Dossier : Construire un Monde Durable

La Planète vit au-dessus de ses Moyens

Chaque années, l'ONG américaine Global Footprint Network calcule l'empreinte écologique de l'humanité, c'est-à-dire la pression exercée par l'homme sur les ressources naturelles, que l'organisation compare avec la capacité de notre planète à régénérer ses ressources et à absorber nos déchets.

Conclusion : depuis le 31 décembre 1986, la Terre vit au-dessus de ses moyens écologiques. À cette date, pour la première fois de l'histoire, l'humanité avait consommé en un an la totalité de ce que la Terre avait produit dans l'année. Le point d'équilibre entre consommation et régénération des ressources avance de plus en plus tôt sur le calendrier. Il y a dix ans, ce "jour d'épuisement" des ressources naturelles tombait en novembre. Cette année, c'était le 23 septembre. La demande actuelle dépasse de 40 % la capacité de la planète. Les poissons sont pêchés plus vite qu'ils ne se reproduisent, les arbres sont abattus plus rapidement que ceux qui sont plantés, et des milliers d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction.

CHOC N°113 > Novembre > 2008

Nos Besoins Épuisent Trop Vite la Planète

Quels que soient les calculs, les conclusions convergent : l'humanité vit au-dessus des moyens que la nature met à sa disposition. En cause, le mode de développement des pays industrialisés, imités par les pays émergents. Si des remèdes ne sont pas vite envisagés, la tension sur les ressources deviendra problématique dès 2050.

Comme nous, les Anglais aiment les pommes. Mais depuis quelques années, ils préfèrent les importer plutôt que les cueillir sur place. La pomme de Nouvelle-Zélande vaut bien, après tout, celle de la petite ville galloise de Denbigh. Sauf qu'un chercheur britannique, Andy Jones, ouvrant au département de biologie de l'université de York, s'est "amusé" en 2002 à calculer le surcoût énergétique de ce goût très british pour la pomme exotique. Résultat ? L'énergie nécessaire pour transporter une seule pomme de Nouvelle-Zélande à Denbigh (soit un périple de 23.000 km) représente 35 fois celle que l'on a utilisée, sous forme d'engrais, pour la produire. Cela équivaut, au passage, à l'énergie nécessaire pour faire briller une ampoule de 100 watts pendant plus de deux jours d'affilée.
De son côté, David Pimentel, un chercheur de l'université de Cornell, avait calculé, dès les années 1980, qu'un modeste kilogramme de maïs doux en conserve, fournissant 500 kcal dans nos assiettes, requérait, tout au long de son parcours, plus de 6500 kcal au total (énergie nécessaire à la production du maïs, sa préparation, son emballage, son transport, sa distribution, son stockage, son achat et sa préparation). Un rendement à ce point pitoyable laisse songeur. Mais suscite aussi une vague interrogation : aurons-nous assez de ressources pour maintenir un système aussi gourmand ?
Si la planète a du mal aujourd'hui à subvenir à nos besoins, ce n'est pas faute d'offrir à ses hôtes une multitude de ressources nécessaires à leur développement : eau, air, réserves énergétiques, réserves fossiles, minerais, espèces végétales et animales, ressources alimentaires...

BESOINS ET RESSOURCES EN ÉQUATION

D'un côté des ressources, donc, et de l'autre des besoins. Formulée un peu différemment, la question commence à ressembler à un problème d'ingénieur : nos ressources pourront-elles satisfaire durablement nos besoins ? Pour y répondre, l'esprit cartésien devra préciser, sous une forme la plus mathématique possible, les deux termes de cette redoutable équation.
D'abord, les ressources. Quelles sont-elles ? Et sur quelles quantités pouvons-nous compter ? Certaines, comme l'énergie solaire, nous proviennent de l'espace et sont donc, a priori, inépuisables. C'est le cas aussi, de façon plus indirecte, de l'énergie éolienne. D'autres se renouvellent à leur rythme. Plutôt rapide, à l'échelle d'une année, pour les cultures végétales, un peu moins vite pour la faune sauvage et l'élevage. Certaines, comme l'eau et l'air, se recyclent à travers des échanges complexes que nous devons nous efforcer de mieux comprendre et ne pas perturber. D'autres, enfin, constituent un stock défini une bonne fois pour toutes. Comme le pétrole, le gaz naturel et le charbon, les métaux et autres minerais... Sauf à être capable de les recycler nous-mêmes (ce qui est effectivement le cas pour certains minerais), leur consommation épuise inéluctablement le stock. Mais toutes sont en quantités plus ou moins connues.
Reste, de l'autre côtè, à chiffrer les besoins. Quels sont-ils ? Et surtout, comment traduire en langage mathématique une notion aussi impalpable que celle de "niveau de vie décent" ? La question embarrasse les économistes, car il ne s'agit pas seulement, bien sûr, de se "remplir le ventre". En 1990, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a adopté, faute de mieux, un indice statistique, l'indice de développement humain (IDH) pour quantifier la qualité de vie dans une économie donnée. Un indice qui tient compte du PIB, pondéré par le pouvoir d'achat qu'il autorise, mais qui englobe aussi l'espérance de vie à la naissance et le taux d'alphabétisation des adultes. Le tout permet d'obtenir une note comprise entre 0 et 1, censée mesurer la capacité d'une société à satisfaire les besoins les plus essentiels de ses membres. Un IDH de 1 est bien entendu totalement utopique : aucune société ne parviendra jamais à satisfaire complètement les besoins fondamentaux de tous ses habitants...

