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De la Vie au Cœur de la Terre

Quête des Origines : nos Ancêtres les "Intraterrestres" ?

"Nous ne sommes pas seuls", affirmions-nous en couverture de S&V il y a précisément un an. Car tout porte désormais à penser qu'il doit bien y avoir de la vie ne serait-ce que sur quelques-unes des milliards de milliards de planètes qui peuplent l'Univers.

Soit. Mais comment la repérer à de telles distances ? D'autant que ces autres vies risquent d'être fort différentes de celles que nous connaissons sur Terre. Alors que chercher ? Et où ? Et comment ?
Eh bien voici qu'une vie différente de celle que nous connaissons sur Terre existe bel et bien, et au plus près de nous ; non pas dans de lointaines galaxies mais... sous terre ! Il en aura fallu du temps pour que les scientifiques découvrent sous leurs pieds ce qu'ils cherchaient au loin depuis bien longtemps. À défaut "d'extra-terrestres", les voici aujourd'hui confrontés à des "intra-terrestres" ayant, contre toute attente, trouvé les moyens de prospérer en des endroits que l'on pensait impropres à la vie. Il s'y développe une vie insoupçonnée, assez différente de celles que nous connaissons au contact de l'air ou de l'eau (nous la détaillons dans ce numéro) et qui passionne follement tant les biologistes que les exobiologistes (ces derniers étaient chargés d'imaginer les formes que la vie pourrait prendre ailleurs que sur, et désormais sous, d'autres terres). Déjà, la preuve est faite que, à défaut de figurer un paradis, les profondeurs de la Terre ne sont pas un enfer pour tout le monde. Preuve est également faite qu'ici-bas l'épidémie de vie est totalement généralisée. Comment est-elle apparue ? Une nouvelle hypothèse se fait jour : dans les ténébreuses profondeurs de la Terre.

SCIENCE & VIE > Août > 2013

La Quête des Origines Relancée

Comment la vie est-elle apparue sur notre planète ? L'énigme reste jusqu'ici sans vraie réponse. Or, voici qu'un incroyable scénario se dessine : la vie a pu se constituer dans les profondeurs de la Terre ! Parce que des géobiologistes n'en finissent plus de découvrir, nichés dans le manteau terrestre, des organismes vivants : bactéries, virus... Et ces "intraterrestres" semblent nés de la roche même, au terme de réactions chimiques souterraines. De quoi bouleverser les origines de la vie, voire la quête d'une vie extraterrestre ! Il va falloir s'y faire : ce que cache le cour de la Terre ne serait pas l'enfer, mais une source de vie.

Depuis quelques années, on ne cesse de découvrir des organismes dans les entrailles de la Terre...
C'est un nouveau royaume de la vie qui, peu à peu, se dévoile sous nos pieds. Car chaque fois que les biologistes et les géologues ont profondément creusé dans le sous-sol de notre planète, ils ont été stupéfaits de constater que des microbes étaient déjà là, cachés dans les anfractuosités de la roche ou enfouis à des centaines de mètres dans les sédiments sous-marins. Certes, leur densité est de mille à un million de fois moins importante qu'en surface. Mais, répartis sur des kilomètres de profondeur, ils forment un écosystème immense, longtemps insoupçonné. Un véritable empire intraterrestre.

(<-) ICI UN MICROBE DES PROFONDEURS... Cet organisme unicellulaire a été photographié en 2010, à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans une roche cristalline, au microscope électronique.

... LÀ DES COLONIES DE BACTÉRIES INTRATERRESTRES (->) : Ces archées regroupées autour d'une source de "nourriture" ont été aperçues dans les roches du sous-sol profond en 2010 grâce à un marquage par fluorescence.

... Et ces "intraterrestres" bouleverse notre vision du vivant, jusqu'à son origine.
Bactéries, archées, virus, champignons, protistes et même quelques animaux pluricellulaires, toute la gamme du vivant semble avoir trouvé à s'épanouir dans l'environnement a priori hostile du monde souterrain. Capables de "respirer" du soufre, du fer, de l'uranium et bien d'autres éléments, dotés de métabolismes radicalement différents de ceux des espèces terrestres, ils obligent les biologistes à repenser leur tableau du vivant. Au point de remettre en question le scénario de nos origines. Et si ces intra-terrestres avaient été là les premiers ? Et si tout avait commencé dans la roche ?

(<-) LE DÉBUT D'UNE CHAÎNE ALIMENTAIRE : Ces archées, repérées en 2002 dans des fissures granitiques à 400 m de profondeur, rejettent du méthane, qui sert de nutriment à d'autres microbes.

