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Vers une Inversion des Pôles ?

Le pôle magnétique a entamé une dérive excessivement rapide dont les conséquences pourraient être majeures. Les scientifiques s'interrogent sur sa nature et son ampleur.

Vers une Inversion des Pôles ?

La dérive accélérée du nord magnétique et une anomalie de polarité dans l'hémisphère Sud pourraient bouleverser notre environnement à l'échelle du globe.

Nul ne s'en rend compte, mais en une heure à peine, le temps d'un déjeuner ou d'un cours de gym, le pôle nord magnétique se déplace de six bons mètres. À la fin de la journée, sa dérive atteint un peu plus de 150 mètres et, en un an, c'est la distance entre Paris et Fontainebleau qui est avalée par ce point mythique... Et ce sprint dure depuis le milieu des années 1990. "Les données satellitaires très récentes confirment notre dernière mesure effectuée en 2007 dans les glaces de l'Arctique canadien : en ce moment et depuis un peu moins de 2 decennies, la dérive du pôle nord magnétique atteint des records jamais enregistrés, pas moins de 55 kilomètres par an", explique Arnaud Chulliat, de l'Institut de physique du globe de Paris. Ces 18 dernières années, le pôle s'est déplacé autant qu'en plus d'un siècle et demi... Il a quitté la terre ferme, pour aller se perdre en pleine mer près des glaces de Sibérie, à 700 km de la première piste d'avion, sur l'île d'Ellesmere, là où l'accès n'est possible que quelques mois par an, lorsque cette partie de l'océan Arctique se couvre de glace. C'est donc une expédition avec aviation légère, organisée par l'association Poly Arctique, l'IPG de Paris et Ressources Naturelles Canada, qui part à sa recherche tous les 5 ans. Les Canadiens ont assuré la logistique de ces campagnes jusqu'en 1990. Depuis, c'est l'association Polyarctique qui s'en charge. Dans ce domaine, ils sont tous les héritiers d'une grande tradition remontant à l'explorateur britannique James Ross, qui a atteint le pôle Nord géographique pour la première fois en 1831 et déterminé la position du pôle magnétique alors que son bateau était immobilisé dans la glace. 74 ans plus tard, au tour du Norvégien Roald Amundsen de traquer le pôle lors de sa traversée du passage du Nord-Ouest. "Aujourd'hui les mesures effectuées par satellite permettent de déterminer les latitudes et longitudes de ce point sans même avoir besoin de s'y rendre, reprend Arnaud Chulliat. La mission SWARM de l'Agence spatiale européenne, dont le lancement est en juillet 2012, permettra de faire definitivement l'économie de ces expéditions".
Cette accélération subite du pôle, passée d'une dérive de 15 km/an à 55 km/an au milieu des années 1990, intrigue au plus haut point les géophysiciens, d'autant que l'origine du champ magnétique est située au cour même de la planète, au-delà de 2900 km sous nos pieds. Là, un mélange de fer et de nickel - liquide comme l'eau - est en agitation permanente autour d'une sphère solide qui grossit continuellement de 0,1 mm/an. Quels étranges soubresauts de ce centre agité pourraient bien expliquer la soudaine dérive du pôle ? Annonce-t-elle même un changement profond, comme une "inversion du champ magnétique, un épisode majeur déjà survenu au cours des temps géologiques, le dernier ayant eu lieu il y a 780.000 ans (encadré). Autrement dit, le champ magnétique va-t-il s'affoler au point de bouleverser l'aimantation du globe ou n'est-ce qu'une anomalie passagère.

DES TRACES D'INVERSIONS PASSÉES DANS LES PLANCHERS OCÉANIQUES
Au milieu des années 1960, le navire océanographique Glomar Challenger, sillonnant les mers pour étudier le plancher des océans, fit une étrange observation : certaines laves présentaient des minéraux magnétiques orientés dans le sens inverse du champ magnétique terrestre. Quel curieux phénomène pouvait expliquer cela ? Les chercheurs en ont conclu que, dans le passé, le champ magnétique de la Terre avait connu une polarité inverse du champ actuel. La lave fraîche se déverse en effet sur la plancher des océans, de part et d'autre d'une dorsale. À sa sortie, elle est suffisamment malléable pour que tous les minéraux aimantés pointent le nord, telle l'aiguille d'une boussole. Puis la lave se solidifie et s'éloigne de manière symétrique de la dorsale pour laisser jaillir le magma, et ainsi de suite. Si la polarité actuelle est représentée en noir et la polarité inverse en blanc, on obtient une peau de zèbre symétrique de part et d'autre de la dorsale (schéma). Depuis, la trace de ces inversions magnétiques est donc recherchée au niveau des planchers océaniques mais aussi dans les roches sédimentaires. Les chercheurs ont ainsi pu reconstituer les inversions pendant les 550 derniers millions d'années et ont pu établir que la dernière inversion est survenue il y a 780.000 ans. La fréquence de ce phénomène est de l'ordre de 150 millions d'années, mais il y a de longues périodes de stabilité magnétique que l'on ne parvient pas à expliquer. A.Kh.

