Dossier : Construire un Monde Durable

Enrayer la Pollution de l'Air

État des lieux

Malgré quelques améliorations ponctuelles, la qualité de l'air sur la planète continue de s'altérer. Des mesures d'assainissement drastiques s'imposent.

Des millions de morts par an : tel est aujourd'hui le coût humain de la pollution de l'air et de l'eau dans le monde. La situation est particulièrement critique en Chine : 16 des 20 villes les plus polluées de la planète se trouvent dans l'Empire du milieu. Selon un récent rapport de la Banque mondiale, la mauvaise qualité de l'air y provoque chaque année plus de 750.000 décès par maladies pulmonaires, cardiovasculaires ou vasculaires cérébrales (Rapport de la Banque mondiale China Environmental Cost of Pollution, 2005). Principaux accusés : les particules solides ou liquides en suspension dans l'air, chargées de sulfates, nitrates, ammonium, composés organiques et métaux lourds, qui pénètrent dans les voies respiratoires. "On observe aujourd'hui en Asie des niveaux de pollution équivalents à ceux des pays européens dans les années 1940 ou 1950", résume Denis Zmirou, professeur à la faculté de médecine de Nancy et ancien directeur scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (Afsse).

LA QUALITÉ DE L'AIR PROGRESSE AU NORD, PAS AU SUD
Si la qualité de l'air s'est améliorée en Occident où les émissions de soufre, notamment, sont en nette régression, ce n'est pas le cas dans les pays du Sud. En cause : l'urbanisation rapide de pays comme la Chine. Parmi les polluants, se distinguent les PM10, des particules inhalables d'un diamètre inférieur à 10 micromètres.

LE RÉCHAUFFEMENT, FACTEUR AGGRAVANT

Est-ce à dire que la situation est en passe d'être réglée dans les pays développés ? Il est vrai que les pics meurtriers de pollution urbaine par les fumées noires, qui faisaient autrefois des ravages aux États-Unis ou en Europe, ne sont plus que de lointains souvenirs. "Globalement, la qualité de l'air s'est considérablement améliorée dans les pays développés depuis 30 ou 40 ans, souligne Denis Zmirou. On a fait de formidables progrès dans la réduction des rejets industriels, et cela a certainement eu une part non-négligeable dans l'augmentation de l'espérance de vie". La désulfuration des fumées et des carburants a en particulier permis, en France, de réduire les émissions de dioxyde de soufre de 67 % entre 1990 et 2006. "Mais cela ne veut pas dire que la pollution n'a plus d'impact sanitaire. Elle a changé de nature, avec le développement des transports", insiste le chercheur. Un rapport publié en 2007 par l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) pointe deux grandes sources de préoccupation : les particules inhalables et l'ozone. A basse altitude, dans les 10 premiers kilomètres de l'atmosphère, l'ozone est un gaz très irritant pour les voies respiratoires. Il se forme sous l'effet du rayonnement solaire à partir de gaz précurseurs (oxydes d'azote et composés organiques volatils) rejetés par les pots d'échappement et les autres combustions. Or, malgré une baisse de plus d'un tiers des émissions de ces gaz précurseurs entre 1990 et 2004, "les niveaux de fond d'ozone tendent à augmenter, et c'est peut-être en partie dû au réchauffement climatique", s'inquiète Christian Elichegaray, responsable de la surveillance de la pollution de l'air à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Les jours chauds et ensoleillés sont en effet plus propices à la formation de ce polluant. Il serait responsable, selon le même rapport, de 21.400 morts par an en Europe. La situation n'est pas meilleure pour les particules inhalables. En dépit d'une baisse de 45 % des émissions entre 1990 et 2004, leur concentration dans l'air stagne en Europe. Elles seraient responsables, toujours selon l'AEE, d'une perte moyenne d'espérance de vie de neuf mois. Les plus dangereuses sont les particules ultrafines, mesurant moins de 0,1 micromètre (pm), émises en particulier par les diesels, car elles pénètrent très profondément dans les poumons. "Nous pensons qu'elles contribuent de manière non-négligeable à l'augmentation de l'asthme chez les jeunes et au risque de cancers du poumon", avertit Denis Zmirou. Outre le climat, un autre facteur est pointé du doigt pour expliquer la stagnation de ces polluants : leur transport à distance, parfois sur des milliers de kilomètres. "Nous sommes de plus en plus influencés, avec une inertie de quelques semaines, par les émissions venues d'Asie", alerte le chercheur. Ainsi, les métaux lourds et les polluants organiques persistants peuvent voyager pendant des semaines dans l'atmosphère, avant de rejoindre les eaux de pluies ou de se déposer au sol. Puis persister dans l'environnement durant des décennies, en s'accumulant dans les écosystèmes. Mais inutile de se cloîtrer pour échapper à la menace. Car l'air intérieur fait lui aussi l'objet de préoccupations croissantes. Une campagne nationale a détecté la présence du formaldéhyde, un composé cancérigène pour l'homme, dans 100 % des logements français, avec une concentration médiane de 20µg/m³, soit dix fois plus qu'au-dehors (Rapport final de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur Etat de la qualité de l'air dans les logements français, 2007). En cause : des produits de consommation très courants comme les plastifiants ou les contreplaqués.

