Incroyables Neurones

On sait Régénérer les Neurones Perdus

E.H. - SCIENCE & VIE N°1251 > Décembre > 2021

Bléssés, les Neurones Adultes redeviennent des Bébés

E.S. - SCIENCES ET AVENIR N°880 > Juin > 2020

Découverte d'un Neurone Humain d'un Nouveau Genre

I.E.H.M. - SCIENCE & VIE N°1215 > Décembre > 2018

Est-il vrai qu'il y a un Lien entre Ventre et Neurones ?

L'intestin contient plus de 100 millions de neurones. Et le système nerveux entérique contrôle le système digestif (->).

Grande fatigue, vertiges memoire défaillante : quand quelque chose ne va pas dans notre tête, nous consultons un neurologue. Aussi, à l'évocation du mot neurone, nous pensons tous immédiatement au cerveau. Mais les neurones du grec neuron qui signifie fibre, sont tout simplement... des cellules nerveuses. Chacune se prolonge en un long filament - l'axone - qui constitue la fibre de nos nerfs. Les neurones sont donc présents dans tout notre corps. Et particulièrement dans les zones de notre système nerveux central : le cerveau et la moelle épinière. Mais il existe un autre système nerveux, dit entérique, situé dans notre tube digestif ! L'intestin contient plus de 100 millions de neurones et utilise au moins 20 types de neurotransmetteurs, des messagers chimiques identiques à ceux qui se trouvent dans le cerveau. Au point que nos boyaux sont surnommés par les neurologues "le second cerveau". Ainsi notre appareil digestif est doué d'autonomie et peut continuer d'assurer ses fonctions vitales, même en cas de lésions graves du système nerveux central. En temps normal, il reste cependant en communication permanente avec le cerveau via le nerf vague. D'après de récents travaux, il semblerait même que des lésions habituellement observées dans le cerveau des malades atteints de Parkinson se retrouvent à l'identique dans les neurones qui entourent l'intestin ! Ce qui témoigne d'une étroite corrélation entre les deux organes.

M.N. - SCIENCE & VIE QUESTIONS RÉPONSES N°7 > Mai > 2012

Est-il vrai que nous avons autant de Neurones qu'il y a de Galaxies dans l'Univers ?

Cent milliards : c'est, d'après les données statistiques compilées par les astronomes du monde entier, le nombre total de galaxies observables dans l'Univers visible. Et c'est aussi le nombre de neurones que compte en moyenne le cerveau humain.

Les six couches constituant le cortex, la mince pellicule à la surface du cerveau, en comptent à elles seules autour de 10 milliards. Cette abondance se constitue dès les premiers mois de la vie : l'essentiel des neurones d'un être humain sont formés vers l'âge de 2 ans. Chaque minute, en début de grossesse, le rythme de croissance est effréné : autour de 250.000 neurones viennent peupler le cerveau du fotus. A noter que la moelle épiniére n'est pas mal dotée non plus : elle héberge à elle seule environ 1 milliard de neurones. Si la membrane cellulaire de l'ensemble des neurones du cerveau était mise à plat et disposée de manière à former une mince pellicule, celle-ci recouvriraît une surface de 25.000 m². L'extraordinaire capacite de traitement des informations du cerveau ne passe cependant pas tant par le nombre des neurones que par le nombre de connexions qui les relient. Sur ce point le décompte des galaxies est largement dépassé : on dénombre de 1000 à 10.000 points de contact (les synapses) entre deux neurones !

F.L. - SCIENCE & VIE QUESTIONS RÉPONSES N°7 > Mai > 2012

Ils ont le Pouvoir de Modifier leur ADN

Chaque neurone est génétiquement unique : telle est la révélation, aussi fascinante qu'inattendue, de travaux dévoilant que chaque cellule nerveuse a le pouvoir de modifier son ADN, prenant ainsi une incroyable liberté avec le génome de l'individu ! De quoi ouvrir la voie à une nouvelle compréhension du cerveau ? Car désormais, la clé de nos facultés cérébrales serait à chercher dans le neurone lui-même et plus seulement dans les réseaux qu'ils tissent entre eux.

