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Communication, odorat, mémoire... Qui l'eût cru ! Les plantes ont le sens de l'ouïe, elles savent se mouvoir et communiquer, elles ont l'esprit de famille et elles ont même de la mémoire ! En un mot : ce sont des êtres "intelligents". Telle est l'étonnante découverte de biologistes, dont les travaux révolutionnent totalement notre regard sur le monde végétal. Mieux, ils le réhabilitent dans l'ordre du vivant. C'était il y a juste trente ans. Alors qu'il est en pleine conversation avec ses étudiants, le téléphone de lack Schultz, biologiste à l'université américaine de Dartmouth, sonne. Au bout du fil, Ian Baldwin, chimiste doctorant d'à peine 25 ans, que Schultz a recruté pour vérifier ce qui, à l'époque, semble une hypothèse folle : l'existence d'une télécommunication chimique entre végétaux. Le résultat grésille dans le combiné : les arbres testés se sont bel et bien transmis un signal d'alerte par voie aérienne. Baldwin, bouleversé, parvient seulement à articuler : "Les peupliers parlent". Schultz se fige. Ainsi commencent les révolutions scientifiques. UNE PANOPLIE DE COMPORTEMENTS : Certains de ces services concernent la communication. Grâce aux bouquets de composés qui s'envolent du feuillage ou des signaux chimiques émis par les racines, les plantes s'envoient des messages à elles-mêmes d'une branche à l'autre, "parlent" à leurs congénères alentour, convoquent les insectes prédateurs de leurs agresseurs. Et ce n'est pas tout. "Elles ont un comportement social, s'enthousiasme Stefano Mancuso. Elles distinguent le soi du non-soi, les membres de leur espèce des autres et rivalisent plus ou moins âprement avec leurs voisines selon leur degré de parenté. En ce sens, on peut même dire qu'elles forment des familles ou des tribus"... Des comportements aussi sophistiqués interrogent. Peut-on parler de "cognition végétale" ? Si l'intelligence se mesure à de telles capacités d'adaptation aux évènements, peut-on comparer leurs capacités intellectuelles à celles de certains animaux ? Et si les plantes sont si intelligentes, où se situe leur cerveau ? Par ailleurs, de telles découvertes neo nous invitent-elles pas à revoir nos classifications, nos pratiques agricoles, nos politiques de conservation des plantes menacées ?
1/ LES ARBRES SAVENT TRÈS BIEN SE MOUVOIR Certes, ils demeurent les racines ancrées dans le sol. Mais, même si cela reste invisible à l'oil nu, les arbres ne cessent de bouger ! Armés d'accélérateurs de particules, et via des techniques d'analyse d'images mises au point pour étudier la mécanique des fluides, les biophysiciens sont désorrnais capables de suivre à l'échelle de la cellule, voire de la molécule, ces mouvements végétaux au fur et à mesure qu'ils se produisent. Et ils découvrent toute la complexité de la dynamique d'un arbre. Les cellules qui constituent son tronc s'allongent et se ramassent en permanence pour corriger sa posture, se servant de la pression qui règne en leur sein comme d'un moteur. En mesurant les dimensions du réseau de cellulose qui structure la paroi des cellules du bois, Bruno Clair, de l'université de Kyoto (Japon), a montré que le pas du réseau (l'espace entre deux cellules) augmente et se réduit en fonction de la pression (voir ci-contre). La paroi joue donc un peu le rôle d'un muscle. "On a beaucoup négligé la motricité des arbres parce qu'on la confondait avec la croissance, précise le chercheur. Les arbres ne poussent pas seulement : ils se meuvent pour s'adopter à leur environnement". 