"Nous sommes loin de connaître les rouages d'une inversion", poursuit Arnaud Chulliat. Mais tous les chemins pour comprendre ce cour palpitant sont explorés : mesures effectuées à travers continents et océans, satellites, simulations numériques des phénomènes. Jusqu'à la reconstitution en laboratoire d'une sphère en mouvement - pour reproduire le noyau en modèle réduit et in vitro (encadré ci-dessous).

LE NOYAU TERRESTRE SCRUTÉ EN LABO
"Je ne comprends vraiment que ce que je suis capable de recréer", aimait répéter le physicien Richard Feynman. Ainsi, pour percer le secret du noyau, quelques chercheurs tentent de reconstituer en laboratoire le cour de la Terre afin d'observer son évolution, avec l'espoir d'obtenir des inversions et des excursions magnétiques. L'équipe de l'Institut des sciences de la Terre à Grenoble est à l'origine de l'expérience DTS (Derviche tourneur sodium) ; deux sphères concentriques avec, entre les deux, 40 litres de sodium liquide. La sphère externe en inox a un rayon de 21 cm contre 7,4 cm pour l'interne, en cuivre. Un champ magnétique dipolaire est imposé à l'ensemble. Des mesures indirectes révèlent les courants qui se forment et agitent ce sodium liquide. "Nous cherchons à reproduire l'équilibre des forces qui contrôlent les dynamos planétaires, explique Henri-Claude Nataf, du CNRS-université Joseph-Fourier de Grenoble. Nous participons également aux derniers préparatifs de l'expérience BigSisiter de Dan Lathrop, à l'université du Maryland (Éats-Unis) qui utilise 12.000 litres de sodium". Une autre expérience de ce type baptisée VKS (Von Karman sodium, du nom du physicien Theodor von Karman) a été montée à Cadarache (Bouches-du-Rhône). Le principe : dans un cylindre de 50 cm de long, 160 litres de sodium fondu. Aux extrêmités, deux disques qui tournent en sens inverse créant des turbulences dans le fluide. C'est au sein d'un tel milieu qu'un champ magnétique a pu faire son apparition en 2006. Les chercheurs en ont donc conclu qu'un champ magnétique pouvait être généré au sein d'un fluide conducteur en rotation. En 2007, des inversions spontanées se sont même manifestées. Pour autant, il est difficile d'étendre ce résultat à l'exemple terrestre, la dynamo de VKS fonctionne dans un régime très différent de celui attendu pour le noyau terrestre. A.Kh.

