Jusqu'à 4 milliards de tonnes : c'est la production mondiale de déchets par an. Les gérer relève du défi à la fois environnemental et économique. L'idée phare ? Les transformer en ressources. Alerte, les déchets s'accumulent ! Les incinérateurs polluent, les décharges débordent et le recyclage est à la traîne. Et c'est sans parler des dépôts sauvages, où plus de la moitié des déchets municipaux des zones urbaines finissent leur vie, et qui sont particulièrement nombreux dans les pays en développement. Certes, côté européen, la mise en décharge tend à baisser, en réponse à la directive européenne de 1999 qui impose aux Etats membres de réduire la quantité de déchets biodégradables stockés, pour limiter les émissions de biogaz. Mais en France, plusieurs départements sont au bord de l'asphyxie, 41 % des décharges arrivant aujourd'hui à saturation. Il serait physiquement possible d'ouvrir de nouveaux centres d'enfouissement, mais il faut compter avec l'hostilité croissante des riverains. Aussi la question devient-elle lancinante : que faire des 2,5 à 4 milliards de tonnes de déchets collectés (hors construction et démolition, mines et agriculture) que produit chaque année la population mondiale ? Une quantité qui, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), devrait encore augmenter de 40 % d'ici à 2020 ! Autre incertitude, cette fois concernant les déchets dangereux. D'abord, la frontière entre ce qui est dangereux ou non reste poreuse. La collecte de ces déchets est donc souvent mal ciblée. C'est le cas, en particulier, des équipements électriques et électroniques qui contiennent pour certains des substances toxiques. "Les déchets dangereux posent un problème même en France, car une partie continue de se retrouver dans les déchets banals, souligne Gérard Bertolini, économiste de l'environnement et directeur de recherche au Laboratoire d'analyse des systèmes de santé du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Prenez par exemple les déchets de l'industrie du bois : les bois traités peuvent être incinérés ou bien éliminés dans les chaudières municipales alors qu'ils sont considérés comme dangereux, mais leur tri n'est pas encore bien organisé". On sait toutefois que c'est en Europe et aux Etats-Unis que sont produites les plus importantes quantités de déchets dangereux, soit respectivement 53 millions et 37 millions de tonnes par an. Il faut aussi compter avec la vieille habitude d'en expédier discrètement une partie en Afrique, en Asie et aujourd'hui dans les pays d'Europe de l'Est. Malgré la Convention de Bâle, qui a instauré en mars 1989 un contrôle des importations et exportations de certains de ces déchets, "la tentation est encore forte d'en tirer bénéfice en les exportant vers les pays en développement voire de s'en débarrasser à moindre coût", indique-t-on à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP). Une pratique qui permet aux industriels de les traiter à plus bas coût, voire d'en vendre une partie. C'est notamment le cas des déchets électriques et électroniques, riches de métaux (acier, aluminium, cuivre, etc.), verre, plastique, métaux précieux (or, palladium) et substances dangereuses (arsenic, mercure, cadmium) : encore aujourd'hui, si ces appareils ne sont pas éliminés dans les décharges ou recyclés sur place, ils sont vendus à des courtiers et envoyés en Asie notamment, où ils sont disséqués par une série de revendeurs, boutiquiers et "recycleurs" spécialisés divers, pour finir dans des dépôts sauvages. Résultat : selon l'OCLAESP, près de la moitié de la circulation mondiale des déchets se fait en toute illégalité.
Quant aux déchets nucléaires, aucun pays à ce jour n'a trouvé de solution pour le devenir de ces déchets qui, pour certains d'entre eux, demeureront toxiques pendant des milliers voir des millions d'années (voir encadré). Même l'inventaire exact de ce qui devra être enfoui est mal connu. Pour certains pays, comme la Suède ou les Etats-Unis, le combustible irradié constitue déjà le déchet ultime (il s'agit des déchets n'étant plus susceptibles d'être traités dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux), alors qu'en France une partie est retraitée pour en extraire le plutonium et l'uranium.