Ampoule de 60 watts
Impact sur l'environnement. La production d'une simple ampoule à filament de 60 watts exige entre 0,5 et 1,9 mégajoule (MJ) d'énergie primaire. Durant sa durée de vie moyenne, évaluée à 1000 heures, cette ampoule aura consommé 546 MJ supplémentaires, contre 109 MJ pour une ampoule fluocompacte d'une luminosité identique. Autre différence : elle rejettera dans l'atmosphère 27 kg de CO2 contre environ 5 pour la fluocompacte. L'ampoule à filament utilise de 1 à 5 % de l'énergie totale de sa durée de vie pour la phase de fabrication, les 95 à 99 % restants sont consommés durant l'utilisation.
Cafetière -Impact sur l'environnement. Si l'on considère qu'elle sera utilisée 2x/jour pendant sa durée totale de vie (soit 5 ans) en demi-charge (c'est-à-dire pour une contenance de 5 cafés), une cafetière électrique de 2 kilos exigera 3650 filtres à papier pour fonctionner et 375 kWh d'électricité. Cette consommation électrique représente son impact maximal le plus significatif sur l'environnement. Elle produira également 9,6 kg de déchets municipaux, dont 8,25 seront incinérés. Son taux de recyclage n'est que de 36%.
Assiette - Impact sur l'environnement. Assiette en papier ou en porcelaine ? L'assiette en porcelaine de 300 grammes aura nécessité 3 kg d'argile transporté sur environ 1000 km. Mais en considérant qu'elle peut servir pour 1000 repas, il faut 1000 assiettes en carton pour ce même usage, soit 30 kg de bois. L'énergie par repas, contenue dans l'assiette même, est alors de 0,6 MJ pour le papier contre 1 MJ pour la porcelaine. Mais si l'on regarde les émissions de CO2, le rapport s'inverse de façon spectaculaire : l'assiette en porcelaine n'en rejette que 1,51 kg tandis que son équivalent en papier (1000 assiettes) en rejette au total 6,9 kg.

LA SCIENCE À LA RESCOUSSE

En revanche, le PNUD considère qu'un IDH de 0,8, soit à peu près le score que vient d'atteindre le Mexique depuis l'an 2000, correspond à un "haut niveau de développement humain" (on notera que plus de la moitié des pays - et de la population mondiale - ne l'atteignent pas, certains en sont même très loin...). La planète a-t-elle suffisamment de ressources pour permettre à tous ses habitants d'atteindre durablement un tel niveau de développement humain ? Voilà une question suffisamment précise pour que la science puisse tenter d'y répondre. Essayons.