2/ ILS POSSÈDENT LE SENS DE L'ÉQUILIBRE Les biologistes avaient déjà été bluffés en découvrant, dans les années 1990, l'oreille interne des arbres : certaines cellules abritent des grains d'amidon qui, se déplaçant en fonction de la gravité, les informent de leur inclinaison. Bruno Moulia et son équipe de l'Institut national de la recherche agronomique à Clermont-Ferrand ont montré qu'en plus, les arbres perçoivent la forme de leur corps. En étudiant le comportement de onze variétés de végétaux dont la tige était tordue à la base et en modélisant les forces qui s'exercent sur eux, les biophysiciens se sont aperçus que la seule information donnée par la gravité ne peut suffire à ce qu'ils poussent verticalement. "Une pousse tordue à la base ne peut se redresser complètement puisque ses racines la maintiennent penchée, précise le chercheur. Les cellules qui perçoivent la gravité lui envoient donc en permanence le signal qu'il faut corriger sa position". Conséquence, si la plante ne percevait que la gravité, elle devrait osciller constamment sur toute sa hauteur, se débattant pour devenir droite sans jamais y parvenir. Or, les pousses atteignent très vite une position d'équilibre, en concentrant la courbure à leur base (voir figure). Les arbres disposent en effet de capteurs qui mesurent la variation de la pente le long de leur tige : leurs cellules s'influencent de proche en proche le long du rayon de la tige et sont ainsi capables de sentir sa courbure locale. "Nous avons été émerveillés de découvrir cela, relate Bruno Moulia. Au cours de l'évolution, les végétaux ont le moyen de contrôler leur mouvement global avec une perception locale. On ne pensait pas que cela soit possible". 3/ LE TABAC PEUT APPELER À LA RESCOUSSE Attaquées par des insectes, certaines plantes préviennent leurs gardes du corps : elles envoient des messages chimiques au prédateur de leur agresseur. Ian Baldwin est le spécialiste du combat entre le tabac sauvage Nicotiana attenuate et les chenilles. À l'Institut Max-Planck d'écologie chimique, son équipe a montré que les composés HIPV émis par le tabac dopent l'efficacité de chasse de la punaise Geocoris, justement friande de chenilles. Lorsque les gènes codant pour ces HIPV sont supprimés, la plante est deux fois plus parasitée, ce qui divise par deux ses capacités de reproduction. La mettant au même niveau que les plants qui ne sont pas protégés par les punaises. Et Nicotiana attenuate dispose d'autres atouts. Quand des chenilles de Monduca sexta éclosent sur ses feuilles, elle leur fait goûter des trichomes, de fines excroissances chargées de sucres O-acyl. Un piège ! Car aussitôt après l'ingestion, les chenilles émettent une odeur bien précise (voir graphe)... attirant la punaise Geocoris, mais aussi la fourmi Pogonomyrmex, qui va remonter la piste odorante laissée par les déjections des chenilles. 4/ ET IL SAIT SE DÉFENDRE TOUT SEUL On savait que les acacias ou les peupliers, broutés par des ruminants, produisent des tanins qui rendent leur feuillage moins ragoûtant. Mais c'est surtout envers leur ennemi le plus commun, les insectes herbivores, que les plantes révèlent l'étendue de leur science de l'empoisonnement. Après vingt ans de travaux, Ian Baldwin a dénombré près de 950 composés que le tabac sauvage, Nicotiana attenuata, produit en réaction à une agression. Si certains sont des toxiques connus, comme la nicotine, un paralysant musculaire puissant à la fois pour les insectes et les vertébrés, la fonction de la majorité de ces composés est inconnue. Sven Heiling, de l'Institut Max-Planck d'écologie chimique allemand, vient d'en découvrir une nouvelle famille, efficace contre la chenille Monduca sexta, un prédateur devenu tolérant à la nicotine. Il s'agit de diterpénes glycosides, auxquels on ne connaissait aucune toxicité... Pour découvrir leur rôle, les chercheurs ont supprimé le gène qui les produit : ils ont alors observé que les larves attaquant le tabac grossissaient dix fois plus (voir ci-contre). Invisible, cette guerre chimique n'en est pas moins sophisfiquée... 