Hausse du coût de l'énergie, envolée des matières premières, pénurie de pétrole annoncée : plus que jamais l'industrie doit se montrer économe. Ne serait-ce que pour rester rentable... Avis de tempête dans l'industrie. En mai 2008, le pétrole continuait son envolée, dépassant les 120 dollars (environ 77 €) le baril. En mars, le premier producteur de minerai de fer, le Brésilien Vale, imposait de son côté à ses clients une hausse des tarifs de 65 %. Le prix du platine affichait, lui, plus 40 %. Quant au cours du cuivre, il passait de 6700 à 8580 $ la tonne en deux mois. Autant de tensions qui illustrent à quel point la compétitivité des industries manufacturières dépend, plus que jamais, de leur capacité à utiliser avec parcimonie les richesses naturelles de notre planète. Et pas seulement parce que ces richesses ne sont pas infinies. Car ce dont témoigne aujourd'hui l'envolée des cours, ce n'est pas tant de la raréfaction de la ressource que d'un problème de production. Pour de nombreux minerais, la pénurie est due à un manque d'anticipation de la croissance des marchés émergents et à la spéculation (on stocke des ressources pour assécher le marché et faire monter les prix). Pour le fer, c'est une demande chinoise en explosion que l'offre a du mal à suivre. Et pour cause : l'ouverture de nouvelles mines prend de sept à dix ans. Pour le platine, utilisé entre autres dans les pots catalytiques des moteurs Diesel, la flambée est imputée à des grèves dans les mines sud-africaines, en situation de monopole. Le cuivre, lui, cumule grèves et forte augmentation de la demande, auxquelles il faut ajouter des spéculations boursières. PAS DE PÉNURIE HORS DE L'ÉNERGIE FOSSILE "À long terme, il n 'y a aucun risque de pénurie en dehors de l'énergie fossile", rassure Jean-Louis Vignes. Ce chimiste rassemble chaque année les données sur les principaux produits chimiques, métaux et matériaux éditées par la Société française de chimie. Bilan ? "Les stocks présents dans l'écorce terrestre couvriront largement les besoins, même en cas de fort développement économique". À la vitesse de consommation actuelle, il resterait plus de 100 ans de réserves de fer, plus de 200 d'aluminium. Certes, d'autres matières premières sont moins pléthoriques. Le chimiste évalue ainsi qu'à la vitesse d'extraction actuelle, en ne prenant en compte que les réserves connues, il resterait 14 années de réserve d'argent, 17 d'or, ou encore 22 de plomb. Mais c'est compter sans le recyclage. Les filières permettront de parer à la pénurie. Et en cas de manque, "en chimie, on peut toujours trouver des solutions de substitution". Un raisonnement qui ne peut évidemment pas s'appliquer aux substances énergétiques. Là, pas de recyclage possible. Or les réserves se réduisent comme peau de chagrin. Pas toutes, certes. Il resterait ainsi au minimum pour 150 ans de charbon, si l'on ne considère que les réserves prouvées et économiquement extractibles avec nos techniques actuelles. Le chiffre devrait donc augmenter avec la découverte éventuelle de nouveaux gisements, ou l'augmentation des prix de l'énergie qui vont rendre rentables de nouvelles techniques d'extraction. L'uranium non plus n'est pas concerné par la pénurie annoncée : certes, il n'en resterait que pour 32 ans si l'on ne prend en compte que l'uranium extractible à moins de 80 $/kg, mais le chiffre grimpe jusqu'à 70 ans si l'on considère le stock présumé. Le problème, pour le moment, est donc bien le gaz et le pétrole. Côté gaz, les experts prévoient plus de 60 ans de réserves. Quant au pétrole, le pic à partir duquel la production va inexorablement chuter devrait être atteint dans 5 à 30 ans. Pourquoi une telle marge d'incertitude ? D'abord parce que tous les experts ne mettent pas la même chose derrière le mot "réserves".