UNE COÛTEUSE LOGISTIQUE - Quelle quantité de ressources le seul transport des marchandises et leur vente prélèvent-ils dans nos économies mondialisées ? C'est à cette question qu'ont cherché à répondre, en juin 2005, l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie (Ademe), via l'étude de deux produits courants : le yaourt et le blue-jean. Le calcul est loin d'être simple.
Pour le yaourt, il faut suivre la collecte du lait dans les fermes. Mais aussi le transport des emballages et d'autres ingrédients (fruits, sucre) qui viennent de différentes régions de France et de l'étranger. En retour, la production de yaourt donne un résidu, le sérum, expédié vers un autre site. Il faut ensuite acheminer les yaourts, en semi-remorque réfrigéré (réfrigération qui représente 16 % de l'énergie consommée par le transport), jusqu'aux plates-formes du producteur, pour approvisionner les magasins. Résultat ? Alors qu'il faut environ 39g équivalent pétrole (gep) d'énergie pour produire un kilo de yaourt, il en faut jusqu'à trois fois plus pour assurer toute sa logistique. Et le maillon qui, dans cette chaîne, consomme le plus est le dernier : sa vente en magasin. D'abord pour conserver le yaourt dans des présentoirs réfrigérés. Un kilo de yaourt va en effet utiliser de 90 à 95 gep d'électricité (consommation d'autant plus forte, par kilo de yaourt vendu, que le magasin est petit), avant de tomber dans le Caddie du transporté jusqu'au domicile. Dans le cas d'un achat en hypermarché, le consommateur dépense donc autant d'énergie pour aller chercher le yaourt qu'il en a fallu pour le produire. Pour le jean, c'est en revanche l'acheminement du produit vers le magasin qui représente la principale dépense d'énergie. Le coton, récolté par exemple dans les champs ouzbeks, est acheminé d'abord par train (1600 km) jusqu'au port d'Abbas (Iran), puis par bateau (1985 km) jusqu'à Bombay (Inde), d'où il est transporté vers les industries de filature et de tissage de Nagpur (Inde) par train (1127 km). Les fils et tissus prennent ensuite la route, sur 3200 km, vers les industries de confection de Dhaka, au Bangladesh. Les jeans parcourent alors 485 km en train jusqu'au Bangladesh, avant d'être chargés sur un bateau qui les mènera au Havre, en France, via Singapour, pour une "croisière" de plus de 17.000 km. Reste encore à les emporter par barges et camions jusqu'aux entrepôts, avant de les distribuer, enfin, par semi-remorques, dans différents magasins. Soit 27.200 km en tout ! Bilan : plus de 200 gep dépensés par kilo de jean (contre 70 si le coton provient d'Egypte). Auxquels il faut ajouter entre 74 et 90 gep consommés par la mise en rayon, et entre 9 et 38 gep dépensés par le consommateur pour venir l'acheter. À condition qu'il ne revienne pas, bien sûr, le rapporter pour quelques retouches !