5/ LE TREMBLE EST DOUÉ DE MÉMOIRE Le tremble se souvient d'un coup de vent pendant presque une semaine ! C'est le surprenant constat que vient de faire le biologiste Ludovic Martin, de l'université de Clermont-Ferrand. Trente minutes après que la branche de l'arbre a été pliée, l'expressiun d'un gène, jusqu'alors inactif, se déclenche. Cependant, lorsque la torture se répète chaque jour, ce gène cesse de s'exprirner (voir figure). Et il faut attendre entre cinq et sept jours de repos pour qu'il soit prêt à se déclencher à nouveau. Ce souvenir de la torsion subie permet à un arbre exposé au vent de s'habituer, en quelque sorte, à la sensation. Et la mémoire de Mimosa pudica est encore meilleure. Connue pour replier instantanément ses feuilles lorsqu'elle est touchée, cette plante se replie aussi en hâte lorsque son pot est soulevé brusquement. Or, comme l'a montré une expérience toute simple effectuée à l'université de Florence (Italie), si on la soulève cinq ou six fois d'affilée, ce comportement disparait... bien qu'elle continue à replier ses feuilles en cas de contact. "Le mimosa a appris qu'être soulevé n'est pas dangereux, donc il cesse de se replier", interprête le directeur du laboratoire, Stefano Mancuso. La plante retient cette leçon environ quarante jours. 6/ LE CONCOMBRE ANGULEUX A LE SENS DU TOUCHER Le concombre anguleux Sicyos angulatus n'a pas l'équipement enzymatique nécessaire à la fabrication du bois : s'il s'élève de plus d'une trentaine de centimètres, sa tige ploie et le malheureux se retrouve au ras du sol, confiné dans une lumière médiocre. Il doit donc s'agripper à d'autres plantes pour s'élever. Afin de les trouver et de s'y accrocher, Sicyos a développé des organes d'une sensibilité au toucher fantastique : les vrilles, qui, telles des mains aux longs doigts déployés, tournoient en s'allongeant, cherchant la rencontre avec un support salvateur autour duquel s'enrouler. Daniel Chamovitz, de l'université de Tel Aviv (Israël), rapporte qu'en déposant un fil d'un poids de 0,25 gramme sur la vrille, on provoque son enroulement. En comparaison, un doigt humain ne parvient à détecter un fil identique que lorsque son poids atteint 2 grammes. Gabriele Monshausen, de l'université du Wisconsin à Madison (États-Unis), a identifié des protéines membranaires susceptibles d'expliquer cette sensibilité : à chaque stimulation mécanique (voir schéma), elles libèrent un flux d'ions calcium, détecté par luminescence, qui "informe" la cellule du contact. 7/ LA CUSCUTE A LE SENS DE L'ODORAT Pour la cuscute, c'est une question de survie. Dépourvu de chlorophylle, ce parasite doit trouver une proie dans les soixante-douze heures suivant sa germination, puis s'allonger vers elle jusqu'à y enfouir sa pointe et en sucer la sève. Consuelo de Moraes, biologiste à l'université de l'État de Pennsylvanie, a découvert la technique de chasse de ce "vampire" végétal : Cuscuta pentagona flaire sa proie. La preuve ? Sans victime à sa portée, la tige s'allonge au hasard dans une direction ; mais qu'un plant de tomate se trouve à proximité, et la cuscute l'attaque en une vingtaine d'heures à peine, et ce 9 fois sur 10 (voir schéma). Plus éloquent encore : elle fonce avec la même fougue sur un leurre parfumé à l'extrait de plant de tomate ! Placée à mi-chemin entre un plant de blé et un plant de tomate, la cuscute se dirige toujours vers la juteuse tige de tomate ; mais s'il n'y a que du blé, elle s'en contente. Qui plus est, placée entre un plant de tomate sain et un autre attaqué par des bactéries, elle fond sur la tomate saine, à l'odeur plus appétissante... Combien de composés ce "nez" végétal peut-il détecter ? Jusqu'à quelles concentrations ? Grâce à quels capteurs ? On l'ignore encore... 8/ ET LE MAÏS A LE SENS DE L'OUÏE Cela reste difficile à expliquer, mais les faits sont là : le maïs capte les sons. Monica Gagliano, de l'université d'Australie de l'Ouest, a fait germer des graines de maïs dans un liquide nutritif, avant d'y émettre des sons de différentes longueurs d'onde. Or, autour de la fréquence de 200 Hz, une proportion significative des racines s'inclinait vers la source du son (voir figure). Une telle capacité à détecter une vibration peut se concevoir, les plantes ayant des capteurs mécaniques qui leur confèrent un sens du toucher. Mais à quoi pourrait leur servir l'ouïe ? "Il pourrait s'agir d'un autre mode de communication, plus rapide et moins coûteux en énergie que l'émission de composés organiques", imagine la chercheuse, en soulignant que les arbres émettraient aussi certains sons. Cette propension à "parler", mal étayée, laisse sceptiques la plupart des scientifiques. Mais plusieurs équipes s'intéressent déjà à cette étrange audition végétale. 