À elle seule, cette découverte bouscule les dogmes de la neurologie et de la génétique, et fait trembler l'un des piliers les plus solides de ce qui est censé définir notre identité. Réalisée par l'une des plus prestigieuses équipes de recherche sur le cerveau, elle était totalement inattendue... Et pourtant ! Sous notre crâne, tout au long de notre vie, nos neurones viennent de dévoiler qu'ils ont l'incroyable pouvoir de rebattre une bonne partie de leurs gènes, jusqu'à modifier l'identité génétique de l'individu, telle qu'elle esl normalement inscrite dans chacune de ses cellules. De fait, dans le noyau des neurones, des fragments d'ADN se déplacent, "sautent" d'un endroit à un autre le long des chromosomes, modifiant un peu plus à chaque saut le génome originel de l'individu qui les porte. Rien à voir avec les cellules qui nous constituent : qu'il s'agisse de celles des muscles, de la peau ou du cour, toutes portent le génome de l'individu auquel elles appartiennent, ou presque. La plupart garde les grandes lignes du patrimoine génétique défini dès la fécondation et qui marque le profil d'une personne tout au long de sa vie. Ce qui n'est pas le cas des neurones. Et cette révélation ouvre un fascinant paradoxe : alors que les cellules nerveuses sont les pièces maîtresses de notre cerveau, alors qu'elles forment le socle de nos fonctions motrices, perceptives et cognitives, le siège de notre pensée, de notre conscience, de notre mémoire, le fondement de notre personnalité, en un mot de notre identité, chacune se révèle... unique ! De quoi faire naître l'idée baroque d'un cerveau, organe autonome, siège de nos plus hautes fonctions, qui s'affranchirait des règles définissant notre identité génétique. De quoi, surtout, repenser l'image que les neurosciences se font de la cellule qui agite nos pensées.

VOUS AVEZ DIT NEURONE ?
Le cerveau abrite environ 100 milliards de neurones
. Découvertes à la fin du XIXè siècle, ces cellules du système nerveux ont des formes très variées, mais abritent les mêmes organites que les autres cellules du corps (noyau renfermant l'ADN, mitochondries...). Chacun, grâce à ses excroissances, est relié à 1000 autres neurones en moyenne. Et chacun peut envoyer des signaux électriques, constitués par des changements de concentration en molécules chargées de part et d'autre de la surface de son excroissance la plus longue, l'axone. Ces signaux se transforment en messages chimiques dans les synapses, zones de contact entre deux neurones, le plus souvent situées sur ses nombreuses excroissances plus courtes, les dendrites. C'est l'ensemble de tous les signaux que reçoit un neurone qui détermine les signaux qu'il émet.