DES RÉSERVES DIVERSEMENT ÉVALUÉES Pour les Américains, il s'agit du pétrole extractible à partir des ressources physiques connues, compte tenu des conditions techniques et économiques du moment. Dans beaucoup d'autres pays, on ajoute à ces réserves dites prouvées la moitié des réserves probables. Autrement dit, le pétrole que l'on pense pouvoir extraire à l'avenir avec les moyens futurs dans des gisements dont on pense qu'ils existent. Et ce n'est pas tout ! On y ajoute encore un quart des réserves possibles, celles-là totalement virtuelles. Par ailleurs, les compagnies pétrolières et les pays producteurs ont tendance à gonfler leurs réserves pour faire monter leurs actions, pour les premiers, ou pour se donner le droit d'augmenter leur production, pour les seconds. On comprend dès lors la diversité des chiffres. D'autant que, comme le souligne Christian Hocquard, économiste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), "dès qu'on fait face à une situation de rareté, les prix montent et les techniques pour exploiter des gisements jusqu'alors difficilement exploitables car trop coûteux deviennent rentables". L'augmentation du prix du pétrole fait donc automatiquement croître les réserves... PEU DE NOUVEAUX GISEMENTS Cette logique purement financière est d'ailleurs aujourd'hui la seule à faire progresser les réserves. Car depuis trente ans, la découverte de gisements abordables est en panne. Pour Yves Matthieu, de l'Institut français du pétrole (IFP), "les prochains gisements qu'on trouvera seront plus chers à exploiter. Ce ne seront plus des gisements à 10 $ le baril comme en Arabie saoudite, mais plutôt à 35 $, voire plus". Des réserves probables, ou possibles, qui ne représentent de toute façon que 15 % des réserves prouvées. Pas de quoi prolonger longtemps une économie pétrolière... Or les combustibles fossiles fournissent aujourd'hui 85 % de l'énergie utilisée dans le monde. Il est donc temps pour les industriels de réfléchir sur la durabilité de leur production et de leur business. Les hausses du prix des hydrocarbures se répercuteront sur celui des produits raffinés, comme l'essence, et sur des nombreux produits dérivés du pétrole dont la chimie dépend pour produire des médicaments, des plastiques, des vêtements... "On peut imaginer qu'au bout de quelques épisodes de hausse, les ressources de pétrole seront réservées aux applications "nobles", comme les plastiques", selon Christian Hocquart. Se contenter de brûler une ressource si chère deviendra en effet économiquement absurde. Et à ce tarif, les techniques d'économies d'énergie en tout genre et les alternatives à l'énergie fossile vont devenir rentables. D'autant qu'elles présentent l'avantage de ne pas faire dépendre les économies nationales de pays producteurs de pétrole souvent politiquement instables.