9/ LES VIEUX PINS FONT PREUVE DE SOLIDARITÉ Pour l'écologue canadienne Suzanne Simard, la chose ne fait aucun doute : les vieux arbres maternent les plus jeunes. La chercheuse et ses étudiants ont enveloppé des branches de pins de l'Oregon - Pseudotsuga menziesii - dans des sacs plastiques, où ils ont injecté du CO2 faiblement radioactif, forçant les feuilles à synthétiser des sucres que l'on peut suivre à la trace. Compteurs Geiger à la main, ils ont constaté qu'une partie de ce sucre marqué était transférée à de nombreux arbres alentour, mais surtout que le transfert le plus important s'opérait entre les vieux arbres les plus volumineux - des "arbres-mères" - et les jeunes poussant à leur pied, le plus souvent issus de leurs graines. La preuve d'une remarquable solidarité entre les générations. Cette nourriture est également transportée par les mycorhizes, des champignons du sous-sol qui relient les racines des arbres. Suzanne Simard a ainsi pu cartographier les connexions d'une parcelle (voir schéma). Et révéler le réseau caché des sols forestiers, cet espace souterrain où, à travers un incroyable embrouillamini de racines entremélées, les vieux arbres jouent le rôle de plaques tournantes, interconnectant tous les individus et distribuant les flux nutritifs, en particulier vers les plus jeunes. 10/ LES PLANTES ONT PLEIN DE MOYENS DE COMMUNIQUER Découverte depuis trente ans, la communication entre plantes par voie aérienne s'est avérée très répandue : des expériences réalisées sur une foule d'espèces d'arbres ou de plantes herbacées démontrent qu'elles s'alertent par l'émission de composés volatils. Mais des signaux souterrains circulent aussi. Yuan Song, du Laboratoire d'agriculture écologique de Guangzhou (Chine), l'a prouvé en 2010 sur la tomate. Lorsqu'elle tombe malade, elle prévient ses voisines via un message transporté par un champignon racinaire une mycorhize. Après avoir planté des tomates deux par deux, le chercheur a soumis les feuilles d'une partenaire de chaque couple à l'attaque d'un ravageur. En présence du champignon racinaire, la tomate saine se met à produire des enzymes de défense, habituellement synthétisées lors des attaques. À l'inverse, si la mycorhize est absente, ou qu'une paroi l'empêche de relier les deux plantes, les défenses de la tomate saine ne sont pas mobilisées : le signal a été bloqué (voir figure). 11/ LE TRÈFLE A L'ESPRIT DE FAMILLE Plusieurs travaux récents le démontrent : de nombreuses plantes sont capables de reconnaitre si leur voisin est de leur famille ou de la même espèce. Ainsi, la botaniste américaine Susan Dudley a planté côte à côte des paires de plantes, soit étrangères, soit issues des graines du même individu. Quarante jours plus tard, elle a pesé les tiges et feuilles d'un côté, les racines de l'autre. Résultats : les plantes poussant à côté de parentes avaient fait moins de racines (voir graphe), préférant investir leur énergie dans le développement de leur appareil reproducteur. Entre sours, on ne se dispute pas pour la nourriture... De telles coopérations peuvent même être renforcées en cas de disette. La chercheuse estonienne Anu Lepik a montré que non seulement le trèfle commun "épargne" les racines de ses voisins apparentés, mais que le phénomène s'accentue lorsque la densité d'individus s'élève. Ce comportement serait toutefois minoritaire : sur 8 espèces herbacées communes testées, seul le trèfle montrait une telle solidarité. Le fraisier sauvage, lui, est sensible envers toute son espèce : comme l'a mis en évidence l'Estonienne Marina Semtchenko, les racines du Fragaria vesca entrant en contact avec celles d'une autre espèce (ici, le lierre sauvage) accélèrent leur croissance, alors qu'un contact avec sa propre espèce n'entraîne aucun changement. Quant au lierre, il évite toutes les racines des voisins, quelle que soit leur espèce. Bref, sous terre, tout le monde tâche plus ou moins de savoir à côté de qui il pousse.