UNE VÉRITABLE LOTERIE GÉNÉTIQUE

Fred Gage, à l'origine de cette découverte, s'y attache depuis longtemps. Avec son équipe du laboratoire de génétique de l'Institut Salk, en Californie, il avait déjà démontré en 1998 l'existence, chez l'adulte, de la neurogenèse, cette capacité insoupçonnée des neurones à naître tout au long de la vie : chaque jour, entre 10.000 et 30.000 néoneurones se créent à partir de cellules souches, principalement dans l'hippocampe, siège de l'apprentissage et de la mémoire. Fred Gage avait alors révolutionné le regard porté sur le cerveau, considéré comme condamné au vieillissement et à la perte irrémédiable de ses cellules. C'est un nouveau dogme qu'il renverse aujourd'hui en révélant que les neurones jouent, lors de leur naissance, à la loterie avec leur capital génétique.
Cette surprise doit beaucoup au hasard. "Si nous avons recherché des fragments d'ADN sauteurs dans le cerveau, c'est parce qu'en étudiant la genèse de neurones chez l'adulte in vitro, nous avions mis au point un système capable de sonder toutes les séquences génétiques exprimées par les neurones, se souvient Fred Gage. Et les neuf séquences qui se sont révélées le plus nettement dans les néoneurones étaient celles de fragments sauteurs, surnommés gènes sauteurs. Une surprise de taille".
Ce n'est pourtant pas la première fois que les biologistes rencontrent ces gènes baladeurs. Le séquençage du génome humain a même révélé qu'ils constituent près de 50 % de notre ADN (les gènes classiques codant pour des protéines n'en représentent que 2 %) ! Si la plupart de ces éléments mobiles ne sont plus capables de sauter parce qu'ils ont perdu des éléments essentiels à leur mobilité, trois familles sont connues pour être très actives dans nos cellules germinales, à l'origine des spermatozoïdes et des ovules : l'élément L1, une séquence de 6000 nucléotides environ, qui code pour deux protéines lui permettant de s'insérer de manière aléatoire dans le génome ; ainsi que Alu et SVA, plus courts (respectivement 300 et 3000 nucléotides), qui détournent la machinerie de L1 pour fonctionner. Ce sont ce que les spécialistes appellent des "rétrotransposons" : des morceaux d'ADN qui se reproduisent par l'intermédiaire d'un brin d'ARN et laissent leur double s'insérer plus loin. Une Surte de "copier-coller" en somme.
La mise au jour de ces fragments d'ADN baladeurs repérés dès les années 1940 dans le maïs a été longue, mais leur existence ne pose aujourd'hui plus de problème. "Les biologistes les voient désormais comme des semences de l'évolution car ils accroissent les potentiels évolutifs des organismes", explique Dominique Anxolabéhère, de l'Institut Jacques-Monod, à Paris. En perturbant la programmation génétique des cellules germinales, ces rétrotransposons créent en effet de la variabilité génétique à chaque génération, dotant les espèces d'une formidable capacité d'adaptation. Il était donc logique de supposer que ces éléments mobiles entrent en action principalement dans les cellules vouées à la reproduction... mais pas dans les autres, dites somatiques, dont le contenu n'est jamais transmis à la génération suivante. Pourquoi l'évolution aurait-elle en effet maintenu des sauts de gènes dans des cellules qui meurent en même temps que l'individu qui les porte ? Pourquoi conserver un mécanisme qui perturbe le fonctionnement cellulaire sans apport évolutif ? Eh bien, pour les neurones, il semble bien y avoir eu exception.

UN VASTE CHAMP DE MUTATIONS

Les premières observations, qui remontent à quelques années, ont en effet été largement confirmées depuis trois ans. L'équipe de Fred Gage et d'Alysson Muotri, de l'université de Californie, à San Diego, a génétiquement modifié une souris afin que ses cellules émettent une fluorescence verte quand un élément L1 s'insère dans le génome - une technique baptisée "optogénétique". Résultat : "Nous avons observé une fluorescence dans les cellules germinales, comme prévu, mais aussi dans des régions du cerveau, dont l'hippocampe", détaillent les chercheurs. Ils ont ensuite analysé post mortem des tissus humains prélevés dans le foie, le cour et le cerveau. Et ont trouvé mille éléments L1 de plus dans les noyaux cellulaires du tissu cérébral que dans ceux des autres tissus.
Les neurobiologistes ont démontré que de telles modifications du génome ne sont pas sans conséquence, loin s'en faut. "En modifiant l'expression des gènes, ces éléments mobiles influent sur l'excitation du neurone, sa rapidité, sa croissance, la libération des neurotransmettteurs..., détaille Alysson Muotri. Nous avons par exemple montré qu'une seule insertion dans un gène de l'échaffaudage synaptique, PSD-93, a été en mesure de changer le destin d'une cellule en accélérant la maturation neuronale" ! Or, Nicole Coufal, qui travaille avec Fred Gage, a calculé qu'il y avait en moyenne pas moins de 80 insertions d'éléments L1 par neurone ! Et donc, autant de sources de mutations. L'ampleur du phénomène surprend. L'année dernière, une équipe pilotée par Kenneth Baillie et Geoffrey Faulkner de l'Institut Roslin, à Edimbourg (Ecosse), a directement comptabilisé le nombre de rétrotransposons dans des prélèvements effectués dans le cerveau. Grâce à des méthodes d'analyse à haut débit, ils ont comptabilisé 7743 mutations associées à L1, 1350 pour SVA et 13.692 pour Alu. Personne ne s'attendait à de tels chiffres.
"On aurait pu s'attendre a voir ce mécanisme plutôt actif dans les cellules de la peau, qui se développent en permanence et sont remplacées tous les jours. Non : il se produit ou contraire dans des tissus qui restent 70, 80 ans sans bouger et où chaque erreur peut avoir des répercutions delétères", s'étonne Nicolas Gilbert, de l'Institut de génétique humaine, à Montpellier. Il faut pourtant s'y faire : des gènes sautent davantage sous nos crânes que partout ailleurs dans l'organisme. Comme les cellules germinales, les neurones "progéniteurs", qui engendrent des neurones spécialisés, ont trouvé le moyen d'activer la loterie génétique des rétrotransposons. Ces bouts d'ADN sautent donc lors du stade précoce du développement embryonnaire, mais aussi plus tard, tout au long de notre vie, en vertu de la neurogenèse. Résultat : deux jumeaux dotés du même génome et élevés dans le même environnement n'auront pas le même cerveau, et donc pas les mêmes capacités d'apprentissage, le même caractère, etc. "C'est une découverte très importante : nos gènes offrent à notre cerveau une plasticité qui va au-delà de ce qu'on hérite de nos parents", renchérit Gaël Cristofari, de l'Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement, à Nice.
La question est maintenant de comprendre à quoi jouent ces neurones avec leurs mutations aléatoires programmées. Des liens commencent tout juste à être mis en évidence entre les gènes sauteurs et certaines maladies, tel le syndrome de Rell, l'une des manifestations les plus sévères de l'autisme... "Tous ces événements qui ont lieu dans une cellule unique ne seront pas à la génération suivante, insiste Nicolas Gilberl. Au regard de l'évolution, ils se produisent donc en pure perte". Pourquoi l'évolution aurait-elle sélectionné un mécanisme qui pourrait mettre en péril l'organisme ? Et comment alors expliquer cette anarchie sous nos crânes ?

