Monde ANIMAL - Eucaryotes - Vertébrés, Poissons Osseux ou Osteichthyes
Il existe environ 28.000 espèces de poissons, dont près de 27.000 Poissons Osseux.
Actinopterygii (45 ordres, 341 familles, +1945 genres, +23.712 espèces) |
Les Poissons sont Très Bavards |
Les Poissons ne sont Pas Muets |
Les océans sont loin d'être le "Monde du silence" décrit en 1955 par Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle.
Le chant des baleines et le sifflement des dauphins en sont deux exemples célèbres. Mais les poissons ne sont pas en reste en matière de bavardages ! Les pêcheurs le savent bien, puisqu'ils chassent depuis plusieurs générations déjà le maigre à l'oreille, en écoutant résonner sur les coques des bateaux les grognements de ce poisson migrateur. La communauté scientifique a pourtant mis du temps à s'intéresser à ces manifestations sonores. En 2004, une étude sur le bruit des bulles de harengs lors de la reproduction était ainsi raillée, au prétexte qu'il ne s'agissait là que de flatulences ! Mais désormais, l'équipe d'Eric Parmentier, du laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive à l'université de liège, se consacre entièrement à ces sons inédits (pétillements de l'anguille, croassement du gobie noir, "hou" du cha boisseau de mer...), et a déjà enregistré plus d'une cinquantaine d'espèces. Les mécanismes à la source de ces sons ne sont pas moins variés : certaines espèces font claquer leurs dents, telle poisson clown, quand d'autres contractent leurs muscles soniques pour faire vibrer leur vessie natatoire, à l'instar du piranha ; les uns expulsent de l'air par la bouche, les autres par l'anus.
R.B. - SCIENCE & VIE > Août > 2010 |
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Le Poisson Clown Parle en Claquant des Dents |
Le son émis par le poisson clown Amphiprion clarkii (proche de celui du bois qui craque) pour communiquer avec ses semblables, vient d'un ligament particulier qui permet à la mâchoire inférieure de bouger rapidement.
Provoqué par le rapide choc des dents, il se propage alors dans toute la bouche, qui sert de caisse de résonance, affirme l'équipe de l'université de Liège qui a découvert cette caractéristique anatomique grâce à la vidéo et à la radiographie.
E.N. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2007 |
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Ils sont finalement Très Bavards |
"Muet comme une carpe" ? Eh bien, non ! Car des études l'établissent : les poissons émettent des sons pour communiquer. Et ce, avec une folle ingéniosité.
Au cours de la Seconds Guerre mondiale, on a bien cru au pire sur la côte Est des États-Unis. "Les militaires avaient posé des mines acoustiques, qui se déclenchent au bruit. Elles se sont mises à exploser les unes après les autres", s'amuse encore Jean-Paul Lagardère, ex-directeur de recherche du CNRS à la retraite. Mais, sur place, aucun navine ennemi ; seuls quelques poissons - des maigres - flottaient à la surface. Les mines avaient été activées par les cris puissants de ce poisson qu'on appelle aussi le "grogneur". À l'époque, personne n'imaginait que la faune aquatique puisse produire d'autres sons que le chant des baleines.
L'UN "ROTE", L'AUTRE "PÈTE"
Les océans sont loin d'être ce "monde du silence" décrit en 1957 par Jacques-Yves Cousteau dans son célèbre documentaine. Les mammifères marins et les cétacés, mais aussi les activités humaines (trafic maritime, exploration sismique...) générent un vacarme de tous les diables. Et, au milieu de cette cacophonie, les scientifiques découvrent aujourd'hui que les poissons ne sont pas en reste ! Morues, donzelles, castagnoles, gobies, anguilles, chaboisseaux ou aurins, tous jacassent allègrement. "Il suffit de plonger un hydrophone sous l'eau pour être surpris par le nombre et la diversité de leurs échanges", précise Jean-Paul Lagardère.
POLLUTION SONORE : QUEL IMPACT ?