MISER SUR LES NOUVEAUX MATÉRIAUX L'industrie aéronautique l'a compris depuis longtemps : plus léger rime souvent avec économe. Ne serait-ce qu'au niveau de la consommation d'énergie. Mais comment dégraisser un avion ? En utilisant de nouveaux matériaux. Comme ces feuilles d'aluminium prises en sandwich entre des lamelles de résine que conçoit le département Ingénierie aérospatiale de l'université de technologie de Delft en Hollande, la société GTM Advanced Structures (spécialisée dans les matériaux pour l'aéronautique) et Alcoa (producteur américain d'aluminium). Le Central (Central Reinforced Aluminium) pourrait alléger les ailes d'environ 20 %. Mais alléger les matériaux n'est pas la seule solution pour être moins gourmand en ressources. La firme automobile japonaise Mitsubishi a, elle, opté pour le plastique "vert". Une matière utilisée pour réaliser les habillages intérieures du Concept-cX, un prototype présenté au salon de l'auto de Francfort fin 2007. La recette de ce plastique vert ? Un mélange de résines à base de plantes, notamment de bambou. Garanti sans pétrole, mais pas encore sur le marché contrairement au PLA, l'acide polylactique à base d'amidon modifié. Ce nouveau matériau plastique - biodégradable - fleurit de plus en plus sur les marchés et les supermarchés sous la forme de sacs. Comme quoi même les objets les plus quotidiens peuvent contribuer à réduire la tension sur les ressources. RÉSERVER LE PÉTROLE À SES USAGES "NOBLES" À plus de 120 $ le baril, le pétrole n'a jamais autant mérité son surnom d'or noir. Pour de nombreux chimistes, il est donc grand temps de le réserver à leur discipline. Car le pétrole est pour eux un ingrédient précieux. Engrais, plastiques, solvants, nylon, résines, lubrifiants : il est présent dans toutes ces substances et parfois difficilement remplaçable. Ce qui n'est pas le cas dans les transports où l'on peut lui substituer, au moins en partie, d'autres sources d'énergie. Les agrocarburants en sont sans doute le meilleur exemple, bien qu'ils fassent l'objet de plusieurs critiques. En attendant, tous les moyens sont bons pour réduire la consommation d'essence des véhicules. La technique la plus aboutie aujourd'hui est celle de la voiture hybride. Une voiture à deux moteurs. Le premier, thermique, fonctionne à l'essence. Le second, électrique, récupère toute l'énergie perdue ou gaspillée lorsque le moteur thermique tourne, que la voiture freine ou ralentit. La formule convainc, puisque le pionnier en la matière, Toyota, a vu ses ventes de Prius croître de 44 % aux Etats-Unis l'an dernier. Mais il n'y a pas que les transports qui proposent une alternative au pétrole. Le groupe français Lafarge, premier fabricant mondial de ciment, s'est ainsi attaqué aux combustibles fossiles (en général, du charbon) utilisés pour chauffer les énormes tours dans lesquelles est cuit le ciment. Il ajoute à ces combustibles des déchets industriels ou agricoles, comme des huiles usagées, des coques de noix de café en Ouganda, l'enveloppe des grains de riz aux Philippines, etc. Ces nouveaux combustibles représentent aujourd'hui plus de 10 % de l'énergie totale utilisée. Lafarge se targue d'avoir ainsi épargné l'émission de 9 millions de tonnes de CO2 en 2006. D'autres déchets, eux, viennent remplacer une partie du calcaire ou de l'argile utilisé pour fabriquer le ciment, comme des cendres volantes émises par les centrales thermiques ou les fonderies. Leur utilisation est devenue courante, puisque certains ciments en contiennent de 50 à 60 %. En 2005, ces adjuvants représentaient 7 % de la masse de ciment produit en France. AMÉLIORER L'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE Comment produire avec moins ? D'abord, en économisant l'énergie. Cela passe par traquer tous les gaspillages, aussi petits soient-ils. Petit exemple : en formant ses facteurs à une conduite plus douce, La Poste a montré qu'elle pouvait réduire les consommations de carburant de 8 %. Ce n'est pas rien mais d'autres secteurs, plus polluants, ont connu des évolutions bien plus spectaculaires. Ainsi, entre 1973 et 2002, grâce notamment à l'amélioration du rendement des chaudières, le secteur de la sidérurgie a divisé par quatre la quantité d'énergie brûlée par tonne d'acier produite ! En d'autres termes, ce secteur a enregistré une baisse de 75 % de son intensité énergétique, qui mesure le rapport entre la consommation d'énergie et le produit intérieur brut (PIE) obtenu (à prix constant). Depuis environ un siècle, l'intensité énergétique des grands pays occidentaux baisse, signe qu'il faut de moins en moins d'énergie pour produire une même quantité de richesses. Et c'est l'industrie qui mène la danse, avec une diminution globale de 62 % entre 1970 et 2004. Une baisse obtenue, certes, en réorientant certaines industries vers un secteur tertiaire moins énergivore, mais aussi grâce au progrès technique et à de nouvelles normes d'efficacité énergétiques, parfois imposées par les Etats et encouragées par des aides ou des subventions. RECYCLER EN TOUTES CIRCONSTANCES Quand l'industrie fait les poubelles... Pourquoi extraire et transporter à grands frais de nouvelles matières premières quand d'autres cherchent au contraire à se débarrasser de matériaux qui peuvent aussi bien faire l'affaire ? Un concept qui commence timidement à être appliqué dans les écoparcs où l'on pratique la symbiose industrielle : des entreprises s'associent de manière à ce que les déchets des uns deviennent les matières premières des autres. Tel un écosystème.