UN POUVOIR D'ADAPTATION INÉGALÉ

Pour Fred Gage et Alysson Muotri, il faut y voir un nouveau prodige du neurone. Selon eux, cette vaste agitation interne des cellules de notre cerveau aurait une inlluence sur nos capacités cérébrales : "Ces gènes sauteurs pourraient donner à chaque neurone des capacités légèrement différentes de celles de son voisin, supposent-ils. Ce mécanisme créerait ainsi la diversité neuronale qui fait de chaque être une entité unique. Et nous pensons qu'en créant une telle variabilité dans les cellules cérébrales, les gènes sauteurs rendent les organismes plus flexibles et plus aptes a s'adapter à un nouvel environnement. Ils auraient donc finalement été conservés par l'évolution car le bénéfice, la diversité neuronale, serait supérieur aux risques, les mutations délétères". Les deux chercheurs rapprochent ce phénomène de celui qui dans les cellules du système immunitaire, les seules cellules humaines connues jusqu'ici pour réorganiser leur génome : elles réarrangent leurs gènes qui codent pour les anticorps afin de fournir une large gamme d'antigènes. L'adaptabilité, tel serait donc le maître mot. "En jetant souvent les dés dans les cellules neurales progénitrices de l'hippocampe, la nature optimise la possibilité qu'émerge une population de neurones adaptée aux tâches auxquelles le cerveau est confronté", résume Fred Gage.
"Il faut encore être prudent avant de conclure trop rapidement à un rôle majeur de ces éléments mobiles dans la diversité neuronale et à une influence sur la diversité humaine, tempête Christian Biémont, du laboratoire de Biométrie et de biologie évolutive à l'université de Lyon. Tout en reconnaissant que les éléments mobiles nous ont souvent surpris et que leurs rôles étaient inimaginables il y a quelques années".
Plus de 100 ans après sa découverte, le neurone révèle donc encore de surprenants pouvoirs, témoignant aujourd'hui de sa double plasticité : cérébrale, liée aux connexions changeantes entre ses cellules suivant les expériences vécues ; et neuronale, du fait des sauts de gènes au cour même de ces cellules. Si l'impact de ce niveau supplémentaire de complexité sur la cognition reste à évaluer, cette découverte renforce l'idée que notre cerveau ne tire pas seulement sa puissance de la complexité d'un réseau, mais d'abord de l'inventivité de la plus prodigieuse de ses cellules : le neurone. Cette brique fondamentale qui ferait que nous sommes qui nous sommes, et personne d'autre.

