de la désamorcer. En limitant éventuellement, chez leur hôte, le développement des cellules censées combattre l'invasion.

Pourquoi certains sont-ils vénéneux et d'autres non ?
Un même champignon peut être à la fois bénéfique et dangereux. Certains produisent des antibiotiques et par ailleurs des toxines terrifiantes, cancérigènes et tératogènes. Je crois d'ailleurs que les molécules les plus cancérigènes que l'on connaisse sont des mycotoxines. La nature bricole tout un arsenal en fonction des organismes et de leur environnement. Mais même les poisons les plus violents peuvent avoir un intérêt. Au Moyen Âge, des sages femmes avaient ainsi compris que traiter les parturientes avec de l'ergot de seigle, qui produit un équivalent naturel du LSD, permettait de limiter les hémorragies et de contrôler les muscles lisses, ce qui facilitait les accouchements. Il n'en reste pas moins que si peu de champignons sont mortels, beaucoup peuvent nous rendre malades. Cela contribue peut-être à leur image parfois sulfureuse.

Quelle est cette image ?
Ambivalente, et très liée à une certaine forme de culture. Ainsi, en France et en Europe de l'Est, ramasser des champignons est une pratique traditionnelle qui se transmet : on va les chercher en forêt avec ses enfants. Durant des siècles, en période de disette, ils furent sans doute une ressource vitale. Par contre, les Américains en sont moins friands. On dit que les premiers immigrants venus d'Europe ont connu des déconvenues majeures en récoltant des espèces qu'ils pensaient connaitre et qui les ont rendus malades. Il faut vraiment être un expert pour différencier les espèces comestibles des autres. Et puis, certains champignons comme la gyromitre ou la pézize couronnée ont des effets de seuil. On peut en manger un peu, tout va bien, et un autre jour, à peine plus, et c'est l'intoxication. Pendant des siècles, toutes les histoires qui ont couru autour d'empoisonnements aux champignons ont eu un parfum de sorcellerie. Sans compter les effets hallucinogènes de certaines espèces, utilisés rituellement dans de nombreuses civilisations. Ces pratiques sont d'ailleurs étonnantes. Réussir à identifier et doser les champignons adéquats pour aboutir à l'effet recherché par les chamans, c'est-à-dire la sensation que l'esprit quitte le corps, demande un véritable savoir-faire.

Vous parliez de traditions. Y en a-t-il une qui soit propre à la France ?
La France est un pays ou l'on accorde une importance particulière à la gastronomie. Et les champignons - truffes, cèpes, morilles, girolles, etc. - ont une place éminente dans l'art culinaire !

Quant à vous, quel est votre champignon préféré ?
Je suis de Dordogne et en Dordogne, quand on commence à marcher, on ramasse des cèpes. Le cèpe est donc le champignon emblématique de mes souvenirs d'enfance. Mais à titre de scientifique, j'ai un goût particulier pour les moisissures, en particulier Ascobolus immersus et Podospora crassa. Pour une généticienne, ce sont des organismes extraordinaires, car les plus efficaces génèrent jusqu'à des millions d'individus en une semaine ! Cela permet d'observer des événements rares, comme des mutations. Les levures sont aussi un champ d'exploration fantastique. La levure de boulanger, en particulier, a été une ressource fabuleuse. C'est presque incroyable, mais beaucoup de ce qu'on sait sur le fonctionnement de nos cellules, on le doit à ce champignon microscopique !

A.K. - SCIENCES ET AVENIR N°179 > Octobre-Novembre > 2014
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net