UNE VIE SANS OXYGÈNE (->) : Ce loricifère découvert en 2010 dans les sédiments méditerranéens vît en se passant d'oxygène. Un cas unique pour un être pluricellulaire, mais une propriété commune aux microbes des profondeurs.

Drôle d'endroit pour un berceau et à plus forte raison celui de la vie, que l'on se figure si fragile. Imaginez des pores et des fissures si ténus que l'œil ne peut les distinguer, au cour d'une roche compacte, enfouie à des centaines de mètres sous les fonds océaniques. L'obscurité y est totale, la pression énorme, les températures élevées - et, bien entendu, nulle trace d'oxygène dans cet univers infernal lentement parcouru de fluides chargés de métaux dissous... On est loin de la "petite mare tiède" dans laquelle Darwin avait un jour, dans une lettre à un confrère, imaginé l'apparition du vivant ! Ou de la "soupe primitive" remise au goût du jour, il y a exactement 60 ans, par la fameuse expérience de Stanley Miller ce biologiste américain qui a réussi à faire émerger des molécules organiques dans des fioles imitant l'atmosphère de la Terre primitive.
Et pourtant, la question est de plus en plus sérieusement posée par des biologistes et des géologues : et si tout avait commencé dans les grandes profondeurs de la Terre ? Une idée il y a encore quelques années totalement impensable. Car la vie sur Terre ne pouvait être que terrestre - c'en était presque un pléonasme. Alors comment imaginer qu'il puisse exister quelque chose de vivant en dehors de cette fine pellicule constituée par la surface de notre planète et par le volume des océans, augmentée de quelques centaines de mètres au-dessus du sol et de quelques dizaines en dessous, histoire de ne pas oublier oiseaux et vers de terre ? La seule frontière vers laquelle se tourner alors ne semblait être que l'espace extérieur... Sauf que les premières rencontres d'une vie en dehors de cette pellicule écologique ne furent pas de type extraterrestre, mais... intraterrestre. Des microbes d'abord, découverts en 1987 à 500 m de profondeur sous la fleuve Savannah, dans le sud-est des États-Unis. Puis ce furent des bactéries, exhumées depuis les sédiments profonds du Pacifique dans les années 1990... "Si l'on creuse un trou d'un ou deux km de profondeur, à peu près n'importe où sur la Terre, confirme Isabelle Daniel, de l'université Claude-Bernard, à Lyon, on trouvera une commnauté microbienne, clairsemée mais bien présente".

LE SCÉNARIO DE LA NAISSANCE DE LA VIE "SUR" TERRE MIS À MAL.