En théorie, rien n'est plus facile que de générer un champ magnétique à partir d'un courant électrique et vice versa. Pour comprendre, prenons l'exemple des dynamos de vélo, où le phénomène inverse est à l'ouvre : une pièce métallique, conductrice d'électricité et mise en mouvement entre les mâchoires d'un aimant grâce au pédalage, crée un courant électrique. La preuve : le phare du vélo s'éclaire illico. De la même manière, le passage du courant dans le fil électrique d'un appareil en marche fait dévier l'aiguille aimantée d'une boussole placée à proximité. Mais, au cour de la planète, quid du courant pour créer l'aimant ? En fait, le courant passe à travers le fer et le nickel, deux éléments conducteurs du noyau liquide qui est brassé en permanence, et comme tout courant électrique, génère un champ magnétique... Ce principe explique la persistance de l'aimantation du globe. Il a pris le nom de géodynamo, en référence à la Terre et au vélo. Mais quant à déterminer son origine, sa forme, sa valeur et ses sautes d'humeur, c'est une autre paire de manches. Notre première certitude se résume à une simple expérience qui a séduit des générations d'écoliers : en jetant une poignée de limaille de fer sur une feuille placée au-dessus d'un aimant droit (un dipôle), on voit se dessiner les lignes du champ magnétique semblables à celles de la Terre (schéma ->). Résultat : le magnétisme du globe s'apparente quasi totalement à celui d'un barreau aimanté. Ces lignes guident les particules électriquement chargées qui pullulent dans l'espace, envoyées par le Soleil principalement, et les tiennent à distance, préservant ainsi le bon fonctionnement de la Terre. "Le champ dipolaire constitue environ 90 % du champ terrestre, précise Arnaud Chulliat. Cette composante-là prend sa source essentiellement dans le noyau de La Terre. Le reste est non dipolaire et provient en partie du noyau et en partie de la croûte".
Lors d'une inversion brutale du champ magnétique, c'est le champ dipolaire qui diminue puis s'annule avant de se reconstituer dans une polarité inverse. Le pôle nord magnétique passe alors dans l'hémisphère Sud et vice versa. Pendant ces quelques dizaines de siècles de transition - une paille à l'échelle des temps géologiques -, le champ à la surface de la planète ne disparait pas complètement, mais bien malin celui qui peut prédire l'affolement de l'aiguille aimantée en pareille circonstance ! Car la forme du champ devient très différente, bousculée par une multitude de pôles nord et autant de pôles sud. Une fois la stabilité revenue, le champ magnétique retrouve de nouveau la contribution du noyau. Résultat : à la surface, les anomalies mesurées sont dues à une superposition de ces 2 composants. Un mélange qui ne facilite pas la tâche des géophysiciens lorsqu'il faut determiner la source de ces anomalies : proviennent-elles du noyau ou des roches ? Concernent-elles une petite partie du cour de la Terre ou correspondent-elles à un désordre étendu ? Pour y répondre, "il faut visualiser le champ à la surface du noyau, soit à 2900 km sous nos pieds", explique Arnaud Chulliat. Un vrai casse-tête ! Car, contrairement à ce qui se passe dans l'espace, aucune lumière ne provient des entrailles de la Terre : impossible d'en dresser une image, comme c'est le cas pour les galaxies lointaines. Reste l'outil mathématique qui permet "de reconstituer le champ du noyau à partir des mesures de surface".
De fait, les anomalies ne manquent pas : comme tout phénomène naturel, le champ magnétique connaît des variations autour d'une valeur moyenne. Aujourd'hui, parmi ce flot d'irrégularités, 2 au moins se distinguent aux yeux des physiciens : la dérive du pôle nord est la plus récente, mais il y en a une autre, connue et traquée depuis les 1960, qui persiste et grossit. Son nom : l'anomalie magnétique de l'Atlantique Sud, soit AMAS ou SAA (South Atlantic Anomaly). Il s'agit d'une région de l'hémisphère Sud soumise à un taux de radiation plus élevé qu'ailleurs. La raison en est qu'à cet endroit, le champ magnétique de la Terre est presque deux fois plus faible que le champ environnant. Du coup, la protection naturelle qui dévie les particules chargées est moins efficace. Un vrai cauchemar pour les agences spatiales qui doivent protéger tous les satellites qui la traversent à quelques centaines de kilomètres d'altitude avec une inclinaison de 30 à 50°. Ainsi, lorsqu'il pénètre dans la zone, le télescope spatial Hubble éteint tous ses feux. À bord, les instruments n'effectuent aucune mesure, de crainte de faire "griller" l'électronique ou d'enregistrer des données aberrantes. Les deux satellites du Cnes, l'agence française de l'espace, Jason-1, destiné à la surveillance des océans et Corot, dédié à la détection des planètes extrasolaires, ont aussi, chacun à leur manière, goûté à ce cocktail de particules cosmiques. Leur blindage a tenu le choc, et ils ont pu dresser la carte de l'étendue de cette zone lors de leur passage : on sait ainsi désormais qu'elle s'étend de l'Afrique jusqu'en Amérique du Sud, avec un maximum de radiations au sud du Brésil.
Mais ces constats de surface effectués, reste à savoir ce qui se passe au sein du noyau, très en profondeur. Prenons la dérive du pôle. La racine de l'anomalie devrait se trouver non pas pile à l'aplomb du pôle mais un peu plus à l'ouest, à cause d'un effet géométrique à la propagation du champ à travers le milieu isolant qui est le manteau. "Nous avons identifié la racine de cette anomalie à la surface du noyau, raconte Arnaud Chulliat. Et là, les calculs numériques indiquent une zone limitée d'un diamètre de 1000 km où le champ varie très rapidement : de l'ordre de 2 % par an, mais aussi 'accélère' parce que cette vitesse augmente". Est-ce suffisant pour en déduire qu'une inversion est en cours ? Pas sûr. Son caractère incite les géophysiciens à la prudence : "Cette zone de faible étendue peut disparaître aussi brutalement qu'elle est apparue" et le pôle nord reprendre son allure de tortue, et s'attarder au large des côtes russes cette fois-ci pour des centaines de milliers d'années. "Ce sera alors ce que nous appelons une 'excursion magnétique'. Ce phénomène s'est déjà produit des dizaines de fois au cours des périodes de stabilité magnétique : tout commence comme si une invasion allait survenir puis le processus s'arrête en cours de route, un peu comme une inversion ratée", souligne Julien Aubert, de l'IPG de Paris, qui depuis 5 ans reproduit de manière numérique le champ magnétique de la Terre et ses multiples soubresauts. Même si inversion et excursion devraient être provoquées par des processus semblables, le grand chamboulement ne viendra donc probablement pas du pôle...