R.B. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2012

Les Secrets d'une Cellule qui Défie la Science

Plus les neurobiologistes s'en rapprochent, plus il les fascinent. Le neurone, cellule reine du corps humain, ne cesse de renverser leurs théories.

Les Neurones comme on ne les avait jamais vus : Les neurobiologistes sont aujourd'hui capables de plonger au cour des neurones, d'étudier leurs connexions à travers axones et dendrites, ici dans le cortex du rat (1 à d.) ; de les distingués en les dotant d'une couleur en fonction de leurs connexions et de leur activité (2 à g.) ; de révéler leur structure interne, ici le noyau apparait en jaune orangé (3 centre).

Si la découverte de la diversité génétique du neurone est totalement inattendue, une telle révélation n'est toutefois pas vraiment une surprise. Non que les neurologues se soient attendus à faire cette découverte qui, d'un seul coup, replace la cellule de base du système nerveux - et non les réseaux qu'elle tisse - au centre de la compréhension de notre cerveau, mais parce que cette brique fondamentale de la cognition ne cesse de réserver des surprises, dévoilant en permanence de nouveaux et insoupçonnés prodiges qui obligent les scientifiques à reconsidérer ce qu'ils savaient sur elle, ou croyaient savoir. Et une fois de plus, voici donc qu'une découverte met les neurosciences en face de ce constat, aussi cruel que stimulant : elles sont loin d'avoir épuisé tous les secrets de cette cellule définitivement pas comme les autres, entièrement dédiée au traitement et à la transmission des messages qui interviennent dans les fonctions perceptive, motrice, émotive el cognitive. Comme le résume Pierre-Marie Lledo, neurobiologiste, Chef de l'unité Perception et mémoire à l'Institut Pasteur et directeur du laboratoire Gènes, synapses et cognition (CNRS), le neurone "est une terra incoguita dont nous sommes les Magellan et dont nous sommes loin d'avoir fini d'explorer la compléxité". Autrement dit, un défi scientifique permanent.
La découverte de sa diversilé génétique sera-t-elle la clé qui permettra aux sciences de la cognition de percer enfin les mystères de notre cerveau ? Une chose paraît en tout cas évidente : avant de mobiliser les informaticiens et les mathématiciens pour simuler des réseaux formés de milliards de neurones et de milliers de milliards de connexions, avant d'espérer faire le lien entre le comportement de ces réseaux et celui des êtres vivants, encore faudrait-il que les neuroscientifiques parviennent à décrire convenablement cette chair élémentaire de la pensée.

LE NEURONE COMME EXCEPTION

Or, la lâche a toujours été, et reste encore, incroyablement difficile. "Le neurone est la cellule la plus complexe du corps humain dans son organisation morphologique", souligne Daniel Choquet, directeur de l'Institut interdisciplinaire de neurosciences de Bordeaux. Complexe, et donc souvent victime de théories simplistes. Ce qui explique la longue liste des revirements qui ont émaillé le chemin de sa connaissance. Et ce, avant même que l'on découvre son existence. "Alors que les bases de la théorie cellulaire étaient déjà posées et que tous les organes du corps se révélaient constitués de petites unités faites d'un noyau, d'une membrane, d'un cytoplasme, on a d'abord cru que le cerveau, siège de la pensée et de la conscience, faisait exception retrace Jean-Gaël Barbara, historien des sciences et auteur de La naissance du neurone. En 1888, l'espagnol Santiago Ramón y Cajal améliore sa méthode et observe des extrémités libres dans ce réseau. Dont il déduit que cetenchevêtremenl est en fait constitué de cellules reliées les unes aux autres. Le neurone est né. On découvrira vite que ce nouvel objet ne fait pas exception à la théorie cellulaire : il se compose, comme toute cellule, d'un noyau, d'une membrane, d'un cytoplasme, de mitochondries... Tout en présentant quelques particularites. Comme ses prolongements : d'un côté les dendrites, qui jouent le rôle d'antennes pour recevoir l'information, et de l'autre un axone unique, pour la transmission du signal vers d'autres neurones. Ce à quoi s'aioute une jonction interneuronale sans contact, baptisée synapse, en 1897, par l'Anglais Charles Scoll Sherrington.