En effet, plus les géologues ont creusé profondément dans le sous-sol rocheux de notre planète, plus les biologistes ont été stupéfaits par la diversité des micro-organismes qu'ils découvraient. Des micro-organismes qui ont réussi à coloniser ces contrées d'outre-tombe en s'abritant dans les pores et interstices de la roche, et en s'alimentant souvent de l'énergie chimique résultant du contact entre les minéraux et l'eau. Au point que l'idée a commencé à émerger : et si les intraterrestres étaient apparus en premier ? Et si tout avait commencé, non pas dans une soupe, mais dans de la roche ? Et si la vie n'était pas née "sur" Terre, mais "dans" la Terre ?
Renversant, ce scénario repose pourtant sur un faisceau croissant de résultats, issus d'expérimentations en laboratoires et d'observations. Notamment celles qu'accumulent Bénédicte Ménez et ses collégues de biosphère primitive et actuelle, à l'Institut de physique du globe de Paris. Ces géobiologistes, puisque c'est le nom de la nouvelle discipline scientifique qu'ils pratiquent, au croisement du vivant et du minéral, ont entrepris de réaliser ce qu'avait fait Stanley Miller en son temps pour la soupe primitive : démontrer que les conditions environnementales dantesques de ces grandes profondeurs sont propices à l'apparition de molécules complexes nécessaires à la vie (acides aminés, sucres, bases azotées...). Et les résultats qu'ils sont en train d'obtenir sont plus que prometteurs. Ils ont analysé des échantillons de roches de la croûte océanique, qui ont été collectés en profondeur, souvent après avoir foré plusieurs centaines de mètres de manteau de plus en plus chaud. À la surface des minéraux ou dans les fines veinules rocheuses qui strient ces blocs pierreux, ils ont alors découvert une extraordinaire diversité de molécules organiques.
Grâce aux informations livrées par des analyses ultramodernes (spectroscopie Raman, diverses techniques de synchrotron, microscopie électronique à balayage), les chercheurs sont parvenus à montrer que l'origine de ces molécules ne semble pas toujours être biologique, mais minérale, et que ces sécrétions rocheuses pourraient même constituer des témoins de réactions chimiques capables de générer des composés organiques complexes dans les profondeurs de la Terre. Si leurs analyses sont encore loin d'être terminées, les premiers résultats indiquent que les roches du manteau terrestre, placées dans certaines conditions, "sécrètent" bel et bien les molécules de la vie.
L'idée a le mérite de renouveler le grand débat de l'origine. Ou plus précisément de le prolonger. Premier scénario historiquement proposé, celui de la soupe primitive pointait en effet la surface liquide de la Terre, en contact avec l'atmosphère. Le problème est que "cette soupe est trop claire pour être bonne", pour reprendre le mot du biologiste allemand Gunter Wachtershauser. Certes, on sait désormais qu'il est possible de former des molécules biologiques élémentaires dans les conditions de la Terre primitive et de les faire se développer dans l'océan. On sait aussi qu'il est possible que de telles molécules soient tombées du ciel avec les météorites. Mais ensuite ? Trop diluées, disent les détracteurs de la "soupe", ces molécules ont toutes les chances de ne jamais se rencontrer pour amorcer la chimie complexe et intense du vivant. Le fait est que les biologistes ont jusqu'à présent échoué à faire émerger une machinerie cellulaire avec ces molécules en suspension - fussent-elles nombreuses et variées. Ils n'ont pas réussi à mettre en valeur une chaine d'événements convaincante menant des molécules prébiotiques jusqu'à des cellules vivantes. D'autres pistes sont dès lors apparues. En particulier celle des sources hydrothermales océaniques, situées dans l'obscurité des grands fonds marins, où le magma qui sort de la roche crée des conditions extrêmes proches de celles qui ont existé sur la Terre primitive, et où, pourtant, toutes sortes d'organismes prospèrent. Le scénario né de ces découvertes met en avant l'importance des surfaces minérales riches en fer et en soufre ; mais on lui a souvent opposé l'acidité et la température du milieu - l'eau qui sort du sous-sol, chauffée par la proximité du magma, dépasse couramment les 300°C.
D'où l'intérêt suscité par une nouvelle forme d'hydrothermalisme, découverte en 2005 en plein Atlantique, sur un site baptisé Lost City : dans ces zones sous-marines, le sous-sol éjecte une eau salée et alcaline, chargée en métaux, dont la température ne dépasse pas 90°C. Autrement dit, un milieu compatible avec la vie. De quoi imaginer un nouveau berceau pour le vivant : les alvéoles de ces cheminées immergées, dans la zone de contact entre l'eau de mer et celle qui vient des profondeurs de la Terre. Pour les tenants d'une origine intraterrestre, cette dernière piste est la bonne. Mais il faut encore creuser un peu pour pénétrer à l'intérieur du plancher océanique qui libère ce fluide singulier. Et atteindre ce type de roche que Bénédicte Ménez et ses collègues géobiologistes ont précisément analysé dans leur laboratoire.
La réaction chimique associée à cet hydrothermalisme sous-marin est connue de très longue date. Baptisée "serpentinisation" - à cause de l'aspect vert et écailleux, semblable à une peau de reptile, de la roche à laquelle cette réaction donne naissance - elle apparaît depuis peu sous les feux de la rampe. "Il y a une décennie, la serpentinisation était vue comme une réaction d'altération complexe et peu attrayante, mais son potentiel est en fait incroyable, car elle produit en masse de l'hydrogène, souligne Bénédicte Ménez. Elle fait depuis quelques années l'objet d'un véritable engouement, avec des publications, des colloques internationaux regroupant des centaines de checheurs"... C'est que, pour les tenants de l'origine intraterrestre, la serpentinisation pourrait bien, tout simplement, produire l'énergie et les ingrédients nécessaires à la vie.