Mais peut-il être déclenché depuis l'hémisphère Sud à la surface du noyau, les racines de la fameuse AMAS paraissent bien plus étendues encore que l'anomalie de surface. Sur les simulations, elle apparait en effet comme une tache bleue au sein d'un hémisphère Sud représenté en rouge. Intrusion suspecte car, en toute logique, on ne devrait avoir que du bleu au nord et du rouge au sud. "Le champ dipolaire comme celui de l'aimant droit a un pôle nord et un pôle sud. De ce fait, pour un barreau aimanté parfait, l'hémisphère Nord devrait apparaître entièrement de polarité nord - que l'on représente en bleu - et l'hémisphère Sud en rouge", reprend Julien Aubert. Or, depuis 1960, une zone de polarité inverse est apparue au beau milieu de l'hémisphère Sud et ne fait que grossir. À cet endroit, elle se superpose au champ et atténue sa valeur. Son étendue montre qu'elle n'a rien d'une simple excursion, comme c'est le cas pour la dérive du pôle. Pourrait-elle se généraliser pour gagner tout l'hémisphère Sud et devenir ainsi une inversion magnétique ? "Il est impossible de se prononcer, car les inversions du champ magnétique sont imprévisibles", précise Julien Aubert.
Pour comprendre le mécanisme des inversions magnétiques, il faut donc reproduire la géodynamo et ses caractéristiques. Pour cela, il ne suffit pas de créer un champ - trop facile - encore faut-il qu'il s'inverse spontanément de temps en temps et qu'il produise des excursions à profusion comme c'est le cas dans la réalité. Deux voies sont explorées par les chercheurs : reconstituer un noyau en laboratoire pour comprendre son fonctionnement ou recréer par simulation numérique le cour de la Terre et le laisser évoluer en espérant qu'inversions et excursions se produisent spontanément. Une voie très difficile, car les turbulences qui peuvent apparaître dans le noyau sont très complexes à reproduire et les écoulements de cet océan de fer s'effectuent dans les 3 dimensions de l'espace qui s'influencent mutuellement.
De plus, il faut représenter ce bouillonnement intérieur. C'est à ce défi numérique que se sont attaqués Julien Aubert et ses collègues. Un travail payant. En effet, au bout du compte, les chercheurs commencent à voir clair dans le mécanisme à l'origine des soubresauts du champ magnétique : "Tout semble commencer par un panache de matière qui se propage à travers le noyau. Son ascension entre le sommet de la graine et la base du manteau dure environ un siècle. Ce panache peut structurer les lignes de champ magnétique et le transformer en panache magnétique. Une fois arrivé à la surface, il bouscule les lignes du champ et les expulse en dehors du noyau au sein du manteau", précise Julien Aubert. Là, se forme précisément une tache de polarité inverse dans le champ magnétique de la surface du noyau. Il s'agit de ces fameuses taches rouges au sein d'une région bleue ou l'inverse. Ainsi, nos 2 anomalies - celle qui correspond à la dérive accélérée du pôle nord et la perturbation qui sévit en Atlantique Sud - sont dues à des panaches de fer et de nickel qui jaillissent des profondeurs et expulsent les lignes du champ du noyau. S'agit-il d'un fin pinceau ou d'un courant puissant ? Difificile de se prononcer sur la géométrie de cette vague profonde, mais l'étendue de l'anomalie à la surface du noyau donne une idée du diamètre de ces remontées. Ces résultats ont changé notre vision du fonctionnement du globe : alors que l'âge de la Terre (4,5 milliards d'années) et la durée des phénomènes géologiques semblent correspondre à une machine évolutive lente et ronronnante, l'étude du noyau fait apparaître une planète capable de changements brutaux, de incontrôlables en son cour et d'irrégularités imprévisibles. Le travail de l'équipe est donc parvenu à reproduire un champ magnétique qui s'inverse spontanément, suivant le processus constaté à la surface de la Terre : c'est-à-dire une diminution de l'intensité du champ, l'apparition d'une multitude de pôles nord et sud, une stabilité dans une polarité inverse et des pôles qui tentent des excursions quand bon leur semble sans que l'on puisse prévoir leur mouvement. Ils finissent par coalescer (se rejoindre) à nouveau pour reformer un champ stable. "La probabilité que survienne une inversion est totalement indépendants du nombre d'inversions passées, reprend Julien Aubert. Parfois, ces phénomènes se suivent puis, à d'autres périodes, le champ reste stable pendant des millions d'années". Sans compter que cet océan agité est, à l'instar de tout système turbulent, extrêmement sensible à la moindre pichenette numérique : il suffit d'introduire une toute petite variation dans un écoulement pour arrêter une inversion déjà bien avancée.
C'est justement cette grande sensibilité qui empêche de prédire si une inversion magnétique est en train de débuter actuellemen. dans l'Atlantique Sud. "Si c'est le cas, nous n'en sommes qu'au tout début, reprend Julien Aubert. Certes l'intensité du champ magnétique a diminué au cours des dernières années, mais sa valeur actuelle est encore très élevée. Or, avant une inversion, le champ perd 90 % de sa valeur". Une diminution qui s'effectuera en au moins deux mille ans, à condition que la tendance actuelle soit conservée. Car pendant ces 20 siècles à venir, foi de supercalculateur, tout peut arriver : une petite irrégularité surgie des profondeurs peut remettre le pôle nord à sa place actuelle. Seule certitude, comme un pied de nez aux prophètes de l'apocalypse : aucune inversion magnétique n'aura lieu avant 4012, n'en déplaise aux partisans de la fin du monde en 2012.

