L'homme en rêvait... et voici que la science est en train de le faire ! Car dans les laboratoires, les chercheurs reculent follement les limites de l'impossible. La preuve par huit. L'invisibilité, la jeunesse éternelle, la téléportation, le retour des espèces disparues, l'hibernation, le contrôle de la pensée, la création d'androïdes intelligents, la découverte d'une nouvelle source d'énergie inépuisable... Rien d'extravagant pour qui se délecte des classiques de la science-fiction. Rien d'inédit non plus pour qui connaît les mythes anciens, qui prêtent aux dieux des pouvoirs sur le temps, la matière, l'espace et les êtres vivants. Aux dieux... pour mieux dire que les rêves que l'homme forme depuis toujours sont hors de portée, voire interdits. UNE CAPACITÉ HUMAINE UNIQUE Est-ce si extraordinaire ? Quant à imaginer à quoi ressemblera le monde ainsi transformé, oui. Quant à considérer la capacité de la science à repousser les limites du possible, pas tant que ça. Car hypothèses et théories nouvelles ne cessent de dire "Et si...". Bien sûr, à l'épreuve des faits - les expériences - certains "Et si" retournent à leur statut de rêve. Mais là encore, ces impossibles sont à mettre au crédit de la science : c'est elle qui en sait assez long pour savoir ce qui ne dépendra jamais des capacités de l'homme, mais appartient à la réalité même du temps ou de la matière. Il n'empêche, dans ce cadre, la science demeure sûre d'avancer. Car elle bénéficie d'un avantage prodigieux : la capacité unique de l'humain à imaginer ce qui n'est pas. Comme l'a écrit le physicien britannique David Deutsch, "cette capacité de construire une réalité 'virtuelle' à partir de notre environnement est le moyen typique qui permet à l'espèce humaine de survivre. Elle caractérise la niche écologique que nous occupons autant que les feuilles d'eucalyptus celle des koalas". Sauf que les mondes que nous sommes susceptibles d'imaginer sont bien plus nombreux que les forêts d'eucalyptus. C'est toute notre chance !
Si certains des rêves les plus fous de l'homme commencent à devenir des réalités, il en est certains qui se heurteront a priori toujours aux lois fondamentales de la matière ou du temps. Et ce, quels que soient les progrès à venir de la science. Explications. L'invisibilité, la jeunesse éternelle, le retour des espèces disparues... A ces rêves hier inaccessibles, la science du XXIe siècle donne aujourd'hui corps. Pas à pas, difficilement... mais assurément. Ce que l'homme est capable d'accomplir ne dépendrait-il que du temps qu'il faut à son intelligence pour trouver les moyens d'aménager la réalité à l'aune de ses désirs ? Il n'en est rien. Car il existe des barrières que ni la science ni le temps qui passe ne peuvent lever. Et des rêves qui ne deviendront jamais réalité. Retoumer dans le passé ? Construire un moteur perpétuel ? Prédire l'avenir ? Traverser les murs ? Impossible. C'est la science qui l'assure. Comment le sait-on ? Par les mêmes moyens qui permettent à la science d'accomplir des prouesses. Ses lois, ses théories, ses observations, d'où elles tirent leurs capacités de progrès, lui dictent aussi des "théorèmes d'impossibilité" et des arguments de probabilités... qui dessinent trois grands critères d'impossibilité, où s'éteignent les plus fous de nos rêves. UNE AFFAIRE DE PRINCIPE Curieusement, la logique a beau imposer ses règles à la physique, elle n'a pas le pouvoir d'interdire d'autres rêves tout aussi forts que le voyage dans le temps. Mais ce sont alors les théories physiques - deuxième critère d'impossibilité - qui s'en chargent. Ainsi d'un générateur qui produirait plus d'énergie qu'il n'en consomme - le Graal des "énergies renouvelables" ! Eh bien, un tel générateur ne peut être construit tout simplement parce que le premier principe de la thermodynamique, ou principe de conservation de l'énergie, l'interdit. Que dit ce principe ? Qu'aucun système ne peut créer ni détruire de l'énergie : ce qu'on gagne ici, on le perd là. Et il n'existe nul moyen de le contourner. "Le premier principe découle directement de lois générales de symétrie de la nature, qu'on retrouve dans beaucoup d'autres théories, de la mécanique aux particules élémentaires", précise Roger Balian, de l'Institut de physique théorique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Contester le premier principe, c'est signer automatiquement la ruine de ces autres théories, alors que celles-ci ont donné jusqu'ici une entière satisfaction théorique et expérimentale... Absurde !