Si le comportement intelligent des plantes est enfin admis, les ressorts de cette intelligence à part posent d'épineuses questions. Enthousiasme et fébrilité. Voilà les deux mots résumant le mieux l'ambiance actuelle dans une biologie végétale électrisée par dix ans de découvertes, lesquelles ont définitivement enterré l'image dépassée de la "plante automate". Résultat : alors qu'en temps ordinaire un scientifique ne s'engage que prudemment derrière une hypothèse hardie, dans une "manip" novatrice ou dans l'invention d'un nouveau mot, les chercheurs semblent ici désinhibés : ils foncent tous azimuts... et souvent avec succès ! UN LANGAGE... MAIS LEQUEL ? Seraient-elles porteuses d'informations complexes destinées aux autres plantes, constituant ainsi un véritable langage ? Ou ont-elles d'autres fonctions - voire aucune ? Le débat n'est pas tranché. La notion de langage végétal a ses sceptiques et ses partisans. Susan Dudley fait partie des premiers, arguant que seuls deux récepteurs de signalisation aérienne entre plantes ont été identifiés au bout de trente ans de recherche - pour l'éthylène et le méthyljasmonate. "Le langage des plantes se ramènerait plutôt, selon moi, à l'utilisation d'une ou deux notes", estime-t-elle. Prudente, elle n'exclut toutefois pas que de nouveaux composés servant à la communication soient découverts, mais pense qu'il faut "commencer par faire l'hypothèse de la simplicité. À l'inverse, Ian Baldwin a constaté que, placés sous le vent de congénères "muets", génétiquement modifiés pour ne plus émettre de composés volatils baptisés GLF, les plants de tabac sauvage réduisent considérablement leur propre activité génétique. "Le silence de leurs voisins les fait taire, c'est donc bien qu'ils entendent, s'enthousiasme le chercheur. Pour l'instant, nous ne savons pas ce qui sert de nez aux plantes, mais je vous parie que nous allons découvrir cela dans la prochaine décennie !" TOUJOURS TROP PEU DE PREUVES : "Neurobiologie végétale" : le mot est lâché. À elle seule, cette expression a déclenché une levée de boucliers. L'activité électrique détectée chez certaines plantes serait trop rudimentaire et chaotique pour justifier l'emploi du mot "neurobiologie". Face à la polémique déclenchée, le tandem italo-slovaque et ses partisans ont finalement baissé pavillon et rebaptisé leur société "Signalisation et comportement des plantes". Tout en restant persuadés que la neurobiologie végétale existe, et qu'elle finira par s'imposer. Quelques années après l'empoignade, le débat persiste concernant l'importance de la communication électrique entre les plantes : jusqu'où permettrait-elle de parler de neurobiologie végétale ? "Le problème, explique Ian Baldwin, qui y croirait plutôt, c'est qu'il est difficile de prouver que l'activité électrique des plantes, qui est indiscutable, transmet des messages - et encore moins d'en comprendre le sens. Contrairement à l'activité chimique, pour laquelle nous pouvons supprimer des gènes, personne n'a trouvé le moyen d'interrompre l'activité électrique d'une plante et de regarder le résultat, sauf à l'endommager gravement". Susan Dudley, elle, reste plus réservée sur l'existence de ces signaux. Elle estime en outre que lancer des termes conflictuels comme "neurobiologie végétale", terme "que certains collègues haïssent", provoque des polémiques inutiles qui empéchent d'avancer.
"L'hypothèse de la racine-cerveau", défendue par Mancuso et Baluska, est que puisque les centres intégrateurs de chaque racine sont tous interconnectés (car toutes les racines convergent), ils fonctionnent en réseau. Même s'ils sont rudimentaires et de petite taille, leur nombre - des millions, chaque racine étant hérissée d'une cohorte de radicelles à peine visibles - leur permet d'agir comme un cerveau décentralisé. Un cerveau dont les propriétés restent à explorer, de même que la nature exacte des signaux qui le parcourent - selon les deux chercheurs, à la fois électriques et hormonaux -, mais qui est capable de "décider" si et quand il faut faire des réserves, devenir toxique, investir dans les racines, se reproduire, etc. La plante bénéficierait ainsi de l'intelligence collective de ses racines, ce qui expliquerait son comportement complexe ; un peu comme une colonie de fourmis parvient à avoir des comportements sophistiqués tandis que chaque fourmi individuelle n'a que des réactions élémentaires. LA PROMESSE D'UN DIALOGUE INÉDIT : Lesquels ont raison ? Les années à venir le diront. "Nous ne sommes sans doute pas loin de pouvoir commencer à produire des applications à partir de ce que nous avons appris des plantes, estime James Cahill, de l'université d'Alberta (Canada). Si nous pouvions aider nos espèces cultivées à se reconnaître et coopérer, tout en se montrant plus agressives avec les mauvaises herbes, par exemple, ou si nous pouvions utiliser nos connaissances sur leurs relations avec les insectes pour résister aux ravageurs, l'agriculture en serait bouleversée". À l'ère du choc entre une humanité toujours plus nombreuse et une biosphère sous stress, les plantes, qui constituent 99 % de la biomasse du vivant, sont le socle de l'habitabilité de notre planète. Surmonter ce choc en engageant un dialogue inédit entre les humains et les plantes, voilà au fond la promesse de cette révolution des sciences du végétal, née il y a 30 ans d'une experience improbable sur quelques pousses de peupliers. Car entre gens intelligents, l'on finit toujours par réussir à se parler.
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