A.Kh. et S.R. - SCIENCE ET AVENIR N°781 > Mars > 2012

Le Scénario Catastrophe : Bombardement de Particules en vue

Le dérèglement magnétique entraînerait l'arrivée sur Terre de raayonnements dangereux pour les systèmes de communications.

Le magnétisme terrestre est un peu connne un imperméable à la saison des pluies. Indispensable. Notre planète baigne en effet dans un environnement dangereux ou circulent à des vitesses proches de celle de la lumière, une myriade de particules très énergétiques en provenance des étoiles, des supernovæ et de bien d'autres cataclysmes cosmiques (schéma ->). Le magnétisme nous en protège. Plus important encore, il agit à chaque instant comme un bouclier contre les vents solaires, ces particules chargées qui sont éjectees par le Soleil à des vitesses d'environ 1.440.000 km/h. Nous avons conscience de ces vents puissants uniquement lors du spectacle des aurores boréales. Celles-ci surviennent lorsque quelques-unes de ces particules ionisées parviennent à s'infiltrer dans la haute atmosphère des régions polaires en suivant les lignes du champ magnétique, produisant une lumière par fluorescence lors de leur collision avec des atomes de gaz. Réjouissons-nous ! Si la Terre connait bientôt une inversion du champ magnétique, nous admirerons pendant des siècles la féerie de ces aurores un peu partout sur la planète : les lignes de champ dessinant de multiples pétales magnétiques autour de la planète, à la manière d'une marguerite, les particules chargées glisseront le long des lignes verticales pour s'engouffrer comme dans un entonnoir vers la surface terrestre, irradiant nos cieux de mille nuances.
Mais l'enchantement s'arrêtera là. Car le flot continu de plasma solaire risque de faire beaucoup de dégâts, notamment sur les satellites. En effet, l'afflux de protons transportés par les vents solaires va réchauffer les couches supérieures de l'atmosphère, les faire se dilater et freiner la course des satellites en orbite, qui vont chuter peu à peu. Les engins postés en orbite basse pourraient même finir par pénétrer dans l'atmosphère si leur altitude n'est pas maintenue en permanence par leurs moteurs. En outre, les particules chargées des vents solaires accélèreront l'érosion des panneaux solaires et de l'électronique embarquée, réduisant drastiquement la durée de vie des satellites. Et ce sera pire lors des éruptions spectaculaires du Soleil, qui libèrent des tombereaux de particules à haute énergie et des rayons X et ultraviolets. Au plus fort de son cycle d'activité, notre étoile subit ainsi quelque 1100 éruptions par an ! Certaines d'entre elles sont le théâtre d'une "éjection de masse coronale", c'est-à-dire une expulsion en quelques heures de 2000 milliards de tonnes de matières qui filent à la vitesse de 1,5 million de km/h. Le rayonnement électromagnétique nous parvient, lui, 8 minutes plus tard, provoquant des orages magnétiques. Par le passé, des orages d'envergure ont déja occasionné de gros dégâts. Mais ce n'était là qu'un infime échantillon de ce qui pourrait nous attendre.
Les télécommunications, par exemple, pourraient en pâtir à grande échelle. Lors de ces orages, la propagation des ondes radio est perturbée. Ce sont les ondes courtes (décamétriques) qui sont touchées en premier, car elles circulent en se reflétant sur l'ionosphère, cette couche supérieure de l'atmosphère constituée en partie de gaz ionisés - très bons conducteurs électriques. Des orages magnétiques de plus en plus nombreux arracheraient toujours plus d'électrons aux atomes de gaz des hautes couches de l'atmosphère, contribuant à les rendre encore plus électriques et à modifier le parcours des ondes à haute fréquence (courtes). Or ce sont de telles ondes qui permettent de franchir les milliers de kilomètres séparant les continents. Peu importe, argueront certains, les communications intercontinentales passent souvent par les satellites. Problème : ces liaisons ne seront pas plus épargnées. "L'ionosphère provoque une scintillation qui affecte la transmission de signal avec les satellites dans les bandes basses - sachant que la plupart des communications avec les satellites se font dans les bandes de fréquences plus élevées -, explique Pierre-François Delval, chef ingénieur satellites de télécommunications chez Astrium. Cette scintillation est non homogène sur la surface de la Terre et variable dans le temps, sous l'influence du Soleil et du champ surface magnétique terrestre. Dans des zones où la scintillation est plus forte qu'ailleurs, comme en Inde, on rapporte ainsi des effets sur les communications satellites avec les mobiles. Cela pourrait également affecter les signaux de navigation telle le GPS ou Galileo, menant à des imprecisions de localisation, voire une perte du signal". Et là, les conséquences se démultiplieront, car les systèmes de géolocalisation ont investi de nombreux modes de transport. Notamment la marine et l'aviation... De là à imaginer des aéronefs dérivant dans des zones de turbulences ou des navires échoués faute de positionnement précis sur les cartes, il n'y a qu'un pas. Soit autant de catastrophes humaines ou de pollutions à grande échelle possibles.