LÀ OÙ L'EAU DE MER RENCONTRE LE MANTEAU OCÉANIQUE

Cette réaction essentielle se produit lorsqu'entrent en contact les roches du manteau océanique, en principe enfouies sous plusieurs kilomètres de croûte et l'eau de mer. Les effets qui résultent de ce contact sont spectaculaires. D'abord, la serpentinisation génère un important dégagement de chaleur : 1 kg de roche mis au contact de l'eau dégage 50 joules, une quantité d'énergie suffisante pour augmenter de 50°C la température d'un litre d'eau. Ensuite, elle provoque un gonflement impressionnant : à mesune qu'elle s'hydrate, la roche se craquelle et accroît son volume de 30 %, ce qui engendre de multiples fractures. Des fractures dans lesquelles l'eau de mer va pénétrer toujours plus profondément et circuler, transportant et échangeant toutes sortes d'éléments chimiques avec la roche, avant de ressortir dans les sources hydrothermales - entre 2 et 3 % de l'eau de l'océan seraient ainsi en permanence en mouvement dans ces interstices de la planète.
Enfin, son dernier effet important est une considérable production d'hydrogène. "Or, l'hydrogène moléculaire est extraordinairement capable de réduire le CO2 qui circule dans ces environnements", rappelle Bénédicte Ménez. Et du CO2, l'eau de mer en contient, ainsi que les gaz qui remontent des profondeurs du manteau : de quoi former du méthane et tout un cortège de molécules organiques ! Si on savait la chose théoriquement possible, la découverte toute récente par Bénédicte Ménez de molécules organiques dans la roche profonde en apporte aujourd'hui la preuve pratique.
Evidemment, montrer qu'elle "sécrète" des molécules organiques ne fait pas encore de la serpentinisation le carburant originel de la vie. Purificacion Lépez-Garcia, chercheuse au Laboratoire génétique et écologie évolutive de l'université d'Orsay, recommande la prudence en la matière : "Dans les années 1950, on a pu voir la synthèse de molécules organiques à partir de matière minérale comme un événement important. Mais aujourd'hui, on a trouvé de la matière organique dans de très nombreux environnements, jusqu'aux comètes et aux météorites ! Pour parler d'origine de la vie, il faut parvenir à produire un scénario chimique détaillé, ce qui est plus difficile que de trouver des molécules carbonées". Certes, produire un scénario complet de l'origine intraterrestre de la vie est encore difficile, ne serait-ce que parce que cet univers commence tout juste à être exploré : il y a seulement 10 ans, on croyait encore cette lithosphère océanique stérile ! Et à ce jour, seule une poignée de sites de forage a permis d'y accéder directement... Autant dire que son exploration, complexe et coûteuse, en est à ses balbutiements.

DE QUOI ÉLECTRISER LES CHERCHEURS

Reste que beaucoup des "ingrédients" nécessaires à la vie sont soit avérés dans cette subsurface, soit au moins compatibles avec les conditions qui y règnent... De quoi électriser plus d'un chercheur. Ainsi la matière organique est-elle là. L'eau liquide qui circule dans la roche également. Les métaux, dont l'importance est parfois négligée pour le vivant, y abondent, et pourraient même avoir été des catalyseurs importants dans ces réactions, particulièrement le fer, le nickel, le chrome, le cobalt... L'énergie chimique enfin, on l'a vu, ne manque pas. Cela fait déjà beaucoup. Mais pour naitre, la vie a encore besoin de deux éléments décisifs : d'abord d'une compartimentation (par exemple une membrane), car un être vivant, même primitif, est nécessairement le siège de réactions chimiques nombreuses et rapides. S'il n'y a pas une enveloppe autour de cette biochimie naissante, elle finit par s'arrêter quand les molécules ne sont plus en contact. Il faut ensuite, c'est le rôle tenu par l'ADN dans les organismes modernes, des molécules capables de porter l'information et de la transmettre.
Les roches résolvent élégamment le problème de la companimentation. "Nous voyons parfaitement, au microscope électronique, que ces environnements contiennent de nombreux pores, en fait des cavités de dissolution, dont les dimensions sont de l'ordre de quelques micromètres, proches de celles d'une cellule", souligne Bénédicte Ménez. Marie-Christine Maurel, de l'université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, une des principales chercheuses françaises dans le domaine de la quête des origines, renchérit : "Des structures de ce type pourraient très bien former des sortes de récipients où certains composés se concentreraient, où de l'information serait stockée et où, peu à peu, une 'membrane' se mettrait en place, avant que de ces compartiments ne s'échappent, à terme, les premières cellules"...