Les poissons émettent des sons, mais ils sont également capables de les entendre. S'ils perçoivent les bruits, dans une gamme de fréquence de 20 à 3000 hertz (contre 20 à 20.000 hertz pour les humains), sont-ils affectés par le ronflement des moteurs de navire, les échos des sonars militaires, les détonations des canons à air de l'exploration sismique, autrement dit la pollution sonore engendrée par les activités humaines ? Les avis sont partagés. Contrairement aux baleines et aux cétacés, les premières victimes de ce raffut, les poissons ne communiquent pas sur des distances de plusieurs kilomètres et pourraient être donc moins sensibles à ce bruit de fond. Néanmoins, de rares études démontrent que ce vacarme pourrait masquer leurs échanges, induire du stress, perturber leur comportement et donc compromettre leur chance de survie. |
"Au début de mes études, je cherchais le poisson qui fait du son ; désormais je cherche plutôt celui qui n'en fait pas !", avoue pour sa part Eric Parmentier, de l'université de Liège (Belgique), qui vient de détecter les cris du piranha. Alors certes, dès l'Antiquité, Aristote mentionne qu'un poisson peut émettre des vocalises. Et les pécheurs, tels ceux de l'estuaire de la Gironde, ont toujours repéré les maigres en collant leur oreille au fond du bateau. À croire que cela ne suffisait pas pour ébranler l'incrédulité de la communauté scientifique. Il n'en est plus rien : depuis une petite dizaine d'années, les découvertes se succèdent. Sur les 800 familles de poissons marins environ, déjà plus d'une centaine à ce jour ont démontré qu'elles communiquent par voie acoustique. Un phénomène d'autant plus surprenant qu'il se révèle particulièrement complexe pour un animal dénué de cortex ! Une même espèce peut produire plusieurs sons différents, varier les dialectes et les modalités d'expression, apportant la preuve d'un langage d'une richesse insoupçonnée jusque-là.
Ce n'est qu'en 1970 que Marie Poland Fish et William Mowbray publient les premiers travaux d'envergure sur les cris des poissons. Ces deux biologistes de l'université de Rhode Island (États-Unis) avaient eu accès aux équipements de la marine qui, depuis l'entrée en scene des submersibles, écoutait attentivement les océans. Or, les bruits de la vie sous-marine étaient si forts qu'ils interféraient avec les objectifs militaires ! Les scientifiques furent donc convoqués pour déméler le biologique de l'anthropique. Ils dénombrèrent à cette occasion les vocalises de plus de 200 espèces de poissons de l'Atlantique du Nord-Ouest.
Des poissons qui parlent ? Cela semblait si incongru que la communauté scientifique fit longtemps la sourde oreille. Non sans railler les plus audacieux. En 2004, un Ig Nobel (prix parodique qui couronne chaque année les recherches jugées les plus improbables) fut ainsi décerné aux Suédois Magnus Wahlberg et Hakan Westerberg, pour leurs travaux sur la communication des harengs au moyen de bulles s'échappant par leur anus. C'est trop d'honneur accordé à de simples flatulences se moquèrent les confrères ! Ces pétarades avaient tout de même piégé la marine suédoise en pleine guerre froide. "En interceptant raffut des harengs, les Scandinaves croyaient avoir à faire à un nouveau système de brouillage", note Jean-Paul Lagardère.


Il n'est pas aisé de prendre un poisson en flagrant délit de parole. Leurs cris sont rarement audibles de la côte, les sons ne franchissant guère la barrière de la surface de l'eau. Et leur bouche ne dit rien : l'animal est dénué de cordes vocales. Pour se faire entendre, les poissons déploient une palette de mécanismes aussi ingénieux que surprenants. La plupart font résonner leur vessie natatoire, ce sac d'air qui leur permet d'ajuster leur profondeur. Le procédé se décline en une foison de systèmes, selon que la vessie dispose de muscles intrinsèques qui la contractent ou de muscles extrinsèques qui la tendent. Chez l'anguille, la vessie reste reliée au tube digestif ; les muscles compriment l'ensemble du corps et l'air est expulsé par la bouche. L'anguille "rote", tout comme le hareng "pète". Un autre groupe de poisson provoque des stridulations en frottant l'une contre l'autre deux parties dures de leur corps. La gorette blanche s'aide de ses dents pharyngiennes, situées au niveau des branchies. Le poisson-chat, lui, fait grincer l'articulation striée de ses nageoires pectorales. "Un peu comme si l'on passait un doigt sur un peigne", précise Eric Parmentier.
