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La Constante Cosmologique

Le Retour de la Constante Cosmologique

A.B. - LA RECHERCHE N°561-562 > Juillet-Août > 2020

La Vraie Fausse Erreur d'Einstein

Inventée en 1916 par le grand physicen pour sauver son modèle d'Univers statique, la constante cosmologique sera vite mise à mort. Avant de ressusciter encore et encore. Et s'il s'agissait de l'énergie sombre ?

De quoi est composé l'Univers ? D'atomes, bien sûr, de lumière aussi, ainsi que de neutrinos, particules évasives produites lors de certaines réactions nucléaires. Mais, à part cela, 96 % de son contenu nous est aujourd'hui inconnu. Pire, la seule chose que l'on sache de ces 96 %, c'est qu'il ne s'agit pas de formes de matière connues sur Terre ! Environ le tiers de cette matière inconnue est formé de la fameuse "matière noire", probablement composée de particules élémentaires que l'on espère découvrir dans les accélérateurs de particules. Quant aux deux autres tiers, ils représentent la plus grande énigme de la cosmologie moderne. La mise en évidence de ce que l'on a alors appelé "constante cosmologique" puis, plus récemment, "énergie sombre", a connu une histoire à rebondissements.
Tout commence en 1916. Einstein recherche un modèle d'Univers décrit par la relativité générale qu'il a élaborée un an plus tôt. Le savant se refuse à envisager que l'Univers puisse être en expansion. Pour lui, comme pour Newton auparavant, l'Univers est statique, ainsi que semblent l'indiquer les observations astronomiques. Mais en bâtissant son modèle d'Univers, Einstein se heurte à un épineux problème : sous l'effet attractif de la gravitation, l'Univers ne peut demeurer statique. En partant d'une configuration de matière initialement immobile, un mouvement d'ensemble de contraction se met en place sous l'effet de la gravité. Pour sauver son modèle statique, Einstein imagine que tout l'espace est empli d'une entité qui exerce, partout, à toute époque et quelles que soient les conditions physiques, un même pouvoir répulsif sur la matière, pouvoir qui peut exactement contrebalancer celui, attractif, de la gravitation. La "constante cosmologique" - ainsi baptisée par Einstein, du fait de ses propriétés est née... Mais très vite, son avenir s'assombrit.
Entre 1917 et 1922, l'astrophysicien britannique Arthur Eddington et son collègue néerlandais Willem de Sitter découvrent que le modèle d'Einstein souffre de graves défauts. Ce dernier prédit que densité de matière et constante cosmologique doivent être dans un rapport fixé. Or une telle configuration est instable : si l'Univers est légèrement plus dense que la valeur du modèle, il entame un mouvement de contraction ; si, au contraire, l'Univers n'est pas tout à fait assez dense, un mouvement d'expansion débute. Cependant, le modèle d'Einstein n'est pas tout à fait exclu par les observations : la nature des "nébuleuses", comme on appelait les galaxies, n'était alors pas connue, pas plus que le fait qu'elles sont situées en dehors de notre galaxie et qu'elles s'éloignent de nous. L'Univers semblait bel et bien statique.
La première mort de la constante cosmologique survient en 1929 avec la découverte majeure d'Edwin Hubble : les nébuleuses sont des objets extragalactiques qui s'éloignent de nous d'autant plus vite qu'ils se trouvent loin. Ce qui signifie que l'Univers est en expansion. Par conséquent, plus besoin de constante cosmologique, qualifiée à regret de "plus grande erreur de (sa) vie" par Einstein. Mais avait-il vraiment tort ? La présence ou l'absence de la constante cosmologique influe sur la dynamique de l'expansion de l'Univers. Ces effets sont très vite étudiés (avant même la découverte de Hubble) par les grands cosmologistes de l'époque, notamment le Russe Alexandre Friedmann et le Belge Georges Lemaître. Tous deux montrent en particulier que, tous paramètres égaux par ailleurs, l'âge de l'Univers est plus grand s'il possède une constante cosmologique que s'il n'en possède pas. Or, au début des années 1940, se développe la physique nucléaire et sont mises en ouvre les premières méthodes de datation radioactive. Elles sont entre autres utilisées pour déterminer l'âge de la Terre. Et là, surprise : la Terre se révèle... plus âgée que l'Univers. Le problème est sérieux, car un objet du cosmos ne saurait être plus âgé que l'Univers lui-même ! Mais les cosmologistes ont la parade : il suffit comme Einstein d'appeler à la rescousse la constante cosmologique. Car sa présence repousse le big bang plus loin dans le passé. Plus tard, on réalise qu'il n'est en réalité pas besoin de faire appel à elle : l'incohérence entre âge de la Terre et âge de l'Univers était simplement due à une erreur dans l'estimation de la constante de Hubble, erreur qui causait une sous-estimation importante de l'âge réel du cosmos. C'est alors la deuxième mort de la constante cosmologique. Elle durera plus de vingt ans, jusqu'à la découverte des quasars, en 1963.

