L'intestin contient plus de 100 millions de neurones. Et le système nerveux entérique contrôle le système digestif (->). Grande fatigue, vertiges memoire défaillante : quand quelque chose ne va pas dans notre tête, nous consultons un neurologue. Aussi, à l'évocation du mot neurone, nous pensons tous immédiatement au cerveau. Mais les neurones du grec neuron qui signifie fibre, sont tout simplement... des cellules nerveuses. Chacune se prolonge en un long filament - l'axone - qui constitue la fibre de nos nerfs. Les neurones sont donc présents dans tout notre corps. Et particulièrement dans les zones de notre système nerveux central : le cerveau et la moelle épinière. Mais il existe un autre système nerveux, dit entérique, situé dans notre tube digestif ! L'intestin contient plus de 100 millions de neurones et utilise au moins 20 types de neurotransmetteurs, des messagers chimiques identiques à ceux qui se trouvent dans le cerveau. Au point que nos boyaux sont surnommés par les neurologues "le second cerveau". Ainsi notre appareil digestif est doué d'autonomie et peut continuer d'assurer ses fonctions vitales, même en cas de lésions graves du système nerveux central. En temps normal, il reste cependant en communication permanente avec le cerveau via le nerf vague. D'après de récents travaux, il semblerait même que des lésions habituellement observées dans le cerveau des malades atteints de Parkinson se retrouvent à l'identique dans les neurones qui entourent l'intestin ! Ce qui témoigne d'une étroite corrélation entre les deux organes.
Cent milliards : c'est, d'après les données statistiques compilées par les astronomes du monde entier, le nombre total de galaxies observables dans l'Univers visible. Et c'est aussi le nombre de neurones que compte en moyenne le cerveau humain. Les six couches constituant le cortex, la mince pellicule à la surface du cerveau, en comptent à elles seules autour de 10 milliards. Cette abondance se constitue dès les premiers mois de la vie : l'essentiel des neurones d'un être humain sont formés vers l'âge de 2 ans. Chaque minute, en début de grossesse, le rythme de croissance est effréné : autour de 250.000 neurones viennent peupler le cerveau du fotus. A noter que la moelle épiniére n'est pas mal dotée non plus : elle héberge à elle seule environ 1 milliard de neurones. Si la membrane cellulaire de l'ensemble des neurones du cerveau était mise à plat et disposée de manière à former une mince pellicule, celle-ci recouvriraît une surface de 25.000 m². L'extraordinaire capacite de traitement des informations du cerveau ne passe cependant pas tant par le nombre des neurones que par le nombre de connexions qui les relient. Sur ce point le décompte des galaxies est largement dépassé : on dénombre de 1000 à 10.000 points de contact (les synapses) entre deux neurones !
Chaque neurone est génétiquement unique : telle est la révélation, aussi fascinante qu'inattendue, de travaux dévoilant que chaque cellule nerveuse a le pouvoir de modifier son ADN, prenant ainsi une incroyable liberté avec le génome de l'individu ! De quoi ouvrir la voie à une nouvelle compréhension du cerveau ? Car désormais, la clé de nos facultés cérébrales serait à chercher dans le neurone lui-même et plus seulement dans les réseaux qu'ils tissent entre eux. À elle seule, cette découverte bouscule les dogmes de la neurologie et de la génétique, et fait trembler l'un des piliers les plus solides de ce qui est censé définir notre identité. Réalisée par l'une des plus prestigieuses équipes de recherche sur le cerveau, elle était totalement inattendue... Et pourtant ! Sous notre crâne, tout au long de notre vie, nos neurones viennent de dévoiler qu'ils ont l'incroyable pouvoir de rebattre une bonne partie de leurs gènes, jusqu'à modifier l'identité génétique de l'individu, telle qu'elle esl normalement inscrite dans chacune de ses cellules. De fait, dans le noyau des neurones, des fragments d'ADN se déplacent, "sautent" d'un endroit à un autre le long des chromosomes, modifiant un peu plus à chaque saut le génome originel de l'individu qui les porte. Rien à voir avec les cellules qui nous constituent : qu'il s'agisse de celles des muscles, de la peau ou du cour, toutes portent le génome de l'individu auquel elles appartiennent, ou presque. La plupart garde les grandes lignes du patrimoine génétique défini dès la fécondation et qui marque le profil d'une personne tout au long de sa vie. Ce qui n'est pas le cas des neurones. Et cette révélation ouvre un fascinant paradoxe : alors que les cellules nerveuses sont les pièces maîtresses de notre cerveau, alors qu'elles forment le socle de nos fonctions motrices, perceptives et cognitives, le siège de notre pensée, de notre conscience, de notre mémoire, le fondement de notre personnalité, en un mot de notre identité, chacune se révèle... unique ! De quoi faire naître l'idée baroque d'un cerveau, organe autonome, siège de nos plus hautes fonctions, qui s'affranchirait des règles définissant notre identité génétique. De quoi, surtout, repenser l'image que les neurosciences se font de la cellule qui agite nos pensées.