ENTRE FASCINATION ET IDÉES REÇUES

Sacralisée pour sa capacité à faire épanouir un esprit lorsqu'elle s'organise en réseau, la cellule reine du cerveau devient alors le réceptacle d'idées très arrêtées, souvent fausses et toujours trop simples. Par exemple, l'impossibilité du cerveau adulte à créer de nouveaux neurones, énoncée par Cajal, a longtemps été considérée comme un dogme inébranlable. Tellement indiscutable que lorsque, en 1962, Altman et Bayer annoncent avoir découvert que de nouveaux neurones se forment dans le cerveau de rats adultes, la théorie parait tellement iconoclaste qu'elle laisse leurs collègues indifférents. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que la neuregénèse adulte soit enfin acceptée, avec les travaux de l'argentin Fernando Nollebohm, en 1989, sur les cerveaux d'oiseaux, puis ceux de l'américain Fred Gage pour les humains.
La théorie de la transmission chimique devra attendre la découverte de neurotransmetteurs, comme l'acétylcholine, les travaux sur les canaux ioniques et les progrès de la neuropharmacologie pour s'imposer. Autre simplification abusive : au regard de la multitude des typologies (motoneurones, interneurones, neurones sensoriels, neurones excitateurs, neurones inhibiteurs...), des morphologies (pyramide, graine, étoile...) ou des structures (unipolaire, bipolaire, multipolaire...) que recouvrent les 100 milliards de neurones du cerveau et les 200 millions du système digestif, il faudrait parler "des" neurones, plutôt que "du" neurone. "On ne cherche pas à en faire l'inventaire, car il y a un continuum entre tous ces extrêmes", note Philippe Vernier, président de la Société française des neurosciences.

DE GÉNIALES CAPACITÉS D'ÉVOLUTION

"On peut se demander s'il existe une seule caractéristique spécifique qui soit commune à tous les neurones tant certains sont de véritables extraterrestres", observe Jean-Gaël Barbara. Dans l'inventaire non exhaustif de cet improbable bestiaire se démarquent ainsi des neurones presque dénués d'axone dans l'hypothalamus, et d'autres, au contraire, dont cette terminaison peut atteindre plus d'un mètre, entre la moelle épinière et les orteils. Certains communiquent à l'aide de signaux électriques, par contact, alors que la plupart des jonctions synaptiques font appel à des mécanismes chimiques. D'autres encore dans le cortex, sont capables d'établir plus de 10.000 contacts avec leurs congénères, alors que des structures plus anciennes, comme le tronc cérébral (cerveau reptilien), abritent des neurones qui se limitent à une dizaine de connexions. Il existe enfin des neurones rapides (motoneurones), dont la cinétique est de l'ordre de la milliseconde, quand d'autres, liés aux mécanismes de mémorisation ou d'apprentissage, travaillent à des vitesses de l'ordre de la seconde.
Moses Chao croit leur avoir trouvé un point commun : "la caractéristique la plus surprenante du neurone est sans aucun doute sa plasticité", estime le président de la Society for Neuroscience, directeur du programme de neurobiologie moléculaire au Skirball Institute of Biomolecular Medicine, à New York. Cette capacité du neurone à évoluer en fonction de son environnernent et de ses sollicitations a été découverte par Hebb en 1949, en montrant que plus une connexion synaptique est sollicitée, plus elle est renforcée. Une découverte fondamentale pour les sciences cognitives, puisque cela revient à dire que les synapses gardent la mémoire de leurs expériences, autrement dit qu'il existe un lien direct entre mémorisation et synapse ! Depuis, on n'en fini pas de découvrir l'extraordinaire capacité du neurone à évoluer en fonction des sollicilations, notamment l'apprentissage, à tous les âges de la vie. "Nous continuons de faire des découvertes surprenantes sur la plasticité du neurone, son caractère versatile et la facilité avec laquelle il peut établir un contact, en changer, se reconnecter 10 secondes plus tard et stabiliser cette connexion si elle permet une meilleure transmission de l'information", explique Pierre-Marie Lledo.
Quel est donc le secret de cette cellule mutante, tentaculaire et polymorphe, douée du fantastique pouvoir de faire jaillir l'intelligence, l'espril et la conscience, la mémoire... mais dont les dysfonctionnements peuvent provoquer autisme, maladie d'Alzeihmer ou de Parkinson ? Il a fallu du temps pour que la science prenne la mesure de ce qu'il reste à découvrir de cette terra cognita. "Depuis les années 1970, on a dépassé les querelles historiques. Les scientifiques ont compris que pour appréhender toute la complexité du cerveau et des neurones, il fallait mettre en place une approche interdisciplinaire", retrace Pierre-Marie Lledo. Anatomie, physiologie, psychologie, endocrinologie, pharmacologie, chimie... La science du neurone doit lancer ses ramifications dans toutes les directions. Cette exploration du neuro-continent a aussi été dopée par les progrès de l'imagerie cérébrale. La première génération d'instruments (IRM...) ne permettait pas encore de rendre compte du fonctionnement à l'échelle du neurone. Ce qui sera rendu possible par la seconde génération de techniques d'imagerie cérébrale, comme le patch-clamp (qui mesure l'activité électrique à la surface et à l'intérieur d'un neurone en y implantant de minuscules électrodes), la microscopie confocale (qui visualise grâce à des variations de la focale des neurones en 3D dans les tissus de faible épaisseur), puis la microscopie biphotonique (qui exploite des colorants fluorescents permettant de voir des neurones jusqu'à 1 millimètre de profondeur dans un cerveau vivant). Mais la véritable révolution est apparue au milieu des années 2000, avec la troisième génération et ses très hautes résolutions, qui permettent d'observer l'activité des neurones en situation, un par un.