Au moins, les déchets municipaux (déchets des particuliers, des artisans, commerçants et petits établissements, collectés avec les ordures ménagères et les déchets produits par les municipalités elles-mêmes, issus des espaces verts, boues de stations d'épuration...), récoltés au niveau des communes, sont-ils mieux cernés. Ils pèsent à eux seuls 1,2 milliard de tonnes pour l'ensemble de la planète. Une bonne moitié revient aux seuls pays de l'OCDE : chaque Américain en produit plus de 700 kg par an, et chaque Européen 520 kg, lorsque l'habitant d'une grande ville du tiers-monde n'en produit, lui, que de 150 à 200 kg. Bref, plus on est riche et urbanisé, plus on produit de déchets. Mais qu'entend-on exactement par "déchet" ? Un produit sans avenir ? En attente de transformation ? La réponse est encore en discussion dans les instances nationales comme européennes. Un produit récupéré ayant encore une valeur commerciale, destiné à être recyclé, reste-t-il un déchet ? "Le vocable de "matière première secondaire" n'est toujours pas reconnu dans les textes officiels", souligne Gérard Bertolini. Le législateur évoque des "marchandises" qui ne sont pas produites de façon intentionnelle ou qui ne constituent pas l'objet principal de la production. DES ENJEUX ÉCONOMIQUES Simple querelle de vocabulaire ? Nullement. Car derrière les mots se profilent de vastes enjeux économiques, autour d'un matériau qui désormais se vend et s'achète. En pleine croissance, le marché des déchets recyclés - papiers et ferrailles en tête - représente un chiffre d'affaires de 160 milliards de dollars. Et la hausse du prix des matières premières pourraient renforcer encore son attrait. "Aussi le recyclage est-il désormais largement mis en balance avec les autres filières comme l'incinération ou la mise en décharge, ces dernières ayant un coût non-négligeable, évalué respectivement à 100 €/tonne et 85 €/tonne", explique Gérard Idé, l'un des concepteurs de Pro-recyclage, club de prospective des déchets industriels. En clair : il y a peut-être mieux à faire de nos déchets que les brûler ou les jeter. D'autant qu'en France, une partie des déchets industriels non-dangereux est à la charge de la collectivité (pour un coût qui représente près de la moitié - 47 % - du coût total du traitement des déchets municipaux). Et Gérard Bertolini d'enfoncer le clou : "Les collectivités locales ont souhaité rester responsables et les industriels ont vu là une solution qui leur convenait, évitant une prise de risque concernant des problèmes techniques, environnementaux et politiques". Cet économiste préconise donc "de généraliser la Responsabilité élargie des producteurs (REP), qui, pour l'heure, ne concerne que certaines catégories de déchets". De quoi s'agit-il ? D'élargir la responsabilité (financière et/ou matérielle) des producteurs au traitement ou à l'élimination de leurs produits. Ainsi, d'ici à la fin 2008, deux décrets européens seront publiés concernant les déchets d'activité de soins à risque infectieux et le textile.
LES INCINÉRER POUR PRODUIRE DE L'ÉNERGIE L'incinération a été largement adoptée par la France pour réduire la quantité de déchets biodégradables mis en décharge. Aujourd'hui, 168 usines d'incinération des ordures ménagères (UIOM) réparties sur le territoire brûlent 40 % des déchets municipaux (soit un total de 28 millions de tonnes/an). Mais comme la composition exacte des déchets incinérés est le plus souvent mal connue, il est difficile d'évaluer la quantité de chaleur qu'ils pourront produire (plastiques, papiers et textiles ayant les pouvoirs calorifiques les plus élevés). Grosso modo, il faut de 5 à 7 tonnes de déchets pour obtenir l'équivalent d'une tonne de fioul. Le pouvoir calorifique augmente si l'on retire une partie du verre et des métaux (qui ne brûlent pas) pour les recycler, ou les déchets fermentescibles humides (par exemple, les déchets de cuisine). Mais il diminue, faute de combustible efficace, si on enlève le papier et les cartons, recyclables. Heureusement, l'échange de chaleur à la sortie du four, où circule de l'eau ou de la vapeur surchauffée, se fait avec de très bons rendements : de 70 à 80 % de la chaleur de combustion est récupérée, soit environ 1500 kWh thermiques par tonne d'ordures. Reste à trouver preneur de cette chaleur dans les environs de l'usine, ce qui pose problème l'été - même si certains industriels sont toujours demandeurs. Le rendement énergétique sur l'année n'est donc pas aussi bon, en réalité, que sa valeur théorique moyenne de 75%. Quant à la production d'électricité, elle n'atteint qu'un rendement de 20 à 25 % (de 300 à 400 kWh par tonne d'ordures). L'incinération constitue-t-elle pour autant une réelle opération de valorisation ? Non, avait tranché la Cour de justice européenne en 2003 pour l'incinérateur de Strasbourg : "La caractéristique essentielle d'une opération de valorisation de déchets réside dans le fait que son objectif