La pollution, c'est ce que l'on peut craindre encore avec les pipelines déployés sur de grandes distances pour transporter gaz, pétrole et eau, et qui seront eux aussi affectés. Pour résister à la pression, ceux-ci sont fabriqués en acier, donc soumis à la corrosion. Ce handicap est compensé grâce à un revêtement isolant couplé à une protection cathodique. Il s'agit de transformer la surface d'acier en cathode (pôle négatif) d'une cellule électrochimique. Pour cela, on branche le pôle négatif d'une alimentation électrique en courant continu sur le pipeline, l'anode (pôle positif) étant constituée par le sol environnant. Les courants électriques circulent ensuite du sol au pipeline. Or, ce dispositif est mis à mal lorsque le champ magnétique terrestre varie, induisant des courants électriques dans la croûte terrestre - les courants telluriques - et dans les conducteurs comme les pipelines. Lois des orages magnétiques, les pipelines se retrouvent ainsi sans protection, livrés à l'action corrosive de l'environnement. "Cela peut mener à de la perte d'acier, à la création de cratères, voire de trous dans la paroi", conclut Marcel Roche, spécialiste de la protection cathodique et président du Centre français de l'anticorrosion (Cefracor). Il énumère les parades possibles, qui vont de la pause d'isolants électriques à intervalles réguliers pour limiter les échanges sur le pipeline à l'installation d'une sorte de prise de terre. Reste que ce type de courant est impossible à juguler, souligne-t-il, "car nous ne pouvons pas maîtriser sa source, le Soleil". Le même type de courants telluriques parcourt les câbles téléphoniques et électriques, induisant un bruit électrique qui peut se répercuter plus largement sur tout le réseau. C'est ce qui s'est passé le 13 mars 1989, au Québec, lorsqu'une panne générale a plongé dans l'obscurité toute la province neuf heures durant. Ce jour-là, le Soleil a connu une gigantesque éruption, 4 fois plus importante que d'ordinaire, qui est venue déformer le champ magnétique terrestre et a déclenché un gros orage magnétique. Des courants telluriques ont alors envahi le réseau, lui imposant des tensions et des courants d'intensité considérable. Normalement, la sécurité du système prévoit d'évacuer les courants électriques induits dans les lignes, via des sous-stations de transformation. Las, en moins d'une minute, 7 de ces transformateurs ont lâché, victimes de la saturation de leur noyau. Dans ce cas extrême, certains transformateurs brillent. Parfois, cette situation engendre des harmoniques supplémentaires au sein du transformateur, mettant certains relais en route de manière anarchique ou des lignes électriques hors circuit. Bref, en 1989, le chaos a rapidement gagné le réseau... qui s'est éteint ! Cette déconfiture électrique aura coûté au Québec 13,2 millions de dollars.
Si ce genre d'expériences devait se multiplier dans le futur, cela relancerait donc la production de bougies. D'autant que lors des orages dus au Soleil, les pannes générales se produiraient simultanément sur de nombreux réseaux électriques. Et sans doute à de plus vastes échelles, les réseaux étant aujourd'hui interconnectés. Plongés dans le noir, sans téléphone en état de marche, avec des avions cloués au sol et des navires bloqués au port tandis que nos pipelines fuient, notre situation ne sera guère brillante les jours de tempête solaire ! Mais le pire est à venir : le bombardement d'astroparticules est en effet particulièrement délétère pour les êtres vivants eux-mêmes. Sachant que "l'atmosphère demeure notre principal bouclier protecteur, plus important encore que le bouclier magnétique", comme le souligne le géophysicien Jean-Pierre Valet, de l'IPG, ce seront les cosmonautes qui seront les premiers exposés : les particules ionisées favorisent en effet l'apparition de radicaux libres néfastes à l'ADN et les rayons X sont susceptibles de provoquer des mutations génétiques. Actuellement, les agences spatiales interdisent les sorties dans l'espace lors des tempêtes solaires ou des orages géomagnétiques. Mais si la situation magnétique devait empirer, elles pourraient purement annuler leurs programmes de vols habités. Dans une moindre mesure, le problème se posera pour le personnel navigant et les passagers des avions. A la surface de la Terre, il faudra sélectionner soigneusement son lieu d'habitation. De fait, explique Jean-Pierre Valet, "en descendant dans les couches inférieures de l'atmosphère, les protons solaires engendrent des réactions chimiques en cascade, dont la création de monoxyde d'azote (NO), un déplétif de la couche d'ozone, c'est-à-dire qui entraîne sa diminution".
Le trou de la couche d'ozone, on le sait, favorise la pénétration des rayons ultraviolets qui provoquent des problèmes de vision (cataractes) et des cancers dela peau. Prémonitoire de ce qui porurait nous arriver, le cas de Punta Arenas, dans le grand sud chilien (53° S). Cette ville de 120.000 habitants est placée à l'aplomb du trou austral de la couche d'ozone. Durant la belle saison, au moment où la couche d'ozone est la plus fine, les enfants ne peuvent sortir sans crème solaire, sous peine d'attraper des coups de soleil en quelques minutes. Entre 11 et 15 h, les habitants se confinent, pour ne pas être brûlés par le Soleil.
La solution ? Migrer dans les pays chauds, parce que "le monoxyde d'azote ne survit pas à l'exposition solaire et que ces problèmes ne se posent qu'aux moyennes et hautes latitudes", souligne Jean-Pierre Valet. Installés dans nos nouveaux logis africains, donc, devrons-nous redouter des dangers à plus grande échelle ? Des extinctions massives d'espèces ? Non, indique André Brack, astrobiologiste au Centre de biophysique moléculaire à Orléans : "À ma connaissance, il n'existe aucune corrélation entre les inversions du champ magnétique et les grandes extinctions du passé, provoquées essentiellement par de gros impacts ou un volcanisme violent. Quant à la chimie, elle est insensible au champ magnétique terrestre en raison de sa faible intensité". Enfin une bonne nouvelle ! Aucune chance de devoir cohabiter avec des voisins mutants. Du moins a priori.