UNE VÉRITABLE LOTERIE GÉNÉTIQUE Fred Gage, à l'origine de cette découverte, s'y attache depuis longtemps. Avec son équipe du laboratoire de génétique de l'Institut Salk, en Californie, il avait déjà démontré en 1998 l'existence, chez l'adulte, de la neurogenèse, cette capacité insoupçonnée des neurones à naître tout au long de la vie : chaque jour, entre 10.000 et 30.000 néoneurones se créent à partir de cellules souches, principalement dans l'hippocampe, siège de l'apprentissage et de la mémoire. Fred Gage avait alors révolutionné le regard porté sur le cerveau, considéré comme condamné au vieillissement et à la perte irrémédiable de ses cellules. C'est un nouveau dogme qu'il renverse aujourd'hui en révélant que les neurones jouent, lors de leur naissance, à la loterie avec leur capital génétique. Les premières observations, qui remontent à quelques années, ont en effet été largement confirmées depuis trois ans. L'équipe de Fred Gage et d'Alysson Muotri, de l'université de Californie, à San Diego, a génétiquement modifié une souris afin que ses cellules émettent une fluorescence verte quand un élément L1 s'insère dans le génome - une technique baptisée "optogénétique". Résultat : "Nous avons observé une fluorescence dans les cellules germinales, comme prévu, mais aussi dans des régions du cerveau, dont l'hippocampe", détaillent les chercheurs. Ils ont ensuite analysé post mortem des tissus humains prélevés dans le foie, le cour et le cerveau. Et ont trouvé mille éléments L1 de plus dans les noyaux cellulaires du tissu cérébral que dans ceux des autres tissus. UN POUVOIR D'ADAPTATION INÉGALÉ Pour Fred Gage et Alysson Muotri, il faut y voir un nouveau prodige du neurone. Selon eux, cette vaste agitation interne des cellules de notre cerveau aurait une inlluence sur nos capacités cérébrales : "Ces gènes sauteurs pourraient donner à chaque neurone des capacités légèrement différentes de celles de son voisin, supposent-ils. Ce mécanisme créerait ainsi la diversité neuronale qui fait de chaque être une entité unique. Et nous pensons qu'en créant une telle variabilité dans les cellules cérébrales, les gènes sauteurs rendent les organismes plus flexibles et plus aptes a s'adapter à un nouvel environnement. Ils auraient donc finalement été conservés par l'évolution car le bénéfice, la diversité neuronale, serait supérieur aux risques, les mutations délétères". Les deux chercheurs rapprochent ce phénomène de celui qui dans les cellules du système immunitaire, les seules cellules humaines connues jusqu'ici pour réorganiser leur génome : elles réarrangent leurs gènes qui codent pour les anticorps afin de fournir une large gamme d'antigènes. L'adaptabilité, tel serait donc le maître mot. "En jetant souvent les dés dans les cellules neurales progénitrices de l'hippocampe, la nature optimise la possibilité qu'émerge une population de neurones adaptée aux tâches auxquelles le cerveau est confronté", résume Fred Gage.
Plus les neurobiologistes s'en rapprochent, plus il les fascinent. Le neurone, cellule reine du corps humain, ne cesse de renverser leurs théories. Les Neurones comme on ne les avait jamais vus : Les neurobiologistes sont aujourd'hui capables de plonger au cour des neurones, d'étudier leurs connexions à travers axones et dendrites, ici dans le cortex du rat (1 à d.) ; de les distingués en les dotant d'une couleur en fonction de leurs connexions et de leur activité (2 à g.) ; de révéler leur structure interne, ici le noyau apparait en jaune orangé (3 centre). Si la découverte de la diversité génétique du neurone est totalement inattendue, une telle révélation n'est toutefois pas vraiment une surprise. Non que les neurologues se soient attendus à faire cette découverte qui, d'un seul coup, replace la cellule de base du système nerveux - et non les réseaux qu'elle tisse - au centre de la compréhension de notre cerveau, mais parce que cette brique fondamentale de la cognition ne cesse de réserver des surprises, dévoilant en permanence de nouveaux et insoupçonnés prodiges qui obligent les scientifiques à reconsidérer ce qu'ils savaient sur elle, ou croyaient savoir. Et une fois de plus, voici donc qu'une découverte met les neurosciences en face de ce constat, aussi cruel que stimulant : elles sont loin d'avoir épuisé tous les secrets de cette cellule définitivement pas comme les autres, entièrement dédiée au traitement et à la transmission des messages qui interviennent dans les fonctions perceptive, motrice, émotive el cognitive. Comme le résume Pierre-Marie Lledo, neurobiologiste, Chef de l'unité Perception et mémoire à l'Institut Pasteur et directeur du laboratoire Gènes, synapses et cognition (CNRS), le neurone "est une terra incoguita dont nous sommes les Magellan et dont nous sommes loin d'avoir fini d'explorer la compléxité". Autrement dit, un défi scientifique permanent. LE NEURONE COMME EXCEPTION Or, la lâche a toujours été, et reste