VERS DE NOUVELLES SURPRISES ?

Grâce à des marqueurs fluorescents qui ciblent directement des molécules dans le neurone, la microscopie est devenue nanoscopie : "On parvient à une résolution de 10 nanomètres dans des tissus vivants, ce qui permet d'observer l'organisation des molécules dans une synapse", s'enthousiasme Daniel Choquet, directeur du Bordeaux Imaging Center. Et avec l'optogénétique développée ces cinq dernières années, il est possible d'insérer un gène photosensible dans les neurones, puis de les exciter, ou de les inhiber, en les éclairant à l'aide d'un faisceau lumineux canalisé dans une fibre optique implantée dans le cerveau. Ces progrès ont apporté leur lot de découvertes et contraint les neurologues à rediscuter, bousculer, voire renverser certains "neuromythes", car le neurone est comme ça : plus il est regardé de près, plus il surprend ! Des exemples ? Les scientifiques se sont, en vrac, aperçus qu'il ne communique pas seulement à travers les synapses, mais que les cellules gliales, au rôle prétendu secondaire, y participent aussi ; que le potentiel d'action n'est pas toujours d'intensité constante ; que des informations peuvent le traverser dans les deux sens ; qu'il peut avoir recours à plusieurs neurotransmetteurs... Bref, que l'exception semble être la règle.
"Ce type de va-et-vient signifie qu'on n'en est qu'au début des connaissances", analyse Jean-Gaël Barbara. "Le neurone est peut-être l'un des derniers domaines du corps humain dans lequel on peut encore esperer laisser son nom à une découverte", confirme Pierre-Marie Lledo. Celle réalisée par l'équipe de Gage autour de la diversité génétique des neurones au sein d'un même cerveau en est la plus belle preuve. Inattendue, elle démontre de façon éclatante cette propension du neurone à échapper à toute image préconçue, même celle inscrite dans son propre génome.
Beaucoup de questions demeurent. A-t-on découvert tous les neurotransmetteurs ? Comment le neurone décide-t-il de déclencher un potentiel d'action ? Pourquoi la neurogenèse adulte est-elle limitée à certaines zones du cerveau ? Quel est le rôle exact des astrocytes et autres cellules gliales dans leur fonctionnement ? Où et comment les synapses stockent-elles les informations de notre mémoire ? Il faudra sans doute répondre à une bonne partie de ces questions avant d'espérer comprendre comment les réseaux de neurones gouvernent la mémoire, les mouvements, le langage, la conscience. D'ici là, la particule élémentaire de la cognition n'a pas fini de nous surprendre.

P.-Y.B. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2012
 

   
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