L'INTERDIT DES LOIS PHYSIQUES Le mouvement perpétuel - en particulier le rêve de tout constructeur de mettre au point une voiture "zéro énergie" - ne verra donc jamais le jour. Et il n'est pas le seul à tomber sous les interdictions des lois physiques. Ainsi le vieux fantasme du grand physicien Pierre-Simon Laplace, consistant à prédire l'avenir par la connaissance de tous les paramètres des particules de l'Univers (énergie, vitesse, position...) à un instant donné restera à jamais un rêve. Ici - et Laplace est né un siècle trop tôt pour le savoir -, c'est directement la physique quantique qui l'affirme : le "principe d'incertitude" instaure l'impossibilité fondamentale de mesurer simultanément tous les paramètres d'une particule. Mesurer avec précision sa vitesse, par exemple, rend sa position... vague. Et, donc, on ne peut prédire sa destinée. "Aucun espoir ! s'emporte Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique de Luminy. Les Grecs considéraient qu'une pierre ne pouvait pas tomber vers le ciel ? Cela n'a pas changé avec la relativité ou la physique quantique ! Ce que les théories actuelles interdisent formellement dans leur domaine d'application ne deviendra jamais possible, dans ce domaine, par l'advenue d'une théorie qui les engloberait." C'est la différence entre un "J'affirme que c'est impossible" et un "Je n'affirme pas que c'est possible". Quand la relativité est venue englober la théorie de la gravitation de Newton, elle a inventé un nouveau possible : ralentir le temps. Mais la théorie de Newton n'interdisait pas cela ; simplement, elle n'en parlait pas. Pour Newton, le temps était un paramètre qui agissait "de l'extérieur" sur ses équations... Les emboîtements gigognes des théories n'y feront rien : les impossibles ne deviendront pas des possibles. AUCUN DOUTE RAISONNABLE Et quand bien même ni la logique ni les théories physiques ne les interdisent expressément, les scientifiques n'hésitent pas à qualifier certains rêves d'impossibles. Leur ultime, et troisième, critère ? Un avis partagé par la communauté des spécialistes concernés, sur la base de leurs connaissances théoriques. Prenons les raccourcis spatiaux, ces structures de l'espace-temps que les auteurs de science-fiction font emprunter à leurs vaisseaux pour voguer de galaxie en galaxie. Il s'agit à nouveau du "trou de ver" dont on a parlé pour l'hypothétique - et impossible - voyage dans le temps. Mais ici, on imagine que ses extrémités sont animées d'un mouvement identique - ce qui évite le paradoxe logique du voyage temporel. Comme un tunnel creusé aux flancs d'une montagne très haute, ce trou ferait communiquer deux régions de l'espace autrement séparées par une distance infranchissable. Lumineuse idée... et vols intergalactiques à la clé ! La communauté scientifique s'est passionnée pour la question il y a quelques décennies... "Mais on ne s'y intéresse plus", dit Alain Riazuelo, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Impossible donc ? Plutôt : si peu probable qu'il est remis aux calendes grecques par la typique phrase "dans 200 ou 300 ans, peut-être". Façon de dire que rien aujourd'hui, ni la science ni la technologie, ne permet d'espérer, mais qu'après tout nul n'est prophète. "Pour cette catégorie d'impossibles, le milieu scientifique exprime non pas une croyance mais un avis adossé à des principes théoriques robustes", précise Michel Spiro, directeur de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3-CNRS). "Le consensus sur un tel impossible découle d'un 'faisceau de présomptions', comme en justice, qui ne laisse place à aucun 'doute raisonnable'. Cela vaut preuve", dit Alain Riazuelo. L'hypothèse a ainsi été écartée faute d'arguments convaincants. Adieu, adieu... trous de ver. Ainsi certains de nos rêves ies plus fous se brisent-ils au contact de la science. Soit ils s'écrasent sur le mur froid de la logique, soit ils se délitent sur les barricades des théories, soit ils tombent dans les oubliettes.
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