LES 6 POLLUANTS LES PLUS DANGEREUX
POLLUANT
SOURCE
EFFETS
Particules inhalables
Transport routier, combustion (charbon, biomasse, centrales énergétiques)
Bronchites, asthme, maladies cardio-vasculaires, cancers
Ozone
Réaction d'oxydes d'azote et de composés volatils émis dans l'atmosphère
Toux, maladies respiratoires, asthme, irritation des yeux
Dioxyde de soufre
Combustibles fossiles (charbon, fioul, gazole)
Irritation des muqueuses, de la peau, des voies respiratoires
Métaux lourds (cadmium, mercure, plomb)
Carburants, industrie (métallurgie. construction), trafic ferroviaire
Altération du système nerveux, des reins, du foie, des voies respiratoires, cancers
Benzène, formaldéhyde
Solvants, industrie chimique, carburants
Irritations diverses, altération de la fonction respiratoire, cancers
Pesticides, dioxines, furannes
Epandages agricoles, combustions incomplètes
Sur le système immunitaire, la reproduction et le développement, cancers
2,4 millions de décès dans le monde surviennent chaque annèe à cause de la pollution de l'air,
responsable de 2 % des maladies cardiaques et pulmonaires.
La pollution de l'air a un impact direct sur la santé. Parmi les principaux responsables se trouvent les particules fines dégagées notamment par les combustions, à l'extérieur mais aussi à l'intérieur des habitations, Une pollution intérieure qui n'a rien d'anodin puisque selon l'OMS, elle provoque chaque année 1,6 million de décès.

Pistes et Solutions

STOPPER LES ÉMISSIONS DE POLLUANTS À LA SOURCE

Les spécialistes sont unanimes : pour préserver l'air et l'eau, il faut agir à la source. Et donc limiter les émissions de polluants. Ce qui passe entre autres par la conception de moteurs plus efficaces pour limiter les rejets des pots d'échappement. En Europe, "les filtres à particules sur les diesels vont devenir incontournables du fait du renforcement des normes", se félicite Christian Elichegaray, responsable de la surveillance de la pollution de l'air à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Autre piste, l'amélioration des pots catalytiques. Ces derniers qui permettent de limiter la nocivité des gaz d'échappement sont aujourd'hui soupçonnés de relâcher des poussières de métaux dans la nature.
Concernant la pollution intérieure, "il faut renforcer les législations concernant les matériaux et produits de consommation et cesser de produire des meubles ou des moquettes émettant pendant des mois des produits nocifs, martèle Denis Zmirou, professeur à la faculté de médecine de Nancy. On s'est fait à l'idée du contrôle technique des véhicules, il faudrait aussi un contrôle technique de la qualité de l'air des logements".

DÉPOLLUER GRÂCE À LA LUMIÈRE NATURELLE

Purifier l'air et l'eau qui nous entourent grâce au soleil : tel est l'espoir soulevé par la photocatalyse Le principe directeur de ce procédé ? Exploiter les propriétés de certains semi-conducteurs, comme le dioxyde de titane, qui absorbent les rayons ultraviolets et génèrent à leur surface des radicaux libres. Ces intermédiaires chimiques à très courte durée de vie réagissent immédiatement avec les polluants (hydrocarbures, colorants ou pesticides par exemple) en les oxydant, pour ne donner au final que des minéraux, du gaz carbonique et de l'eau. La méthode, qui fait l'objet de recherches intenses, est également à l'étude pour se débarrasser des virus.
Quelques applications pratiques existent déjà. Des miniréacteurs contenant des nanoparticules de dioxyde de titane sont vendus pour purifier l'air intérieur. En extérieur, à côté des verres auto-nettoyants, des bétons photocatalytiques commencent à faire leur apparition depuis une dizaine d'années sur les murs, les routes et les trottoirs, en particulier au Japon. Des tests en situation réelle ont prouvé la capacité de ces bétons à piéger une partie des oxydes d'azote émis par les gaz d'échappement. Ces expériences sont-elles appelées à se généraliser ? "La photocatalyse n'est pas un procédé miraculeux, mais un outil qui interviendra à un moment ou à un autre dans les mécanismes de traitement, estime Eric Puzenat, de l'Institut de recherches sur la catalyse et l'environnement de Lyon. On peut raisonnablement envisager, d'ici à une ou deux décennies, des matériaux de construction intelligents qui ne vont pas assainir totalement l'air des villes, mais qui en diminueront la dangerosité". Encore faudrait-il d'abord trouver le moyen d'augmenter l'efficacité du procédé. En laboratoire, elle est excellente, puisque la photo-catalyse parvient même à éliminer les polluants présents en proportions infimes (c'est-à-dire moins d'une partie par million). Le problème est que les dispositifs actuels ne fonctionnent qu'avec les ultraviolets. Or, ces rayons représentent environ 4 % de l'énergie du rayonnement solaire reçu à la surface de la Terre. D'où les faibles rendements - à moins d'utiliser des lampes à ultraviolets, mais celles-ci sont gourmandes en énergie. La recherche de nouveaux catalyseurs absorbant la lumière visible est donc une priorité. "Le jour où l'on pourra décaler - ne serait-ce que légèrement - le spectre d'absorption, le gain sera considérable", prédit Eric Puzenat. Il faudra alors aussi s'assurer que la destruction des polluants est totale, sans donner naissance à d'autres produits intermédiaires nocifs pour la santé. C'est le but de tests grandeur nature comme ceux effectués actuellement sur une chaussée de Vanves, en Ile-de-France (À Vanves, il s'agit de tester en situation réelle les capacités de ce béton à dépolluer l'air sous l'action des UV).

7/ Enrayer la pollution de l'air - Enrayer la pollution de l'eau

L.S. - SCIENCE & VIE Hors Série > Juin > 2008
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net