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Mangez Sain en Protégeant la Planète

L'Alimentation Durable Gagne un Large Public

De plus en plus d'études scientifiques montrent qu'il est possible de mieux préserver l'environnement en étant plus vigilant sur ses choix alimentaires. Le discours des experts rejoint désormais celui des écologistes et trouve un écho de plus en plus favorable dans la population.

Oui, on peut manger sain pour soi et pour la planète. Ce credo n'est plus réservé à quelques militants mais étayé par des études scientifiques qui font aujourd'hui le lien entre la santé alimentaire et la sauve-garde de l'environnement. Être gras n'est pas écolo ! C'est la conclusion d'une étude de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, qui a calculé, en avril, les conséquences du surpoids des populations sur le changement climatique*. "Nourrir et transporter une population d'un milliard de personnes comportant 40 % d'obèses - soit le pourcentage attendu en 2010 en Grande-Bretagne et aux États-Unis - requiert plus d'énergie, estiment ainsi Phil Edwards et lan Roberts. Cela dégage entre 400 millions et un milliard de tonnes d'équivalent carbone de plus qu'une population similaire avec un indice de masse corporelle normal". Au passage, les chercheurs oublient de rappeler que l'obésité est une maladie mal connue, difficilement soignée, et qu'il ne suffira pas à quelques-uns de se priver de chips pour sauver la planète !

"Nous ne voulons stigmatiser personne, se défend Phil Edwards. Mais l'accroissement de l'obésité et du surpoids n'est pas seulement une question de santé publique, c'est aussi une question environnementale. Nous souhaitons qu'elle soit prise en compte comme telle par les gouvernements". Culpabilisante, cette étude n'en traduit pas moins une préoccupation croissante : ce qui est mauvais pour notre santé peut être néfaste pour la planète (ou l'inverse, bon à manger, bon pour la planète). L'idée gagne depuis peu un crédit scientifique. En 2006 et 2007, des chercheurs ont ainsi montré que limiter sa consommation de viande était le moyen le plus simple pour les habitants des pays riches de limiter cancers et maladies coronariennes, pollution des sols et des eaux et même émissions de gaz à effet de serre. D'autres études ciblent le fait que les poissons prédateurs surpêchés (comme le thon rouge) sont aussi ceux qui accumulent le plus de polluants. En juin, un rapport de l'Inserm a établi que l'exposition aux pesticides, source de pollution des sols et de l'eau, double quasiment le risque de contracter la maladie de Parkinson pour les agriculteurs. Manger des fruits et légumes bio - ou allégé en pesticides - ne serait donc pas seulement bon pour la planète et pour le consommateur mais aussi pour le travailleur agricole. La filière agroalimentaire, enfin, fait l'objet de rapports scientifiques réguliers, à la fois pour les antibiotiques dont elle abuse dans l'élevage, les graisses qu'elle emploie dans ses plats cuisinés et la pollution qu'elle génère.
"La thématique de la "malbouffe" et de l'environnement n'est pas nouvelle, rappelle le sociologue Jean-Pierre Poulain, professeur de sociologie à l'université Toulouse-II. À la fin des années 1970, Le Sauvage, un magazine écolo édité par le groupe Nouvel Observateur titrait déjà "Préparons-nous à devenir végétariens". Mais il n'a pas convaincu au-delà de cercles marginaux". La donne a aujourd'hui changé, admet le sociologue : "Le discours des experts rejoint celui des croisés : ONG, associations, militants". En outre, les médias les relaient plus généreusement. "La sensibilité écologique rejoint des préoccupations de santé très égoïstes, note de son côté la psychosociologue de l'alimentation Estelle Masson, de l'université de Bretagne occidentale. Les conditions sont donc réunies pour que le souci d'une alimentation dumble gagne un public de plus en plus large et s'installe". Elle sent cette préoccupation monter chez les consommateurs qu'elle interroge, au-delà des classes moyennes et d'un petit cercle parisien aisé et informé. "En province, les gens ont recours à des petits producteurs, au verger d'un voisin, pour avoir accès à une nourriture jugée plus saine, naturelle". D'autres, consommateurs engagés, ont recours aux Amap, les Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne, tandis que le boycott ou son contraire, le buycott, c'est-à-dire l'achat engagé de produits jugés éthiques ou préservant l'environnement, gagnent du terrain. La notoriété de ces actions - scrutée par les spécialistes du marketing et les industriels - dépasse largement les cercles militants. Certes, la consommation durable n'est pas encore un phénomène de masse : selon une étude du cabinet Ethicity publiée en avril en partenariat avec l'Ademe, 66 % des Français déclarent faire des achats responsables, mais 20 % seulement régulièrement, principalement des seniors et des gens aisés. Pour 30 % des interrogés, un produit de consommation responsable doit être en priorité fabriqué localement. Mais ils sont aussi 70 % à réclamer des prix plus attractifs et surtout des informations plus claires pour les produits durables. Pas facile aujourd'hui de s'y retrouver, de calculer ce qui est bon à la fois pour le climat, la santé et le porte-monnaie.
Pour aider le consommateur, une nouvelle génération de labels est née dans les années 1990, issue de partenariats entre intérêts privés d'industriels, de distributeurs et de militants. "Ces labels sont aujourd'hui considérés autant par la communauté scientifique que par les gouvernements comme des réponses essentielles aux problématiques environnementales, précisément parce qu'ils procèdent d'une responsabilisation des consommateurs", explique la sociologue du CNRS, Sophie Dubuisson-Quellier. Non que toutes ces démarches soient garantes d'efficacité ou exemptes de problèmes... La biologiste Jennifer Jacquet a analysé en 2007 l'impact des labels comme celui du Marine Stewardship Council (MSC) sur les produits de la mer. "Cette initiative a un certain succès auprès des consommateurs nord-américains et européens, note-t-elle, mais le revers de la médaille, c'est que de prétendus éco-labels se sont multipliés parallèlement sur des produits venant d'Amérique du Sud ou d'Asie. Quelques cas de fraudes sont avérés, mais la traçabilité de ces produits est très difficile à établir. Au point que d'autres ONG, découragées, envisagent plutôt de recourir au boycott pur et simple, avec ce slogan : "Sauvez l'océan. Mangez du poulet !"
La question d'une alimentation durable prend en tout cas sa place sur l'agenda politique. Le gouvernement français vient ainsi de lancer un plan pour une offre alimentaire sûre, diversifiée et de qualité, "provenant de modes de production respectueux de l'environnement" et garantissant l'accès aux fruits et légumes pour les populations défavorisés. Tiendra-t-il ses promesses ? La restauration collective publique (100 millions de repas par an) devrait déjà intégrer 20 % de denrées bio d'ici à 2012. À quand des campus "locavores" comme celui de Toronto, au Canada, qui ne sert à ses étudiants et ses personnels que des produits locaux ? De son côté, la Mairie de Paris réfléchit à instaurer une journée hebdomadaire sans viande, sur le modèle de la ville de Gand, en Belgique. Lancé le 13 mai, le Donderdag Veggiedag fait suite à une conférence, non pas de militants de la cause animale, mais de Rajendra Pachauri, le président du Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat !

Dossier réalisé par Rachel Mulot (coordinatrice), Sylvie Riou-Milliot, Loïc Chauveau et Sylvie Buy.

Rachel Mulot - SCIENCES ET AVENIR > Octobre > 2009
 

   
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