UNE ÉBAUCHE DE SYSTÈME GÉNÉTIQUE

De son côté, Purificacion Lopez-Garcia note que nombre de molécules organiques susceptibles d'être synthétisées par la chimie particulière de cet environnement minéral sont "amphiphiles", c'est-à-dire dotées d'une extrémité qui fuit l'eau et d'une autre qui l'attire. Un tapis de molécules de ce type peut très bien se détacher de la surface minérale où il a été formé, note-t-elle, et se 'refermer' en une vésicule, simplement sous des forces qui lui font fuir l'eau. "Evidemment, une telle vésicule ne serait pas encore une cellule ; mais en fonction de son contenu et des constituants de sa membrane, elle pourrait, à terme, le devenir... Va pour la compartimentation donc, mais quid de l'information génétique ? Une telle "protocellule" pourrait-elle en contenir ? Là encore, la chose n'aurait rien d'impossible même si l'hypothèse reste spéculative puisque, pour l'instant, on ne dispose pas de suffisamment de preuves directes dans cet environnement si difficile d'accès. Le matériel génétique à l'origine de la vie à en effet toutes les chances d'être de l'ARN, une molécule à la fois porteuse d'information et capable d'accélérer des réactions chimiques. Or, toutes sortes de recherches ont déjà été menées pour comprendre comment il pourrait être apparu.
"L'ARN, rappelle Marie-Christine Maurel, est fait de quatre bases azotées, des molécules assez communes, que l'on trouve par exemple dans les météorites, et qui sont assez faciles à synthétiser en laboratoire. Ces bases sont fixées sur un squelette formé à patir d'un sucre, qui peut être obtenu à partir d'une molécule organique simple. Seulement, le faible rendement de cette réaction, dite de formose, posait problème. Mais Steve Banner, un chercheur américain, s'est aperçu en 2008 que les sels de borate amélioraient nettement ce rendement, ce qui a ouvert une nouvelle piste". Car certaines roches profondes de la Terre primitive semblent justement avoir été riches en bore : dans un article de synthèse récent, titré "La serpentinite et l'aube de la vie", une équipe de l'université Stanford soulignait que cet élément avait été abondant précisément à proximité des plus anciennes serpentinites connues, celles du site groenlandais d'Isua, de 3,8 milliards d'années... soit exactement la période à laquelle, selon de nombreux spécialistes, la vie est apparue. Mais cet ARN résisterait-il aux conditions hostiles de la subsurface ? Marie-Christine Maurel pense que oui : "Placée dans des conditions adéquates, c'est une molécule très robuste. Nous avons ainsi montré que dans un milieu suffisamment salin, ce qui est le cas des fluides qui circulent sous la croûte terrestre, l'ARN peut résister à des températures d'au moins 100°C et à des pressions élevées. Grâce à cette impressionnante série de résultats, on voit donc s'ébaucher une nouvelle voie possible de formation des premières cellules vivantes rudimentaires, le scénario d'une origine intraterrestre de la vie. Exploitant l'énergie et les réactifs générés par la serpentinisation des roches du manteau, des molécules organiques variées pourraient se former, en étroite connexion avec les minéraux de la roche, qui peuvent servir de catalyseurs, autrement dit d'accélérateurs chimiques. Tout ceci se déroulerait en profondeur, à l'abri du bombardernent de météorites et du volcanisme qui, sur la Terre primitive, bouleversent périodiquement la surface et la rendent inhospitalière. Concentrées et abritées dans les pores et les cavités de la roche, ces molécules donneraient naissance à des séries de réactions complexes et à l'ébauche de systèmes génétiques. Enfin, les premières protocellules ainsi formées pourraient s'échapper dans le flux hydrothermal et gagner de nouvelles zones souterraines à coloniser, voire, à terme, l'océan.

IL N'EXISTE PAS DE PREUVE ABSOLUE

Ce scénario est encore loin d'être majoritaire, dans une communauté scientifique scindée en écoles parfois rigides pour tout ce qui concerne le lieu d'origine de la vie. Reste qu'il mobilise déjà les spécialistes de la recherche extraterrestre (voire article suivant). "Ce qui nous faut, pour départager les théories en présence, estime Nick Lane, partisan de l'origine hydrothermale, c'est produire un peu moins de raisonnements et un peu plus de données, notamment en développant l'expérimentation". Dans son laboratoire de l'University College London, ce biochimiste anglais a ainsi construit une cheminée hydrothermale autour de laquelle il fait varier les conditions, en s'efforçant de faire apparaître des protocellules... pour l'instant sans succès. De leur côté, d'autres chercheurs, dont l'équipe de Bénédicte Ménez, travaillent à caractériser toujours plus finement les molécules qui apparaissent spontanément en conditions réelles dans les profondeurs de la roche, à comprendre de quels minéraux ou catalyseurs métalliques elles dépendent, autrement dit à accumuler les données qui permettront, un jour peut-être, de bâtir le scénario chimique précis qui pour l'instant manque encore. En sachant qu'en matière d'origine de la vie, il est inutile d'attendre des preuves absolues : "Ce que l'on peut espérer de mieux est un récit convaincant", soulignait récemment dans la revue Nature William Martin, de l'Institut de botanique de Dusseldorf. C'est ce que rappelle aussi Martin Nowak, professeur à Harvard : "La vie finit par dévorer l'échafaudage qui lui a donné naissance - elle détruit la pré-vie". Et donc les preuves qui permettraient de trancher. En attendant ces nouvelles données, puis un vrai modèle d'apparition souterraine de la vie, une chose, en revanche, est certaine : c'est dans les profondeurs de la subsurface que le vivant disparaîtra en dernier. Et ce quel que soit le scénario envisagé pour l'inéluctable fin, un jour, de la vie terrestre : impact d'astéroïde, stérilisation par les particules cosmiques, "cuisson" par un Soleil toujours plus chaud... Car loin sous la surface ravagée de notre planète, des écosystèmes, abrités par la tiédeur des entrailles planétaires, continueront pendant encore des millions d'années leur aveugle, immémoriale et indifférente existence, avant de refermer le cycle de la vie sur Terre, au cour même des roches où il a peut-être commencé.