La Terre a une surface de 51 milliards d'hectares, dont seuls 22 % sont biologiquement très productifs (le reste comprend l'Antarctique, le Sahara, les zones océaniques peu productives, etc.). Si l'on divise la surface la plus productive de notre planète par le nombre d'habitants (de l'ordre de 6,5 milliards), on obtient une surface comprise entre 1,7 et 1,8 ha par personne. C'est la taille moyenne de la "ferme" - terres cultivées, forêts, pâturages et zones de pêche - dont dispose virtuellement chaque habitant de la planète. Mais il s'agit aussi d'une taille limite, dont il serait sage de ne pas s'approcher si l'on veut laisser quelques hectares disponibles pour les espèces sauvages, qui nous rendent tout de même quelques menus services. Un développement, pour être qualifié de durable, doit donc, au minimum, garantir un IDR de 0,8, tout en restant en dessous de cette limite de 1,8 ha par personne, sauf à accepter que les autres sources. Parmi tous les développements possibles, cela définit donc un cadran très serré. Comment déterminer si nous entrons bien "dans la boîte" ?
L'équipe de Mathis Wackernagel, directeur exécutif de l'organisation Global Footprint Network, a mis au point la méthode de "l'empreinte écologique", pour évaluer la quantité de nature actuellement utilisée par chaque habitant. C'est-à-dire, en somme, la surface de sa "ferme" personnelle, qu'il sollicite pour produire sa nourriture (culture et élevage, pêche), son bois et les fibres pour ses vêtements, la surface occupée pour construire sa maison et les infrastructures qu'il utilise (routes, etc.)... mais aussi celle nécessaire pour absorber les déchets que son mode de vie a produits, notamment le gaz carbonique qu'il va émettre pour se chauffer ou se déplacer, etc. Evidemment, cette ferme est répartie sur toute la surface du globe : le blé et le vin proviendront par exemple de France, le maïs des Etats-Unis, le coton d'Egypte, etc. Les calculs ont été faits pour les 150 pays les plus grands, prenant en compte ce qui est produit, importé et exporté par chacun des pays. En revanche, toutes les atteintes à l'environnement ne sont pas comptabilisées : la pollution de l'eau, par exemple, n'est pas prise en compte. De nombreux spécialistes de l'environnement ne sont donc pas convaincus par cet indicateur - de la même manière d'ailleurs que tous les économistes ne jugent pas forcément l'IDH pertinent. Mais l'empreinte écologique a au moins le mérite d'exister et le sérieux de ces calculs est indéniable. Alors, quelle est l'empreinte écologique d'un Terrien ? Elle s'élève en moyenne à 2,2 hectares par personne. C'est-à-dire que chaque habitant de la Terre prélève, en moyenne, les services et ressources renouvelables que peuvent lui fournir 2,2 hectares de terre. Conséquence ? La demande humaine dépasserait d'environ 25 % la surface disponible. En clair, l'espèce humaine vit à crédit. Elle consomme chaque année davantage que ce que la nature peut fournir en se reconstituant. Formulé encore autrement, il faut un an et trois mois à la Terre pour reconstituer ce que nous consommons en une année. L'humanité épuise le stock et ce, depuis la fin des années 1980, notamment à cause de nos émissions de CO2 dont l'empreinte écologique a été multipliée par neuf entre 1961 et 2003 (c'est-à-dire qu'il faut désormais neuf fois plus de surfaces naturelles pour absorber le CO2 émis).
Les séquelles en sont visibles : érosion des sols, la déforestation (16 millions d'hectares de forêt naturelle disparaissent chaque année), perte de la biodiversité, accumulation des polluants, etc. Un seul exemple fixe la mesure de ce "pillage" des ressources : un navire-usine peut aujourd'hui capturer et conditionner cent tonnes de poissons à l'heure, soit l'équivalent des prises d'un bateau de pêche du XVIè siècle en une saison entière ! En un siècle, la quantité de poissons capturés en mer a donc été quasiment multipliée par 20. À qui la faute ? C'est là que la science, au sens strict, s'efface et que les points de vue s'affrontent. Serions-nous tout simplement trop nombreux ? Les esprits malthusiens ont beau jeu de souligner que la population humaine a quadruplé depuis le début du XXè siècle. La planète, selon les plus radicaux d'entre eux, ne pourrait pas accueillir durablement plus de 500 à 600 millions d'habitants.

Canette - Impact sur l'environnement. Pour fabriquer une canette de soda en aluminium de 33 cl, il faut 4g de matières premières et 0,687 MJ énergie. Elle est a priori totalement recyclable, mais elle nécessite néanmoins 0,33 MJ d'énergie primaire pour être construite. Elle rejette, de sa création à sa mise en déchet, 0,15 kg d'équivalent CO2, 0,015 g de métaux dans l'air et 0,05 g de métaux dans les eaux.
Ordinateur - Impact sur l'environnement. La construction d'une unité centrale de PC nécessite 13.000 MJ d'énergie primaire, soit l'équivalent énergétique de 373 litres de pétrole. Un ordinateur rejette, tout au long de sa "vie", environ 650 kg d'équivalent CO2 et il acidifie l'atmosphère à raison de 5 kg d'équivalent SO2. Sa fabrication nécessite environ 2800 kg de matières premières et en relâchera 140 sous forme de déchets municipaux et industriels et 24 kg de déchets dangereux. Sans compter que son utilisation exige de l'électricité.
Réfrigérateur - Impact sur l'environnement. Il faut environ 140 kg de matières premières diverses pour produire un réfrigérateur de 54 kg d'une capacité de 200 litres, ainsi que les 6 kg d'emballage qui l'accompagnent. Côté énergie, compter 3400 MJ d'énergie primaire pour extraire ces matière premières, 600 MJ pour la fabrication, et 200 MJ pour le transport. le réfrigérateur en consommera 3120 sous forme électrique durant ses 13 ans d'utilisation. 70% de ses composants peuvent être recyclés.
Lingette - Impact sur l'environnement. Lingette, spray ou liquide détergent pour le ménage ? Le spray produirait trois fois moins de déchets que les lingettes, à service rendu équivalent, et le détergent liquide six fois moins. Mais la lingette utiliserait trois fois moins d'eau que le détergent liquide. Et c'est le spray qui consommerait le moins d'énergie primaire. Quoiqu'il en soit, une lingette consomme, au total, environ O,5Mj d'énergie primaire et 5,6 grammes de matières premières. Elle nécessite également 0,85 litres d'eau pour laisser, ensuite, 3,69 g de déchets non-valorisables et 1,4 g d'emballage. Elle rejette aussi 20g de CO2 dans l'atmosphère.