ENFIN MISE EN ÉVIDENCE

Si l'éloignement des quasars (à droite) ne doit finalement rien à la constante cosmologique, la répartition spatiale des galaxies (à gauche) ne peut s'expliquer sans avoir recours à ce paramètre.

Ces objets - noyaux de galaxies au sein desquelles un trou noir géant engloutit des quantités considérables de matière - sont extraordinairement lumineux. Ils sont aussi extrêmement rares dans l'Univers : le plus proche de nous, 3C 273, est situé à près de deux milliards d'années-lumière. Quel rapport avec la constante cosmologique ? En faisant des statistiques sur ces objets, les scientifiques ont cru, dans un premier temps, déceler des irrégularités dans leur répartition : si tous s'éloignent de nous du fait de l'expansion de l'Univers, un nombre anormalement élevé d'entre eux semble animé de la même vitesse de récession. Comment expliquer ce phénomène ? Une possibilité parmi d'autres est de ressusciter la constante cosmologique, qui prévoit que l'Univers peut passer par une période longue où son expansion est presque nulle - période s'apparentant en fait à l'Univers statique d'Einstein. Pour un observateur ultérieur, tous les objets ayant émis leur lumière pendant cette période seront animés de la même vitesse de récession, et seront d'autant plus nombreux que la période d'expansion ralentie aura duré longtemps. Mais, là encore, le soufflé retombe vite, car les progrès observationnels permettent bientôt de détecter une plus grande variété de quasars ; l'anomalie disparaît. La constante cosmologique est à nouveau abandonnée. Elle restera en sommeil une nouvelle fois pendant plus de vingt ans, jusqu'en 1998, date à laquelle deux équipes annoncent presque simultanément l'avoir mise en évidence en observant des supernovae.
Ces explosions d'étoiles en fin de vie se révèlent en effet moins lumineuses que prévu, ce qui serait l'effet de la constante cosmologique (encadré ci-dessous). En quelques mois, l'opinion bascule : tous les cosmologistes sont désormais convaincus de l'existence de la constante. Mais est-on sûr que c'est là la seule explication à ce phénomène ? La réponse est complexe. Par exemple, il a été proposé que l'absorption par des poussières interstellaires diminue l'éclat des objet lointains, imitant l'effet de la constante cosmologique. Une explication cependant peu convaincante : les propriétés de ces poussières devraient être extraordinairement atypiques pour provoquer les effets observés...

LA PREUVE PAR LES SUPERNOVAE
En observant des galaxies lointaines (en haut) où explosent des supernovae (en bas), deux équipes de cosmologistes ont ressuscité, définitivement semble-t-il, la constante cosmologique.

Dans les années 1990, deux équipes internationales, dirigées l'une par Saul Perlmutter, du Lawrence Berkeley National Laboratory, l'autre par Brian P. Schmidt, de l'observatoire du mont Stromlo, en Australie, se sont lancées dans l'observation des supernovae lointaines. Pour les cosmologistes, en effet, ces explosions extraordinairement brillantes d'étoiles sont une bénédiction, car elles leur servent de "chandelles cosmiques". En explosant, ces étoiles de type naine blanche émettent une luminosité uniforme d'un astre à l'autre : deux supernovae situées à la même distance auront toujours le même éclat. Comme leur éclat est bien connu, leur distance est facile à calculer, et comme elles sont très brillantes, les astronomes peuvent les repérer jusqu'à dix milliards d'années-lumière. Quel rapport avec la constante cosmologique ? Dans notre Univers en expansion, les objets lointains voient leur lumière progressivement décalée vers le rouge, signe qu'ils s'éloignent de nous, et ce d'autant plus vite qu'ils sont éloignés : le décalage vers le rouge indique la vitesse de l'astre qui s'éloigne. Or, l'homogénéité de la luminosité des supernovae permet de calculer leur éloignement, tandis que leur décalage spectral indique la vitesse de l'expansion cosmique. Surprise ! Saul Perlmutter et Peter Garnavich découvrent que les supernovae sont emportées dans l'espace beaucoup plus loin que prévu par les modèles ! Pour expliquer le faible éclat de ces phares du cosmos, et donc leur grande distance, la constante cosmologique est ressuscitée, cette fois, semble-t-il. définitivement.