LES OISEAUX PERDRAIENT LA BOUSSOLE
"L'inversion du champ magnétique va certainement bouleverser le comportement des êtres vivants dotés de cristaux de magnétites, comme les oiseaux migrateurs ou les magnéto-bactéries", affirme André Brack, astrobiologiste au Centre de biophysique moléculaire d'Orléans. Dans la nature, en effet, nombre d'espèces sont dotées d'un sens magnétique qui leur tient lieu de boussole. Il existe ainsi des bactéries qui se déplacent dans les sédiments lacustres ou marins en suivant les lignes du champ magnétique terrestre (vers le nord dans l'hémisphère Nord, vers le sud dans l'hémisphère Sud). La présence de nanocristaux d'oxydes métalliques magnétiques dans leur organisme les fait se comporter comme des dipôles ! De même, pigeons voyageurs et oiseaux migrateurs déterminent l'orientation du champ magnétique terrestre grâce à la présence de matériau ferromagnétique (magnétite) dans leur organisme - à la base du bec pour les pigeons voyageurs - et à une série de réactions chimiques sensible au magnétisme. Une modification des lignes de champs perturberait certainement leurs flux migratoires et si ces changements se font de manière rapide, des escadrilles d'oiseaux se retrouveront perdues loin de leur point de chute habituel...