OÙ SONT LES LIMITES ?

Une vision contre laquelle des démographes comme le français Hervé Le Bras se sont élevés, arguant que les technologies évoluent tout comme les environnements. Aussi est-il très difficile de définir les limites réelles de ce que la planète peut physiquement supporter. La pollution par le cuivre en est un exemple édifiant : sa concentration dans l'atmosphère, inscrite dans les bulles d'air piégées dans les calottes glaciaires, a commencé à s'élever il y a 2500 ans pour culminer à l'apogée de l'Empire romain, qui produisait 15.000 tonnes par an. Aujourd'hui, la production est de 9 millions de tonnes, soit presque mille fois plus. Et pourtant, sa concentration dans l'air a été divisée par 10. Le rapport entre population totale et impact sur l'environnement est donc loin d'être linéaire et peut même, au contraire, s'inverser dans certains cas.
Autre constat, l'Amérique du Nord, États-Unis en tête, est la région du monde où les habitants prélèvent le plus sur les ressources mondiales : selon le rapport 2006 du WWF (World Wildlife Fund), Chaque Américain du Nord "consomme" 3,7 hectares de plus que ce que sa région peut lui fournir. L'Union européenne suit, avec un déficit de 2,6 ha. Les chiffres montrent que si l'Europe utilisait, il y a quarante ans, l'équivalent planétaire d'une Europe pour subvenir à ses besoins, elle a besoin aujourd'hui de deux Europe pour continuer son développement, sans être pour autant deux fois plus peuplée. Si Europe et Etats-Unis sont des régions débitrices, ce n'est pas le cas de l'Amérique latine qui aurait des réserves écologiques de 3,4 hectares par habitant : ses habitants, en moyenne, prélèveraient donc beaucoup moins que ce que leur environnement pourrait leur donner. Les pays du Sud, à qui l'on reproche régulièrement leur trop forte natalité, ont donc quelques arguments pour rétorquer, en retour, que les problèmes écologiques proviennent essentiellement des modes de développement adoptés par les pays industrialisés. Pourquoi les Etats-Unis, dont la qualité de vie n'est pas sensiblement supérieure à celle de l'Italie, ont-ils une empreinte écologique deux fois et demie supérieure ? La question n'est pas qu'académique. Car, toujours selon le même rapport, si nous ne changeons rien et poursuivons la tendance modérée définie par les scénarios pourtant optimistes de l'Onu, la dette accumulée correspondra, en 2050, à 35 années de production biologique, c'est-à-dire à tout ce que la biosphère produit - nourriture, renouvellement du bois, absorption du CO2 - l'humanité prélevant alors chaque année deux fois plus de ressources que ce que la Terre peut renouveler. Certes, notre planète ne va pas cesser du jour au lendemain de produire du pétrole, du blé ... mais dès 2050, la tension sur les ressources deviendra problématique. C'est un peu comme un compte en banque : si une personne commence à dépenser, pendant un mois, davantage que ce qu'elle gagne, elle ne sera pas aussitôt en situation d'interdit bancaire, son compte sera simplement dans le rouge ; mais si la situation perdure plusieurs mois, c'est la banqueroute assurée. Quoi que l'on pense du modèle de développement actuellement adopté par les pays industrialisés et imité par les économies émergentes, un point reste donc certain : il ne pourra physiquement pas durer.

SUIVRE LE PRODUIT DU BERCEAU JUSQU'À LA TOMBE
Calculer l'impact total d'un produit sur l'environnement : c'est l'objectif des analyses de cycle de vie (ACV), une méthode mise en place dans les années 1990. Elles intègrent l'extraction des matières premières, la fabrication, les transports, l'utilisation et même la mise en décharge ou le recyclage. L'idée ? Obtenir une vision globale du produit, du berceau jusqu'à la tombe. En fonction de l'objet, les impacts retenus sont en général l'effet de serre, l'acidification de l'atmosphère, l'épuisement des ressources naturelles, l'eutrophisation (dégradation des cours d'eau à cause d'un excès de nutriments rejeté), l'énergie consommée et la quantité de déchets obtenus au final. L'entreprise est complexe, d'où de multiples incertitudes sur la valeur réelle des impacts, que l'on qualifie en général de "potentiels". Mais la méthode a prouvé son intérêt pour comparer différents produits entre eux et choisir celui que l'on estime le plus indolore pour l'environnement. À condition, bien sûr, de raisonner "à service rendu identique". Inutile, par exemple, de pénaliser une peinture qui émettrait certes 30 % de polluants en plus mais nécessiterait beaucoup moins d'applications pour un résultat identique qu'une peinture apparemment moins polluante. L'ACV permet d'identifier les principales atteintes à l'environnement causées par un produit afin de choisir, lorsque différentes solutions techniques sont possibles, les impacts que l'on veut réduire en priorité. L'intérêt est aussi de mettre au jour certains pièges : par exemple, changer un matériau peut permettre de consommer moins de ressources non-renouvelables lors de la fabrication, mais polluer davantage les eaux lors du recyclage ou de la mise en décharge.