25 ANS DE DÉCOUVERTES DANS LE MANTEAU DE LA TERRE
Les premières découvertes incontestables d'une vie intraterrestre datent de 1987
. Cette année-là, les autorités américaines, à la recherche d'un site de stockage de leurs déchets nucléaires, financent une équipe de microbiologistes pour étudier des forages profonds de 500 m sous le fleuve Savannah. À la stupéfaction générale, loin d'être stérile, ce sous-sol abrite une profusion de microbes. La recherche de la vie intraterrestre est lancée : des micro-biologistes investissent alors, un peu partout sur la planète, des puits de mines - accès privilégiés aux entrailles de la croûte continentale. Et dès la fin des années 1990, l'omniprésence de bactéries y est avérée : on en trouve même à plus de 3,9 km de la surface, dans la mine d'or sud-africaine de TauTona, la plus profonde du monde...
Les géobiologistes se tournent alors vers l'océan, qui représente 70 % de la surface du globe et dont ils explorent les sédiments. Cinq forages effectués dans le Pacifique, révèlent une surabondance de vie : à plus de 500 m de profondeur, chaque centimètre cube contient plus d'un million de microbes ! Les roches sous-marines cristallines (basaltes, gabbros et péridotites) constituent ensuite un nouveau front, dont l'exploration commence à peine. Un projet international, le Census of Deep Life (Recensement de la vie profonde) est en train de s'organiser pour répertorier, à l'aide notamment des outils les plus pointus de la biologie moléculaire, qui, au juste, habite dans ce monde souterrain a priori hostile. Mais prélever de la matière dans cet environnement est en soi un défi, accompli dans le cadre du programme de forage international IODP. À partir d'un navire spécial équipé d'un derrick stabilisé par 6 hélices et positionné au millimètre par GPS, il faut traverser la couche d'eau, puis plusieurs centaines de mètres de boues sédimentaires compactées par la pression, enfin de la roche volcanique solide de plus en plus chaude.
Des Organismes Zombies : Les premiers intraterrestres découverts sont pour le moins mystérieux. Leur métabolisme semble d'une stupéfiante lenteur : les microbes "normaux", qui peuplent la surface de la Terre, incorporent en moyenne de l'ordre d'un centième de leur poids par cellule et par heure ; ceux des sédiments profonds, cent mille fois moins. À ce rythme, une cellule double sa masse tous les mille ans environ ! Cette longévité est une propriété si énigmatique de la biosphère profonde qu'elle est difficile à concilier avec notre compréhension actuelle de la vie microbienne", reconnaît Bo Barker Jorgensen, de l'université d'Aarhus (Danemark), qui fait l'hypothèse que ces cellules, en réalité, ne se divisent plus du tout. En l'absence de prédateurs, elles n'auraient en effet aucun intérêt à se multiplier, et il serait même peut-être biologiquement plus rationnel pour elles de consacrer leur énergie à s'auto-entretenir. Certains chercheurs parlent ainsi d'organismes zombies" pour décrire ces microbes ni tout à fait morts, ni tout à fait vivants. Car certains intraterrestres semblent pouvoir renaître : en 2009, le Japonais Yuki Morono a exposé des cellules issues d'un sédiment âgé de 450.000 ans, prélevé à plus de 200 m sous le fond marin, à un flux de carbone et d'azote marqué. Après deux ans, il a constaté une augmentation notable de ces éléments marqués à l'intérieur des cellules, comme si elles étaient ramenées à la vie par le flux de nutriments ! Autre direction de recherche passionnante : cette biosphère enfouie pourrait avoir une influence profonde sur la composition de l'océan et de l'atmosphère. Les échanges seraient importants. Pour Bénédicte Ménez, de l'institut de physique du globe de Paris, "dans ces roches, il y a un stock de carbone très important, sans doute comparable à celui de la végétation terrestre, qui n'est pas isolé de la surface. Et il n'est pas pris en compte par aucun des modèles du cycle du carbone". Enifin les biologistes commencent à s'intéresser aux virus intraterrestres. En 2011, un groupe de chercheurs de l'université de Washington notait le taux élevé d'infection virale des bactéries de la subsurface, et "le taux élevé de gènes favorisant le transfert de gènes et l'adaptation" parmi leurs virus. Comme si ces derniers "facilitaient" l'adaptation des bactéries aux conditions souterraines...