DENSITÉ CRITIQUE ET DENSITÉ DE MATIÈRE

Aujourd'hui, près d'un siècle après l'invention de la constante cosmologique, il est devenu délicat d'en faire l'impasse, car de nombreuses autres observations, réalisées à la même époque, sont difficilement compréhensibles sans son aide. C'est par exemple le cas du fond diffus cosmologique, ce pâle écho lumineux du big bang émis il y a plus de 13 milliards d'années. Son observation révèle deux choses. D'une part, elle indique que la densité de l'Univers est proche de la densité critique, celle qui détermine - en l'absence de constante cosmologique - si l'Univers poursuivra indéfiniment son expansion ou si, au contraire, il se recontractera (infographie). D'autre part, elle permet aussi de mesurer la densité de la matière. Or la valeur de la constante de Hubble dépend de la densité de la matière et de la densité critique. En l'absence de constante cosmologique, c'est le fond diffus cosmologique qui permet de déduire la valeur de la constante de Hubble. Mais alors, celle-ci est si basse qu'elle en devient incompatible avec les valeurs mesurées par ailleurs. Par exemple en observant les céphéides, ces étoiles variables dont la période de variation de luminosité permet de déterminer l'éclat précis et la distance, donc la constante de Hubble, que l'on peut ensuite comparer à celle déduite du fond diffus cosmologique... Bref, si l'on ne veut pas de cette fameuse constante, il faut donc supposer que non seulement les mesures des supernovae sont erronées, mais que c'est aussi le cas de celles du fond diffus cosmologique ou des céphéides.
Mais on peut également démontrer indirectement la présence de la constante cosmologique par l'étude de la répartition spatiale des galaxies. Ces dernières ne peuplent pas uniformément l'Univers : elles ont tendance à s'agglomérer les unes aux autres. Or la façon dont elles s'agglomèrent et la vitesse à laquelle ce processus se produit dépendent de la constante cosmologique. Les observations de la répartition spatiale des galaxies permettent, là encore, de déduire la valeur de la constante de Hubble, et, partant, de la constante cosmologique. Et une fois de plus, le jeu tourne à l'avantage de cette dernière car, sans celle-ci, la valeur de la constante de Hubble que l'on trouve est incompatible avec celle déduite par ailleurs... Enfin, la mesure de l'abondance de matière, réalisée en étudiant les amas de galaxies, révèle également une incompatibilité avec d'autres observations si l'on suppose que la constante cosmologique n'existe pas.
Au final, postuler la non-existence de la constante cosmologique revient à remettre en cause à peu près toutes les observations, et à imaginer que pour chacune, un processus différent à chaque fois nous induit en erreur en donnant l'illusion d'une constante cosmologique. C'est possible, mais cela apparaît improbable : pour paraphraser Einstein, la Nature est subtile, mais elle n'est pas malicieuse...
Malgré les questions sans réponse posées par la constante cosmologique, il reste possible d'en proposer une interprétation : elle correspondrait à "l'énergie du vide" prédite par la physique des particules. Le vide, en physique, c'est ce qui reste quand on a tout enlevé. Or curieusement, il ne reste pas "rien", mais des myriades de particules de matière et d'anti-matière qui surgissent de nulle part et s'annihilent presque immédiatement. Ces propriétés étranges - les fluctuations du vide - sont notamment mises en évidence dans l'étude des radiations émises par les atomes. Les fluctuations du vide existent donc, et ont a priori une énergie que l'on peut calculer, et l'effet de cette énergie du vide sur l'expansion de l'Univers s'avère être exactement le même que celui de la constante cosmologique.
Mais cette hypothèse se heurte à un obstacle de taille, non encore résolu : l'écart entre la valeur attendue de la constante cosmologique et celle observée peut atteindre 10122. Peut-être la constante cosmologique est-elle nulle, mais une autre forme de matière imite-t-elle ses effets. On ne parle alors plus de constante cosmologique, mais plutôt "d'énergie sombre", terme plus générique désormais en vigueur. C'est ainsi que des modèles aux noms étranges "d'énergie fantôme", de "quintessence", de "caméléon", de "gaz de Chaplygin" ont été proposés depuis une dizaine d'années. Confronter les prédictions de ces modèles aux observations afin de déterminer la nature de l'énergie sombre est assurément un des grands défis de la cosmologie de ce début de XXIè siècle. L'histoire de la constante cosmologique n'en est pas à son dernier rebondissement...

A.R. - SCIENCE & VIE H.S. > Mars > 2008
 

   
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