UNE TERRE POURTANT PLEINE DE RESSOURCES

Si un extra-terrestre avait pour mission de cataloguer l'ensemble des ressources disponibles sur la planète Terre pour y habiter, quel inventaire ferait-il ? C'est à partir de cette question insolite que nous avons entrepris de recenser les richesses disponibles à la surface (mais aussi à l'intérieur) de notre terre d'accueil. Et ce, afin de répondre aux angoisses qui cristallisent autour du sentiment que l'homme va bientôt manquer de ce qui est nécessaire à son développement. Qu'en est-il vraiment ? Un état des lieux s'imposait...

Et l'oil neutre d'un extraterrestre paraissait approprié pour l'opération, même s'il était impossible de s'affranchir de préoccupations propres à l'homme, comme respirer, boire et manger. Mais par où commencer dans cet inventaire de notre vaste monde? L'eau, l'air, la terre, viennent spontanément en tête. De même, les sources d'énergie trouvent naturellement leur place dans ce panorama.

LA CHASSE AUX CHIFFRES A COMMENCÉ

L'insertion de la biodiversité peut surprendre, mais au vu des services rendus à l'homme, il est apparu évident de l'intégrer. Quant aux ressources alimentaires, qui ne sont pas "naturelles" au sens strict, difficile d'imaginer qu'un extra-terrestre passerait à côté des immenses étendues agricoles et des milliards d'animaux d'élevage qui peuplent la Terre. La chasse aux chiffres pouvait commencer... et les difficultés avec ! Car dans de nombreux cas, les données sont inexistantes ou approximatives, et très souvent variables d'une source à l'autre. Le plus difficile étant d'accéder aux ressources ultimes, soit la quantité totale présente sur Terre (par opposition aux quantités répertoriées à l'heure actuelle). Car celles-ci n'ont pas été mesurées, et ne le seront sans doute jamais in extenso. Il n'existe donc que des évaluations, basées sur des extrapolations, des hypothèses ou des bilans. D'où la nécessité de se restreindre, par exemple pour les combustibles fossiles et les minerais, aux réserves connues et prouvées. Mais celles-ci dépendent beaucoup de l'effort de prospection, des technologies disponibles et aussi du coût d'extraction. Ce qui donne une borne inférieure de la ressource. Et pour certaines matières, la ressource ultime serait supérieure de plusieurs ordres de grandeur aux réserves connues. Ceci induit une grande incertitude sur le stress réel associé à chaque ressource, qui est calculé comme le rapport entre la réserve et ce qui en est extrait chaque année. Chiffre qui lui-même n'est valable que pour le niveau actuel de consommation. Or, la consommation va très probablement s'accélérer dans les décennies à venir. Selon que la dynamique de découverte de nouvelles ressources sera supérieure ou non à la croissance de la demande, la tension va alors diminuer ou augmenter...
Nous avons choisi de considérer les ressources sous le prisme de leur quantité, et observé que notre planète regorge de richesses, certes finies, mais pour la plupart largement suffisantes à assurer le développement humain. Reste que l'homme n'est pas insensible à la qualité de l'air qu'il respire, de l'eau qu'il boit, de la nourriture qu'il consomme ou de son environnement... Et c'est bien sur ces points qu'il convient de s'inquiéter lorsque l'on se demande si la Terre répondra encore longtemps aux exigences incessantes de ces hôtes.

Ressources de la Terre : eau, air, réserves énergétiques, réserves fossiles, minerais, espèces végétales et animales, ressources alimentaires...

BORIS BELLANGER ET LAURA LALLEMENT

1/ Nos besoins épuisent la planète

E.M. - SCIENCE & VIE Hors Série > Juin > 2008
 

   
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