LA BAISSE DE L'OZONE FATALE À NEANDERTAL ? (Interview Jean-Pierre Vallet)
- Y a-t-il eu par le passé des disparitions liées aux inversions de champ magnétique ?
- On n'a jamais réussi à faire de corrélation. Mais cela a peut-être été le cas pour l'homme de Neandertal. Cet hominidé a vécu 250.000 ans en s'adaptant à plusieurs changements climatiques. Il est donc difficile de croire qu'il ait pu succomber à un épisode de glaciation, comme cela est avancé parfois. En revanche, la datation au carbone 14 a permis de montrer que sa disparition coïncide avec une période d'inversion magnétique, entre -41.000 et -34.000 ans. À cette époque, le champ géomagnétique était de faible intensité - environ dix fois inférieure à sa valeur actuelle - et il y avait des pôles magnétiques un peu partout. C'est ce que l'on nomme l'événement du Laschamp.
- En quoi cela a-t-il pu affecter l'homme de Neandertal ?
- Selon des études récentes, l'homme de Neandertal avait la peau claire et une pilosité semblable à la nôtre. Il était vulnérable aux rayons solaires qui provoquent tumeurs et cancers de la peau ainsi qu'un affaiblissement du système immunitaire chez les enfants. Neandertal était d'autant plus exposé qu'il vivait en Europe et au Moyen-Orient, aux latitudes où la couche d'ozone s'amincit durant ces périodes d'inversion. L'homme moderne (Homo sapiens) venait quant à lui d'Afrique, une région du monde qui n'était pas affectée par la diminution de la couche d'ozone et où il a pu survivre normalement.
- D'autres disparitions d'espèces sont liées à des épisodes de volcanisme massif. Le magnétisme y joue-t-il un rôle ?
- Pas directement. Mais ce phénomène n'est pas forcément détaché de ce qui se passe au niveau du noyau. En effet, le panache de magma qui alimente ce volcanisme remonte à la surface depuis la frontière entre le noyau et le manteau. Il est le résultat d'un effet sur la dynamique du noyau, dynamique qui contrôle aussi le champ magnétique terrestre. Lors d'une inversion de pôle magnétique, quelque chose se passe à la surface du noyau qui en modifie la turbulence. Un peu comme dans une casserole d'eau qui bout et qui relâche des bouffées de vapeur, des panaches de magma peuvent ainsi remonter. Mais leur arrivée à la surface terrestre sera décalée dans le temps, l'écart, pouvant se compter en millions d'années".

S.R. - SCIENCE ET AVENIR N°781 > Mars > 2012
 

   
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