encore, incroyablement difficile. "Le neurone est la cellule la plus complexe du corps humain dans son organisation morphologique", souligne Daniel Choquet, directeur de l'Institut interdisciplinaire de neurosciences de Bordeaux. Complexe, et donc souvent victime de théories simplistes. Ce qui explique la longue liste des revirements qui ont émaillé le chemin de sa connaissance. Et ce, avant même que l'on découvre son existence. "Alors que les bases de la théorie cellulaire étaient déjà posées et que tous les organes du corps se révélaient constitués de petites unités faites d'un noyau, d'une membrane, d'un cytoplasme, on a d'abord cru que le cerveau, siège de la pensée et de la conscience, faisait exception retrace Jean-Gaël Barbara, historien des sciences et auteur de La naissance du neurone. En 1888, l'espagnol Santiago Ramón y Cajal améliore sa méthode et observe des extrémités libres dans ce réseau. Dont il déduit que cetenchevêtremenl est en fait constitué de cellules reliées les unes aux autres. Le neurone est né. On découvrira vite que ce nouvel objet ne fait pas exception à la théorie cellulaire : il se compose, comme toute cellule, d'un noyau, d'une membrane, d'un cytoplasme, de mitochondries... Tout en présentant quelques particularites. Comme ses prolongements : d'un côté les dendrites, qui jouent le rôle d'antennes pour recevoir l'information, et de l'autre un axone unique, pour la transmission du signal vers d'autres neurones. Ce à quoi s'aioute une jonction interneuronale sans contact, baptisée synapse, en 1897, par l'Anglais Charles Scoll Sherrington. ENTRE FASCINATION ET IDÉES REÇUES Sacralisée pour sa capacité à faire épanouir un esprit lorsqu'elle s'organise en réseau, la cellule reine du cerveau devient alors le réceptacle d'idées très arrêtées, souvent fausses et toujours trop simples. Par exemple, l'impossibilité du cerveau adulte à créer de nouveaux neurones, énoncée par Cajal, a longtemps été considérée comme un dogme inébranlable. Tellement indiscutable que lorsque, en 1962, Altman et Bayer annoncent avoir découvert que de nouveaux neurones se forment dans le cerveau de rats adultes, la théorie parait tellement iconoclaste qu'elle laisse leurs collègues indifférents. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que la neuregénèse adulte soit enfin acceptée, avec les travaux de l'argentin Fernando Nollebohm, en 1989, sur les cerveaux d'oiseaux, puis ceux de l'américain Fred Gage pour les humains. DE GÉNIALES CAPACITÉS D'ÉVOLUTION "On peut se demander s'il existe une seule caractéristique spécifique qui soit commune à tous les neurones tant certains sont de véritables extraterrestres", observe Jean-Gaël Barbara. Dans l'inventaire non exhaustif de cet improbable bestiaire se démarquent ainsi des neurones presque dénués d'axone dans l'hypothalamus, et d'autres, au contraire, dont cette terminaison peut atteindre plus d'un mètre, entre la moelle épinière et les orteils. Certains communiquent à l'aide de signaux électriques, par contact, alors que la plupart des jonctions synaptiques font appel à des mécanismes chimiques. D'autres encore dans le cortex, sont capables d'établir plus de 10.000 contacts avec leurs congénères, alors que des structures plus anciennes, comme le tronc cérébral (cerveau reptilien), abritent des neurones qui se limitent à une dizaine de connexions. Il existe enfin des neurones rapides (motoneurones), dont la cinétique est de l'ordre de la milliseconde, quand d'autres, liés aux mécanismes de mémorisation ou d'apprentissage, travaillent à des vitesses de l'ordre de la seconde. VERS DE NOUVELLES SURPRISES ? Grâce à des marqueurs fluorescents qui ciblent directement des molécules dans le neurone, la microscopie est devenue nanoscopie : "On parvient à une résolution de 10 nanomètres dans des tissus vivants, ce qui permet d'observer l'organisation des molécules dans une synapse", s'enthousiasme Daniel Choquet, directeur du Bordeaux Imaging Center. Et avec l'optogénétique développée ces cinq dernières années, il est possible d'insérer un gène photosensible dans les neurones, puis de les exciter, ou de les inhiber, en les éclairant à l'aide d'un faisceau lumineux canalisé dans une fibre optique implantée dans le cerveau. Ces progrès ont apporté leur lot de découvertes et contraint les neurologues à rediscuter, bousculer, voire renverser certains "neuromythes", car le neurone est comme ça : plus il est regardé de près, plus il surprend ! Des exemples ? Les scientifiques se sont, en vrac, aperçus qu'il ne communique pas seulement à travers les synapses, mais que les cellules gliales, au rôle prétendu secondaire, y participent aussi ; que le potentiel d'action n'est pas toujours d'intensité constante ; que des informations peuvent le traverser dans les deux sens ; qu'il peut avoir recours à plusieurs neurotransmetteurs... Bref, que l'exception semble être la règle.
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