principal est que les déchets puissent remplir une fonction utile, en se substituant à l'usage d'autres matériaux qui auraient dû être utilisés pour remplir cette fonction, ce qui permet de préserver les ressources naturelles". Or nombre de déchets pourraient être orientés vers d'autres modes de valorisation plus rentables d'un point de vue énergétique et plus respectueux de l'environnement. "Dans l'idéal, précise Gérard Bertolini, économiste de l'environnement et directeur de recherche au Laboratoire d'analyse des systèmes de santé (Lass) du CNRS, on ne devrait mettre à l'incinération que ce qui n'est pas valorisable autrement, en évitant ainsi les objets contenant du PVC - bouteilles mais surtout semelles - dont la combustion génère notamment des vapeurs d'acide chlorhydrique". L'incinération est d'ailleurs accusée de rejeter des dioxines dangereuses pour la santé. LES TRANSFORMER EN GAZ ET NOUVEAU CARBURANT Plutôt que de brûler directement nos déchets, avec un rendement énergétique très aléatoire, il est possible de les transformer en un carburant plus efficace. C'est ce que permet le procédé de thermolyse, encore balbutiant. Le principe ? Chauffer les déchets entre 350 et 750°, en l'absence d'oxygène. Les matières organiques se séparent ainsi en gaz et en solide. Les gaz inflammables (méthane et autres hydrocarbures, hydrogène, monoxyde de carbone) sont utilisés pour sécher les déchets et chauffer les parois du four. Les constituants solides sont quant à eux formés de matières stables (verre, sels, métaux) et de cendres, le chlore étant piégé par le carbone pour éviter la formation de dioxines. Une fois lessivées de leur composante organochlorée, les cendres sont assimilables à un charbon médiocre (le coke) qui devra être lavé, refroidi et déchloré. Une tonne de déchets bruts produit ainsi 240 kg de coke, qui servira de combustible pour la sidérurgie, les cimenteries, les centrales électriques ou les chaufferies. Mais sachant ces combustibles assez chargès en métaux lourds, on peut y voir un simple transfert de pollution vers d'autres lieux. D'où l'intérêt de la thermolyse intégrée, où le coke est brûlé sur place dans un four à haute température (1300-1500°C) pour produire de l'énergie. Les résidus ont la forme d'un granulat vitrifié dur et inerte, susceptible d'être utilisé dans les travaux publics. Le procédé est actuellement testé dans une usine prototype, Arthélyse, située à Arras, qui peine toutefois à surmonter ses difficultés techniques de fonctionnement. Autre piste, la gazéification des déchets (la torche à plasma transforme les déchets en électricité). Plusieurs procédés sont possibles. Si la torche à plasma n'est encore qu'au banc d'essai en Amérique du Nord, la méthanisation en réacteur est plus avancée. En Allemagne, aux Pays-Bas, et plus encore aux Etats-Unis, elle est même en plein essor. Pas de chauffage, ici, mais une décomposition des matières organiques dans des cuves fermées, sans oxygène, en milieu liquide ou sec. Cette décomposition produit du biogaz - à raison de 140 m³/t, soit l'équivalent de 800 kWh/t de déchets fermentescibles (c'est-à-dire composés uniquement de matière organique biodégradable) - qui, après épuration, peut être utilisé pour produire de la vapeur, de l'électricité ou du carburant, et après purification en biométhane, pour des véhicules roulant au gaz naturel. Mais cette méthanisation étant limitée, comme la thermolyse, aux déchets fermentescibles, elle cherche encore ses marques pour traiter les ordures ménagères, hétéroclites. LES UTILISER POUR LE COMPOSTAGE L'idée est de décomposer les déchets organiques (végétaux, déchets de cuisine, papiers, boues d'épandage des stations d'épuration) et de les faire fermenter en présence d'oxygène par des micro et des macro-organismes (lombrics, cloportes). Au bout de deux à quatre mois, on obtient une forme de terreau noir plus ou moins riche, à même de servir d'engrais pour les cultures. Chargés en matières organiques, les déchets municipaux des zones urbaines des pays en développement se prêtent particulièrement à ce type de traitement. La ville d'Alexandrie, en Egypte, transforme ainsi un quart de ses déchets pour produire 120.000 tonnes de compost par an, qui fertilisent les terres gagnées par le désert. LES RECYCLER AU MAXIMUM Recycler davantage les déchets est l'une des priorités de la politique européenne. Alors qu'une voiture construite en 2007 doit être recyclable à 85 %, elle devra l'être à 95 % en 2015. Ce qui oblige les industriels à prendre en compte le recyclage de leurs produits dès la phase de conception. En France, le Grenelle de l'environnement a par ailleurs débouché sur la volonté de réduire la production d'ordures ménagères de 5 kg par habitant et par an sur cinq ans, sachant qu'en 2004 chaque Français rejetait 353 kg de déchets par an, selon l'Ademe. Autre objectif affiché : recycler 35 % des déchets ménagers contre seulement un quart aujourd'hui.
|