IL JOUE DE L'ACCORDÉON
Le chercheur belge a mis en évidence en 2007 un troisième grand mode de production sonore : lové dans son anémone, le poisson-clown chasse les intrus en claquant des dents (voir article précédent), buccales cette fois, grâce à deux ligaments qui relient la langue à la mâchoire inférieure. Toutefois, en dépit de minutieuses dissections, bien des mécanismes sonores échappent à notre compréhension. Car il semble exister presque autant de variantes que d'espèces, à l'image du tilapia qui, suppose Eric Parmentier, "joue de l'accordéon avec ses côtes"...
"PRISE DE PAROLE" CIBLÉE
Bavards, les poissons ne prennent la parole que bien à propos, pour défendre leur territoire ou se reproduire, signaler un danger, ou se localiser dans un banc. Pas moins de six types de cris ont ainsi été recensés chez la demoiselle, un record ! L'aiglefin, lui, donne de la voix pour synchroniser l'émission des gamètes : il crie pour attirer une femelle, accélère le rythme pour l'exciter et, quand la cadence atteint son paroxysme, la ponte est déclenchée de part et d'autre.

Qu'ils ressemblent à des roucoulements, grognements, croassements ou crépitements, les cris des poissons s'assimilent en réalité à des tam-tams. "Les oiseaux et les baleines font varier les fréquences, c'est le principe du chant, explique Eric Parmentier. Les poissons, dénués de cortex et limités en terme d'apprentissage, jouent sur le mode de la percussion : des successions de sons et de silences". Quand les mammifères marins se placent dans le registre de la mélodie, les poissons sont dans celui de la syncope. Mais leurs séquences binaires sont loin d'être aussi rudimentaires qu'elles en ont l'air. Elles suggèrent une sorte de code-barres sonore, véhiculant des messages élaborés que les scientifiques doivent désormais décoder. Chaque espéce possède donc une signature acoustique particulière, signalant dans l'obscurité des océans la taille de l'émetteur (plus il est gros, plus la fréquence est basse), son sexe (souvent lié à la taille), voire la région où il se trouve : de Madagascar à Tahiti, la demoiselle module ses cris comme autant de dialectes ! Dans le petit cerveau d'un poisson-crapaud, des neurobiologistes de l'université Cornell (États-Unis) ont même identifié deux groupes de neurones contrôlant la durée et la fréquence des cris, qui deriveraient d'un système neuronal primitif apparu très tôt chez un ancêtre commun de certains poissons, oiseaux et mammifères. Autrement dit, les poissons pourraient nous aider à mieux comprendre comment les vertébrés, dont les humains, ont acquis la parole.
La connaissance des cris des poissons s'accompagne d'une multitude d'applications : on imagine déjà repérer au bruit une aire de reproduction pour limiter la pêche dans certaines zones ; un systéme d'alimentation automatique a été élaboré pour économiser la nourriture en aquaculture, ainsi que des répulsifs sonores pour éloigner les poissons des prises d'eau. Pourrait-on également, un jour, identifier un poisson juste à l'oreille, à l'aide d'un simple hydrophone ? Serait-il possible d'évaluer la biodiversité et l'état de santé d'un écosystème à l'aune des sons qui le traversent ? C'est bien l'espoir des scientifiques, même si le cas des océans recèle encore à ce jour bien des mystères.
R.B. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012 |
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