Autre secteur qui gagnerait à avoir recours au recyclage, le bâtiment. En Ile-de-France, par exemple, la demande en gravats, avec lesquels on fabrique le béton, n'est plus satisfaite qu'à 60 % par les carrières ou les sédiments de la région. Or, comme l'explique Denis Damidot, spécialiste de la question à l'Ecole supérieure des mines de Douai, (d'importation de matériaux aussi encombrants revient trés cher. Le coût des granulats, par exemple, qui s'éléve à environ 7 € la tonne, double pour 30 kilométres de transport". Dans ces conditions, l'idée de réutiliser localement les déchets de construction ou de démolition a commencé à s'imposer. Seules contraintes : que les gravats ne contiennent pas de composés chimiquement actifs (comme le plâtre ou les peintures) et qu'ils soient triés par taille. Mais imposer cette idée ne va pas forcément de soi dans un secteur qui peine encore à se défaire de quelques mauvaises habitudes, comme celles du dépôt sauvage. Il n'empêche : les plus grosses entreprises commencent à intégrer la notion de déconstruction sélective des bâtiments. Avant de démolir, un audit fait le point sur les déchets qui seront générés, et programme chaque étape de manière à obtenir un mélange de matières utilisables, et notamment des granulats classés selon leur taille et leurs propriétés. Une logique de recyclage qui peut s'appliquer à de nombreux autres domaines. "Nous fabriquons de la signalisation routière et du mobilier urbain, explique Stéphane Bruschi, directeur commercial de Sodilor à Sarreguemines. Et nous proposons à nos client de reprendre leurs déchets plastiques, que nous recyclons ensuite dans les produits que nous fabriquons". LOUER LES PRODUITS PLUTÔT QUE LES VENDRE "Tout ce que Xerox délivre à ses clients est conçu pour être repris : machine, cartouche d'encre, pièce détachée ou emballage... La seule chose que nous voulons laisser à nos clients est LE DOCUMENT". Telle était déjà la formule de Rank Xerox, spécialiste mondial de l'impression sur papier, en 1997. L'entreprise était la pionnière d'un concept né à la fin des années 1980 sous le nom d'économie de fonctionnalité. Le principe ? Vendre l'usage d'un appareil plutôt que l'équipement lui-même. "Cette stratégie lui a permis de pénétrer un marché frileux à investir dans des technologies de reproduction de documents novatrices", rappelle Johan Van Niel dans un rapport que ce jeune ingénieur a effectué pour l'Agence de l'environnement et pour la maîtrise de l'énergie (Ademe) sur l'économie de fonctionnalité. Pari gagné : en proposant à ses clients de louer leur équipement avec sa maintenance plutôt que de l'acheter, la location et les services de reproduction à la copie représentaient, en 2000, la moitié des revenus de l'entreprise. D'autres entreprises ont suivi. Comme le fabricant de pneus Michelin, qui propose aux transporteurs routiers la maintenance des pneumatiques pour diminuer leur consommation de carburant. La moitié des grandes flottes de poids lourds ont depuis adopté de tels systèmes. Sur le même modèle, aux États-Unis, le fabricant de moquettes Interface loue ses produits et la blanchisserie Elis vend l'usage du linge qu'elle détient, lave, et répare pour ses clients professionnels. D'autres louent du mobilier et même des pacemakers !
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