Y.C et M.F. - SCIENCE & VIE > Août > 2013

Quête de la vie Extraterrestre Relancée

Si la vie s'est formée au cour de la Terre, pourquoi n'en serait-il pas de même sur Mars, Titan ou Encelade ? Les exobiologistes y croient. Reste à forer sur une autre planète.

Elle pourrait donc être là sous nos yeux et nous ne l'aurions pas vue cachée à l'intérieur des planètes. Nichée dans des roches extraterrestres. Si petite et discrète qu'elle résisterait depuis une centaine d'années aux assauts des explorateurs terriens, qui n'avaient pas l'idée de la chercher au bon endroit...
La prise the conscience n'a pas tardé à traverser les disciplines. De la récente découverte d'organismes vivant dans les entrailles de la Terre au fantasme d'une vie grouillant sous la surface désolée d'une planète, il n'y avait qu'un pas... À peine les géobiologistes se sont-ils aperçus que loin d'être une fournaise inhospitalière, la croûte terrestre pouvait au contraire être vue comme un doux cocon plein de vie, que les exobiologistes s'appropriaient leurs conclusions. "Le travail considérable qui a été mené sur la biosphère de la sub-surface terrestre a montré de manière convaincante qu'il y règne une vie étendue et permanente. Désormais, ces écosystèmes sont des modèles pour Mars, Europe et Encelade et Titan", confirme Chris McKay, astrophysicien à la Nasa. "La panoplie du type d'environnements dans lesquels on peut espérer trouver une vie s'est considérablement élargie, renchérit l'exobiologiste Frances Westall, à l'université d'Orléans. Chacun de ces nouveaux extrêmophiles a augmenté la pression, la température, l'acidité à laquelle on peut espérer voir de la vie. À mesure que les géobiologistes progressent, fouinant toujours plus profondément les entrailles de la planète, c'est donc la "zone d'habitabilité" d'une éventuelle vie non terrestre qui ne cesse de s'agrandir, augmentant d'autant la probabilité que celle-ci puisse exister. Car c'est désormais un fait : l'éden de la planète bleue n'est pas le seul abri possible. Et la première à avoir de ce changement de perspective est la planète rouge.

ALLER CHERCHER SOUS LA SURFACE

Les exobiologistes qui avaient perdu une part de leur enthousiasme en 2005, lorsque la sonde Mars Express exclut la présence de nappes aquifères, peuvent désormais s'appuyer sur l'existence des intraterrestres pour imaginer des organismes vivant auprès d'infiltrations d'eau invisibles sur les images radar. "Sur Mars, ces recherches résonnent très fort, confirme François Forget, spécialiste de la planète rouge au laboratoire de météorologie dynamique à Paris. Aujourd'hui, quand on réfléchit à une forme de vie possible, on pense tout de suite à cela". Oui, sous la poussière désespérément sèche de Mars, pourrait se cacher une vie. Oui, sous la couche de glace épaisse de 70 km de la petite lune Encelade qui gravite autour de Saturne pourraient nicher des colonies vivantes. Oui, sous les lacs d'hydrocarbures et l'atmosphère glaciale de son énorme voisine, Titan, pourraient s'être réfugiés des organismes exotiques. Oui, la moindre fracture humide dans les entrailles d'Europe pourrait accueillir une exobiologie. L'océan d'eau salée enfoui quelques kilomètres sous la surface qui a rendu célèbre cette lune de Jupiter, n'est finalement pas le seul refuge du système solaire... jusqu'à même imaginer que des exoplanètes lointaines, dépourvues d'eau liquide en surface et donc situées hors de cette "zone d'habitabilité" sur laquelle les astronomes se basent pour évaluer la probabilité d'une vie extraterrestre, soient en fait accueillantes.
Mais il y a un hic : en même temps que les astronomes se persuadent qu'une vie souterraine pourrait être généralisée, ils s'aperçoivent qu'elle risque de rester à jamais inaccessible. Car ces intra-planétaires, s'ils existent, semblent avoir le chic pour se faire discrets. Les premières recherches effectuées sur le sujet montrent en effet qu'il est peu probable qu'ils puissant avoir un impact sur la géophysique globale d'une planète. "Or, c'est le seul moyen que l'on a de pouvoir les détecter à distance, rappelle Franck Selsis, à l'Observatoire de Bordeaux. On ne peut espérer voir une vie lointaine que via les gaz qu'elle émet dans une atmosphère". Ainsi, sur Terre, la photosynthèse a totalement remodelé la composition de l'atmosphère, l'enrichissant massivement en oxygène en quelques milliers d'années seulement, et offrant par-là une signature univoque d'activité biologique visible à des années-lumière. Seulement les intraterrestres, eux, vivent au ralenti : leur taux de respiration est extraordinairement bas ; il leur faut des centaines de milliers d'années pour se reproduire ; parfois même des millions d'années pour se diviser. Ils émettent donc peu de gaz, peu de biomasse... rien qui puisse traduire leur présence.

OBJECTIF : LE FORAGE PROFOND

Heureusement, en y regardant de très près, tout espoir n'est pas écarté : la sonde ExoMars Trace Orbiter, qui devrait s'envoler en 2016, a pour objectif de traquer les infimes dégagements gazeux qui pourraient être attribués à une biologie souterraine, tels certains isotopes de carbone dans le méthane, "une mission qui a été tivée par les travaux menés sur la vie sub-terrestre", précise François Forget. Mais pour beaucoup de spécialistes, il n'y a pas le choix : pour trouver des intra-planétaires, il faudra creuser. C'est-à-dire s'atteler à la mission la plus délicate qui soit dans l'espace. Le robot Curiosity de la Nasa vient seulement, il y a quelques mois, d'effectuer le premier forage de l'histoire de l'exploration spatiale, perçant la roche martienne jusqu'à une profondeur... de 64 millimètres. Un autre forage est prévu dans le cadre de la mission européenne ExoMars... mais il ne dépassera pas 2 m ! Pour ne serait-ce qu'imaginer atteindre les centaines de mètres qui, sur Terre, ont permis de révéler les intraterrestres, il faudra envisager le retour de l'homme dans l'espace. "Le forage profond est la seule raison scientifique qui justifierait l'envoi d'astronautes sur Mars", précise François Forget. À moins que d'ici là, les puissants geysers de glace d'Encelade propulsent dans l'espace quelques intra-planétaires, et qu'ils soient attrapés au vol par une sonde capable de les analyser. Qui sait.

QUID DE LA VIE DANS LES ASTÉROÏDES ?

Les hypothèses les plus improbables au sujet des astéroïdes se sont révélées fondées. Les minéralogistes ont détecté dans les météorites des purines, des pyrimidines et des dizaines d'autres molécules organiques complexes... jusqu'à se persuader que ce seraient eux, ces cailloux informes errant dans le système solaire, qui auraient offert à la Terre les briques de base dont elle avait besoin pour engendrer les premières cellules. Par spectroscopie, les astrophysiciens ont détecté dans les astres gravitant entre Mars et Jupiter de l'eau... jusqu'à considérer que ce sont ces cailloux qui, pleuvant sur la Terre quelque 500 millions d'années après sa naissance, l'ont métamorphosée en planète bleue. Testant l'endurance d'échantillons microbiens dans les conditions drastiques de l'espace, les exobiologistes ont conclu qu'ils pouvaient résister des millions d'années... jusqu'à imaginer dans le cadre d'une théorie nommée panspermie que ces cailloux pourraient avoir joué les médiateurs, transférant la vie sous une forme déjà complète depuis une autre planète jusqu'à la Terre. Et aujourd'hui, la découverte des intraterrestres pousse le questionnement encore plus loin : une vie pourrait-elle être apparue au sein même de ces cailloux errants dans le système solaire ? S'il paraît difficile d'y imaginer une source d'énergie semblable à celle qui anime les tréfonds terrestres, il est encore impossible de répondre... Car nul chercheur ne s'est encore emparé de cette nouvelle hypothèse improbable.

M.F. - SCIENCE & VIE > Août > 2013
 

   
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